Une revue bimestrielle, exigeante et accessible, au croisement entre le monde de la recherche et les associations de terrain.
La planète peut très bien se passer de l’humanité, mais l’humanité peut-elle se passer de la planète ? Je suis envoyé spécial du président de la République pour la protection de la planète, mais, à la réflexion, je me demande si cette idée est bien fondée : ce qui nous réunit, c’est d’abord l’avenir de l’humanité. Lorsque j’ai accepté cette mission, il m’a semblé évident et nécessaire, entre autres rencontres, de créer une passerelle avec les autorités religieuses. J’ai fait semblant de ne pas entendre, de ne pas voir les sourires narquois : « Hulot se rend au Vatican », « Il est tellement déprimé qu’il va chercher un miracle »…
Il est pourtant important qu’à la dimension horizontale, que les chefs d’État et responsables politiques et économiques auront à traiter avec des outils technologiques, juridiques, institutionnels, économiques et financiers, l’on ajoute une dimension radicale. Car je crains que dans le bruit de fond de nos sociétés, où nous avons du mal à distinguer le superficiel de l’essentiel, cette crise apparaisse comme une difficulté parmi d’autres. Et je pense que vous [représentants des religions] pouvez nous aider à placer cette crise à un niveau supérieur, à faire en sorte que cette humanité n’esquive pas le rendez-vous critique auquel elle est confrontée.
Si la dimension éthique ne dépasse pas la simple expertise, je pense que l’effort sera insuffisant. Je sais que ces propos, tenus dans un monde où les choses vont vite, où il faut du concret, de l’immédiateté, peuvent sembler hors-sol. Pour moi, ils sont excessivement nécessaires : nous sommes dans une crise de civilisation. Il y a une nécessité absolue à mener la bataille de l’esprit : l’âme du monde est profondément malade. Cela peut sembler abstrait ; pour moi c’est très concret. L’enjeu climatique n’est pas optionnel, il conditionne tous les enjeux de solidarité auxquels nous sommes attachés. Tout ce qui nous semble important dépend de la prise en compte ou non de cet enjeu, de notre capacité à transformer des consciences individuelles en intelligence collective.
Dans un monde qui n’a pas besoin d’humiliations ou de sources de tensions supplémentaires, la crise climatique affecte et frappe prioritairement des hommes, femmes et enfants, déjà en situation de vulnérabilité n’ayant pas, pour la plupart, connu les bénéfices d’un mode de développement qui parfois s’est même fait sur leur dos et dont ils subissent les conséquences négatives. Dans un monde aussi réactif, nous faisons, avec cette ultime humiliation, le lit de toutes les radicalisations ou de tous les intégrismes. Prendre en charge collectivement l’enjeu climatique, c’est pacifier le monde ; laisser le temps nous dicter la mutation, c’est nous livrer à un XXIe siècle où les tragédies du XXe siècle nous sembleront dérisoires. C’est un moment de vérité : la nature nous teste sur notre détermination.
Vous devrez nous aider à faire en sorte que derrière les mots pleins d’empathie, parfois larmoyants, parfois sincères, mais parfois éloignés d’une certaine sincérité, les responsables politiques mettent en place les changements à la hauteur. Vous devez nous aider aussi à nous relier, car l’homme n’est plus relié à rien. Il n’est plus relié à son passé, il est en train de se désolidariser de son futur… Aveuglé par l’hypertrophie de la technique, il a pensé qu’il pouvait détacher sa branche de l’arbre de la création.
Pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, il y a un enjeu qui vaut pour toutes les cultures, tous les continents, et nous l’abordons par le prisme de nos intérêts individuels et nationaux…
L’homme doit être économe de la nature. Vous devez nous le rappeler. Les confessions, même si elles ne sont pas les seules, sont des voix qui passent au-dessus du bruit de fond de nos sociétés, qui peuvent remettre les choses dans le bon ordre, l’essentiel en haut et le superficiel en bas. Je cite souvent Teilhard de Chardin : « Un jour, quand nous aurons maîtrisé les vents, les vagues, les marées et la pesanteur, nous exploiterons l’énergie de l’amour. Alors, pour la seconde fois dans l’histoire du monde, l’homme aura découvert le feu. » Parce que cette énergie là est renouvelable et inépuisable. De grands mots, allez-vous dire ! Mais, pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, il y a un enjeu qui vaut pour toutes les cultures, tous les continents, et nous l’abordons par le prisme de nos intérêts individuels et nationaux… Aidez-nous à nous doter d’un état d’esprit universel, à reprendre conscience que nous faisons partie de l’exception que constitue la vie dans l’univers. C’est un privilège, et même un double privilège car nous sommes aussi la partie consciente de cette exception. Qui mieux que vous peut nous aider à replacer l’homme là où il est ?
Jean Rostand disait : « La science a fait de nous des dieux avant de faire de nous des hommes. » Aidez-nous à accomplir notre phase d’humanisation. On dit que les religions sont « expertes en humanité » : nous allons savoir en fin d’année si nous parvenons à cette pleine humanisation. Je ne suis ni désespéré ni d’un optimisme absolu : simplement, nous sommes sur une corde raide où nous pouvons basculer dans le fatalisme et la reddition ou, à l’inverse, nous retrouver sur ce qui nous rassemble et faire faire un saut qualitatif à l’ensemble de l’humanité. Encore faut-il partager une vision, redonner du sens au progrès. Qui mieux que vous peut nous y aider ?