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Climat : quand les religions parlent d’une même voix


Depuis des décennies, des dignitaires de différentes religions réfléchissent ensemble aux enjeux climatiques. Avec une même foi : l’espérance !

Encore peu connu, l’engagement des acteurs religieux sur l’environnement ne date pourtant pas d’hier. Nourrie par les sciences, leur analyse met l’accent sur les implications éthiques et spirituelles de la crise environnementale et des changements climatiques. Églises et religions apportent ainsi un regard différent de celui des gouvernements, de l’Organisation des nations unies (Onu) ou de la société civile, avec une perspective holistique et de long terme. Maintenir une position autonome et critique n’en reste pas moins un défi, qui requiert un discernement et une attitude ferme et cohérente.

Quarante ans d’engagement pour la planète

Les questions d’écologie et d’environnement font l’objet de discussions depuis plus de quarante ans au sein du Conseil œcuménique des Églises (COE)1, un rassemblement de 350 églises chrétiennes créé en 1948. Au début des années 1970, bien avant que le concept de durabilité ne fasse florès dans les enceintes internationales, des scientifiques, des économistes et des théologiens se sont penchés dessus (lors d’un colloque à Bucarest). À Nairobi, l’assemblée du Conseil œcuménique des Églises explore déjà la notion de « société durable »2, jugeant nécessaire, pour l’avenir de la planète, une vision du développement viable à long terme, à la fois économiquement et écologiquement. Quelques années plus tard, le processus « Justice, paix et sauvegarde de la création » (1983) encourage les Églises à travailler sur ces thèmes, ce qu’elles feront par des projets d’éducation environnementale ou de défense de causes spécifiques. Ce processus culmine avec le rassemblement de Séoul (1990), où sont adoptés dix affirmations théologiques et quatre pactes pour l’action qui mettent en relation injustice économique, militarisme, destruction écologique, changements climatiques et injustice raciale.

Ces déclarations trouvent un écho dans ce que bien d’autres Églises expriment aussi. Le patriarche de Constantinople a ainsi appelé à observer, dès 1989, une « Journée de la création » le 1er septembre, début de l’année liturgique orthodoxe. Un appel réitéré par le troisième rassemblement œcuménique européen (2007), qui propose un « temps pour la création » à consacrer à la prière pour la protection de la création et la promotion d’un mode de vie durable, du 1er septembre au 4 octobre (fête de Saint François d’Assise).

Plaidoyer interreligieux à l’Onu

Depuis la Conférence des Nations unies sur l’environnement et le développement de Rio (1992), des délégations œcuméniques participent chaque année aux négociations climatiques au sein de l’Onu. Par leurs déclarations et leurs activités, elles témoignent de la spiritualité et de l’éthique de leurs Églises. Elles mènent par ailleurs un plaidoyer de plus en plus interreligieux, en particulier autour de la convention sur les changements climatiques.

« Pour mon Église, c’est une question de vie ou de mort. Parce que c’est notre existence même qui est en péril », affirmait le pasteur Tafue Lusama, secrétaire général de l’Église chrétienne congrégationaliste des Tuvalu, lors du sommet interreligieux sur le climat en septembre 20143. L’augmentation du niveau de la mer fera bientôt disparaître de petites îles d’Océanie comme Tuvalu ou Kiribati. Quelles sont les conséquences politiques de l’absence de territoire pour un pays ? Quelles conséquences culturelles pour un peuple soudainement privé de son habitat naturel ?

Les Églises mènent un plaidoyer de plus en plus interreligieux, en particulier autour de la convention sur les changements climatiques.

Le sujet va bien au-delà de la simple question environnementale. Des considérations écologiques, sociales, économiques, politiques et éthiques entrent en ligne de compte. Les Églises et les communautés religieuses intègrent toutes ces dimensions et mettent l’accent sur l’enjeu de justice : « Les communautés les plus touchées, maintenant et à l’avenir, sont les populations appauvries et vulnérables vivant en majorité dans le Sud, qui dépendent beaucoup plus des ressources naturelles pour leur subsistance et qui n’ont pas les moyens de s’adapter aux changements.4 »

La participation d’acteurs religieux aux Conférences des parties (« Cop », rassemblement des pays qui ont ratifié la Convention cadre sur les changements climatiques) n’est pas évidente dans la mesure où ils ne font pas partie des « groupes majeurs » de la négociation. Le secrétariat de la Conférence des Nations unies sur le climat a cependant accepté que soit présentée une déclaration des communautés de foi à chaque conférence. À Kyoto, en 1997, cette déclaration interreligieuse se doublait d’une célébration à la cathédrale de Kawaramachi, en présence de représentants chrétiens, bouddhistes, shintoïstes et de responsables de la conférence onusienne. En 2001, à l’occasion de la conférence de Marrakech, un colloque aborde les perspectives musulmanes et chrétiennes à propos des changements climatiques. Les démarches interreligieuses se sont poursuivies à Copenhague en 2009, puis à Durban, par une déclaration conjointe de leaders chrétiens et musulmans africains.

Des principes sont mis en avant pour répondre à la menace des changements climatiques : la confiance mutuelle, l’équité, la précaution, la justice intergénérationnelle.

En septembre 2014, à l’occasion du Sommet sur le climat convoqué par le secrétaire général de l’Onu, Ban Ki-Moon, trente leaders religieux de neuf confessions différentes ont adopté la déclaration « Climat, foi et espérance ». La dimension de justice y est fortement soulignée : « Nous entendons les récits de nos frères et sœurs autour du monde à propos des effets [du climat] sur les humains et la nature. (…) Ces effets touchent de façon disproportionnée les existences, moyens de subsistance et droits des populations les plus pauvres, marginalisées, et de ce fait les plus vulnérables, incluant les populations autochtones. Lorsque ceux qui ont le moins contribué au changement climatique sont ceux qui sont le plus durement frappés, cela devient un enjeu d’injustice. » D’autres principes clés sont mis en avant pour répondre à la menace des changements climatiques : la confiance mutuelle, l’équité, la précaution, la justice intergénérationnelle.

Une culture de l’espoir

L’action interreligieuse va au-delà des activités menées dans le cadre onusien. En 2008, l’archevêque luthérien Anders Wejryd a invité vingt-six leaders religieux à un sommet sur le climat à Uppsala (Suède). Ils ont adopté le manifeste « De l’espoir pour l’avenir ! » qui partage les préoccupations des scientifiques et des responsables politiques face à la crise climatique, mais proclame aussi la beauté de la création et de la vie : « Nous observons avec émerveillement la vie sur la planète terre. C’est un miracle − et un cadeau ! La contemplation d’un ciel constellé d’étoiles par une nuit claire nous remplit d’émerveillement et de respect et nous rappelle notre rôle dans l’univers. Nous avons de nombreuses raisons d’être humbles. En méditant au bord de la mer, dans le désert ou en forêt, nous pouvons nous sentir en communion avec l’univers, tout en étant conscients de notre petitesse. Les religions, issues de cultures et d’horizons divers, convergent pour exprimer leur émerveillement et leur respect face au cadeau qu’est la vie. »

Reconnaissant le sérieux des données scientifiques, les leaders religieux se demandent : « La planète terre peut-elle être sauvée ? Nous sommes convaincus que oui. Il est nécessaire de transformer fondamentalement la conception de la vie humaine, les modes de vie et de travail, l’économie, le commerce et les technologies. L’éthique et les valeurs sont intrinsèques au développement de nouvelles structures institutionnelles, politiques et financières. Dans le domaine religieux, la perspective du long terme a toujours été essentielle. Plus que jamais, le monde a aujourd’hui besoin d’une gouvernance politique exceptionnelle et de longue haleine. »

Pour conclure leur manifeste, les dignitaires réunis à Uppsala invitent à une culture de l’espoir : « Nous, enseignants et représentants religieux, voulons contrer une culture de la peur par une culture de l’espoir. Nous voulons affronter le défi climatique par un optimisme résolu en soulignant les principes fondamentaux de toutes les grandes traditions sacrées du monde : justice, solidarité et charité. Nous voulons encourager la meilleure gouvernance scientifique et politique. Nous encourageons nos communautés à entretenir un esprit de joie et d’espérance face au plus grand cadeau qui nous ait été fait à tous − la vie ! »

Après la déception de la conférence de Copenhague (2009), les organisations religieuses ont choisi de nouveaux espaces pour faire avancer la quête de la justice climatique. Au Conseil des droits de l’homme des Nations unies, en particulier, des organisations religieuses ont créé le « Forum interconfessionnel de Genève sur le changement climatique, l’environnement et les droits humains ».

Les Églises et les communautés religieuses mettent en action une éthique et une spiritualité pour la vie, la justice et les générations futures.

Dans ces textes interreligieux, la recherche du consensus risque de gommer certains éléments d’une théologie confessionnelle particulière. Pour les Églises chrétiennes, par exemple, renoncer à parler de création, de la Trinité, appauvrit significativement le message. Mais la force de ces déclarations est celle d’une prise de position commune orientée vers l’action. Un fil rouge les traverse, telle une clé de la contribution des acteurs religieux : l’espérance. Un espoir nourri des témoignages des communautés qui, déjà victimes des conséquences de la destruction environnementale et la crise climatique, défendent la vie et vivent la joie. En exprimant les cris des communautés vulnérables, celui de toute la terre, en plaidant pour des réponses efficaces aux crises environnementales, les Églises et les communautés religieuses mettent en action une éthique et une spiritualité pour la vie, la justice et les générations futures.



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1 Cf. Guillermo Kerber, « Soixante ans de réflexion du Conseil œcuménique des Églises sur les questions d’environnement », dans Jacques-Noël Pérès (dir.), L’avenir de la terre, un défi pour les Églises, DDB, 2010.

2 Aidée en cela par le généticien australien Charles Birch, spécialisé en écologie.

3 Pascal Fleury, « Les Églises se mouillent pour le climat », www.laliberte.ch, 03/01/2015.

4 COE, « Note sur le réchauffement planétaire et le changement climatique », www.oikoumene.org, 20/02/2008.


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