Do not follow this hidden link or you will be blocked from this website !
Logo du site
Dossier : Le numérique, une chance pour l’école ?

Numérique à l’école : enthousiasme et lucidité

Ordival, Collège Jules Vallès, Vitry © Christian Petit/Photothèque du Conseil général du Val-de-Marne/Flickr/CC
Ordival, Collège Jules Vallès, Vitry © Christian Petit/Photothèque du Conseil général du Val-de-Marne/Flickr/CC

Creuset théorique de la mobilité sociale, l’école laisse partir chaque année 140 000 jeunes sans diplôme. Parmi eux sont surreprésentés les enfants d’ouvriers, ceux issus de familles nombreuses ou ceux dont les parents sont séparés. Les rouages de l’ascenseur social sont grippés. Dans ce contexte, l’apparition du numérique est-elle une chance ? Ludique, démocratisé, offrant un accès libre à des trésors d’information, internet ouvre de nouvelles voies pour les apprentissages. Une occasion de rendre l’école plus juste, plus inclusive ?

Pour bien des hussards de la République, le numérique apparaît d’abord comme un corps étranger venant perturber un ordre établi, un rôle (détenteur de savoirs), un espace (la classe) et un temps (le cours) dont ils étaient les seuls maîtres (cf. B. Devauchelle). Il le devient plus encore quand il se matérialise dans des équipements (ordinateurs ou tablettes) commandés à leur insu par le rectorat, ou dans des injonctions répétées à faire le « grand saut » numérique… sans filet ni parachute. Ces craintes, légitimes, expliquent les résistances.

Pourtant, la révolution numérique n’est pas optionnelle. 80 % des ados jouent à au moins un jeu vidéo, près des trois quarts disposent d’un téléphone portable et d’un ordinateur à la maison. Un utilisateur de smartphone le regarde en moyenne… 150 fois par jour ! C’est dans ce monde, celui du plaisir du jeu, celui d’une information à portée de main, tout le temps, celui de relations transformées par l’apparente disparition des distances, que grandissent nos enfants, nos élèves. Une révolution culturelle est en marche, qui bouscule le rapport au savoir, à l’autorité, qui ringardise toutes nos institutions, leur culture du devoir (plutôt que de donner envie), leur forme pyramidale. Toute nostalgie serait vaine, avertit Michel Serres, qui invite les acteurs de l’éducation à accueillir ce nouveau monde, à accompagner son émergence avec bienveillance… et lucidité !

Car sur ce monde règne aussi le marché tout-puissant. Un marché qui lorgne, de longue date, sur l’éducation comme une nouvelle rente à capter et pour qui le numérique représente une aubaine inespérée. L’enseignement supérieur essuie les plâtres avec les « Mooc » (cf. D. Boullier). Économies d’échelle, compétitivité, employabilité, modernisme, tous les ressorts sont mobilisés. Quitte à larmoyer sur une soi-disant « fracture numérique » pour écouler des stocks de matériels au coût d’entretien prohibitif, bientôt dépassés par des technologies plus prometteuses encore. Des plans – dont le dernier (nom de code : « plan Hollande ») vient d’être adopté – tiennent lieu de politique d’éducation à des dirigeants en mal de vision (cf. P. Moeglin). Or, en la matière, la fracture n’est pas liée à l’équipement (cf. P. Plantard). Les différences d’usage du numérique – instructif, créatif, ludique, relationnel, mortifère – tiennent avant tout à la façon dont les jeunes sont entourés. À l’école comme à la maison, le rôle de l’accompagnateur est décisif (cf. S. Enlart). Mais pour enrichir sa pensée du foisonnement disponible en ligne, encore faut-il avoir appris à la structurer (cf. D. Thouard).

Si les écueils sont bien là, comment ne pas s’enthousiasmer, en même temps, des multiples innovations qui essaiment un peu partout, visant à repenser la pédagogie à l’ère numérique, à esquisser des parades au décrochage ? Et si les élèves devenaient les acteurs de leur apprentissage au lieu de subir sans comprendre (cf. V. Auchère et A.-C. Barbet-Massin) ? Si, par le jeu ou la vidéo (cf. F. Maine), ils y prenaient plaisir, au lieu de s’ennuyer (comme le déclarent 71 % des collégiens) ? Si la classe devenait le lieu pour transformer des informations en savoirs (cf. M. Lebrun et P. Bihouée) ? Si les savoirs partaient de l’expérience, des questions des enfants plutôt que de descendre de la chaire (cf. M. Szac) ? Si la médiation de l’écran incitait les élèves à la collaboration, plutôt qu’à la compétition (cf. S. Tisseron) ? Si l’enseignant devenait l’accoucheur de savoirs, le maïeuticien d’une créativité nouvelle ? Avec des « si », on ne dessinera pas l’école de demain. Mais toutes ces idées font déjà l’objet d’expériences fécondes, nées sur le terrain. Et nous n’en sommes qu’au début. Rassurons-nous, avec Michel Serres : « On fera toutes les conneries du monde. Et tant mieux, l’erreur est le propre de l’homme. »

J'achète Le numéro !
Le numérique, une chance pour l’école ?
Je m'abonne dès 3.90 € / mois
Abonnez vous pour avoir accès au numéro
Les plus lus

Les Marocains dans le monde

En ce qui concerne les Marocains, peut-on parler de diaspora ?On assiste à une mondialisation de plus en plus importante de la migration marocaine. On compte plus de 1,8 million de Marocains inscrits dans des consulats à l’étranger. Ils résident tout d’abord dans les pays autrefois liés avec le Maroc par des accords de main-d’œuvre (la France, la Belgique, les Pays-Bas), mais désormais aussi, dans les pays pétroliers, dans les nouveaux pays d’immigration de la façade méditerranéenne (Italie et ...

L’homme et Dieu face à la violence dans la Bible

Faut-il expurger la Bible ou y lire l'histoire d'une Alliance qui ne passe pas à côté de la violence des hommes ? Les chrétiens sont souvent gênés par les pages violentes des deux Testaments de la Bible. Regardons la Bible telle qu’elle est : un livre à l’image de la vie, plein de contradictions et d’inconséquences, d’avancées et de reflux, plein de violence aussi, qui semble prendre un malin plaisir à multiplier les images de Dieu, sans craindre de le mêler à la violence des...

Un héritage tentaculaire

Depuis les années 1970 et plus encore depuis la vague #MeToo, il est scruté, dénoncé et combattu. Mais serait-il en voie de dépassement, ce patriarcat aux contours flottants selon les sociétés ? En s’emparant du thème pour la première fois, la Revue Projet n’ignore pas l’ampleur de la question.Car le patriarcat ne se limite pas à des comportements prédateurs des hommes envers les femmes. Il constitue, bien plus, une structuration de l’humanité où pouvoir, propriété et force s’assimilent à une i...

Du même dossier

Classes inversées : fossilisation des pratiques ou innovation à l’ère numérique ?

Classes inversées (flipped classrooms). L’appellation (d’abord en anglais, plus tard en français) apparaît vers 2007 quand deux enseignants de chimie1, Jonathan Bergmann et Aaron Sams (dans l’équivalent de notre secondaire aux États-Unis), découvrent le potentiel pédagogique de vidéos (PowerPoint commentés, screencasts2…). Il s’agissait pour eux de motiver leurs élèves à préparer (à domicile ou sans la présence physique ou la supervision de l’enseignant) les leçons traditionnellement données en...

Contre la « fracture numérique », pas de coup de tablette magique !

Face aux enjeux du numérique pour l’école, les pouvoirs publics répondent par de grands plans d’équipements. Ils font fausse route, ignorant que les vraies inégalités résident dans les usages et que les meilleures réponses sont territoriales. Quelles sont les pratiques numériques des adolescents dans leurs contextes socio-éducatifs ? Les travaux en anthropologie des usages révèlent de profondes inégalités sociales, éducatives et numériques, qui questionnent les plans d’équipement massifs (ordina...

Mooc : quel rôle pour le prof ?

Par-delà l’effet de mode, les « Mooc », ces cours en ligne, annoncent une industrialisation de la formation et une exacerbation de la concurrence. Si la menace est grande pour les enseignants, l’opportunité ne l’est pas moins : il s’agit pour eux de redéfinir et de réaffirmer leur rôle dans la relation aux étudiants. Les plates-formes de Mooc (« Massive open online courses ») nous l’annoncent : elles pourront prendre en charge des milliers d’utilisateurs consultant simultanément les mêmes ressou...

Du même auteur

Chocolat amer

L’or brun. En Côte d’Ivoire, les fèves de cacao font vivre une bonne partie de la population. Mais elles aiguisent aussi les appétits. Non sans conséquences sur les fuites de capitaux, l’impossibilité de déloger la classe dirigeante et la violence  armée. C’est ce que révèle cette enquête… au goût amer. Un seul pays d’Afrique est leader mondial dans l’exportation d’une matière première a...

Pour une économie relationnelle

« On peut en savoir beaucoup sur quelqu’un à ses chaussures ; où il va, où il est allé ; qui il est ; qui il cherche à donner l’impression qu’il est ». À cette observation de Forrest Gump dans le film éponyme1, on pourrait ajouter : « Quel monde il invente ». Car l’analyse du secteur de la chaussure, objet du quotidien s’il en est, en dit long sur notre système économique. Un système qui divise. À commencer par les humains : quel acheteur est capable de mettre un visage derrière la fabrication ...

Libérons-nous de la prison !

Nous aurions pu, comme en 1990, intituler ce numéro « Dépeupler les prisons » (Projet, n° 222). Car de l’inventaire dressé alors, il n’y a pas grand-chose à retirer. Les conditions de vie en détention, notamment pour les courtes peines et les détenus en attente de jugement, restent indignes d’un pays qui se veut « patrie des droits de l’homme ». Mais à la surpopulation carcérale, on préfère encore et toujours répondre par la construction de nouvelles prisons. Sans mesurer que plus le parc pénit...

Vous devez être connecté pour commenter cet article
Aucun commentaire, soyez le premier à réagir !
* Champs requis
Séparé les destinataires par des points virgules