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2009. Le consensus s’impose pour tous les acteurs du Grenelle de l’environnement : l’avènement d’un modèle soutenable passe par une taxe carbone. Mais la mesure n’est guère expliquée. Le concert des protestations s’organise. La société française n’est pas prête. L’avis contraire du Conseil constitutionnel sur les modalités de mise en œuvre viendra opportunément justifier le retrait du projet. Ce diagnostic, posé par J.-C. Hourcade dans son article « La taxe carbone, post-mortem » (Revue Projet, n° 330, oct. 2012), fut pour nous un déclic. D’évidence, la transition énergétique ne serait pas menée à l’encontre de la société – surtout si le piège devait se refermer d’abord sur ses franges les plus fragiles (cf. Revue Projet, n° 334), ni à son insu. Elle serait sociale ou ne serait pas.
Avec des chercheurs, des acteurs du champ éducatif, caritatif, syndical, des cadres d’entreprises, nous avons voulu mesurer la portée de ce constat. Déceler, par une recherche-action et un colloque (en septembre 2014), les enjeux de justice sociale derrière la question apparemment technique de l’énergie. Ce numéro est le fruit de ce processus. Si les défis techniques sont indéniables, autour de l’isolation des bâtiments ou des infrastructures nécessaires à la nouvelle géographie de la production énergétique que dessinent les renouvelables (cf. D. Maillard), l’on peut penser que l’intelligence humaine saura les relever, pourvu que la volonté politique et les financements soient au rendez-vous.
Mais la question de l’énergie traverse plus profondément l’ensemble des secteurs de notre société. Quand le seul choix qui reste est se chauffer, se nourrir ou se déplacer, ce sont les relations humaines qui sont menacées (cf. les réflexions de l’association Magdala). Pensée à l’âge du pétrole bon marché, la mobilité est devenue une nécessité professionnelle, scolaire, relationnelle. La concevoir comme un droit suppose de reconsidérer nos modes de transport, notre aménagement du territoire (cf. J.-P. Orfeuil). L’étalement urbain lui-même résulte notamment de l’explosion des prix du foncier, qui a relégué les ménages sans héritage loin des centres. Densifier la ville, la rendre moins dépendante à l’énergie demandera de revoir à la baisse la part des dépenses de logement dans le budget des ménages (cf. É. Lagandré et V. Renard). Et sans doute, à la hausse, celle de l’alimentation, dès lors qu’elle serait le fruit d’une agriculture moins gourmande en pétrole (cf. C. Couturier). Quand la précarité énergétique (logement ou transport) est déjà une réalité pour près d’un quart des Français, l’inscription dans la loi d’un droit d’accès aux services énergétiques est une bonne nouvelle. Mais, au-delà du chèque énergie, énième dispositif palliatif sectoriel, c’est à une refonte du système de protection sociale qu’invite l’affirmation d’un tel droit (cf. S. Rivoalan et F. Tocqué).
La fin souhaitable d’énergies fossiles bon marché bouscule, plus radicalement, nos imaginaires. Comment remettre en cause le consumérisme sans contester aussi l’affirmation de soi par l’avoir et le rêve de la société d’abondance (cf. D. Méda) ? Celles et ceux qui tentent de vivre ou d’échafauder d’autres rêves sauront-ils convaincre ? Séduire ? C’est finalement à l’invention d’un nouveau récit collectif que nous sommes conviés (cf. S. Lavelle). Le chantier est immense. Passionnant aussi. Si nous prenions le temps d’en débattre, afin que chacun y trouve un sens, une place ? Sauf que débattre requiert du temps. Or nous n’en avons plus guère, avertit B. Villalba, qui prédit une contraction démocratique. L’urgence est bien là, pas tant par manque de ressources fossiles (cf. J.-C. Hourcade et N. Nakicenovic) que parce que les menaces pour le climat et la biodiversité nous interdisent de toutes les exploiter. Avec le CO2 contenu dans les seules réserves en gaz de schiste, nous aurions trois fois de quoi provoquer un réchauffement de 2°C !
2015. Année décisive pour le climat. Beaucoup regardent hébétés le monde qui les fait vivre se détruire sous l’effet de leur propre action. Les dirigeants tergiversent. D’où l’impératif que nous, citoyens, déjouions le risque de paralysie : en montrant qu’autre chose est possible et, plus encore, en recourant à la seule émotion qui permette de surpasser la peur : la joie (cf. P. Viveret). Une chance que cette énergie soit renouvelable !
À lire dans la question en débat
« Aura-t-on l’énergie d’une transition juste ? »
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