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La transition énergétique interroge profondément nos modèles agricoles et alimentaires. L’agriculture est un puits de carbone, via la photosynthèse, mais elle émet aussi des gaz à effet de serre (GES), responsables du dérèglement climatique. En France, en incluant les émissions de méthane et de protoxyde d’azote, l’agriculture génère environ 25 % des émissions nationales nettes. Une analyse plus large, de la « fourche à la fourchette » (production, préparation, conservation, distribution), indique que l’alimentation représente 40 % des émissions de GES en France et 25 % des consommations d’énergie finale. L’outil « ClimAgri »1 distingue trois types d’émissions issues de l’agriculture. Les émissions directes comprennent les émissions de méthane et de protoxyde d’azote dues à l’utilisation des matières fertilisantes, des combustibles et carburants (électricité, essence, etc.) et celles dues à la rumination des animaux et à la gestion des déjections d’élevage. Les émissions induites correspondent aux denrées agricoles importées, à la fabrication des engrais et des produits phytosanitaires. Les émissions indirectes sont liées à celles du secteur énergétique. La forêt permet de stocker une partie de ces émissions, mais l’artificialisation des sols, le déboisement des prairies ou des terres arables réduisent ses capacités. L’agriculture demeure émettrice nette de GES.
L’alimentation représente 40 % des émissions de GES en France et 25 % des consommations d’énergie finale.
Le lien entre agriculture et énergie ne se réduit pas à la question climatique, ce qui en fait aussi la complexité. On peut répartir en six « F » les besoins satisfaits par l’exploitation de la biomasse : fourneaux (alimentation humaine), fourrages (alimentation animale), fumure (sol vivant), fibres (bois, papier, matériaux), « forestis » (nature, biodiversité, aménités), fioul (énergie). Ces usages sont en concurrence. Cette compétition entre les usages alimentaires et énergétiques est lourde de conséquences. Mais il existe également des synergies possibles et la notion de hiérarchie des usages est insuffisante, car chacune de ces fonctions répond à des besoins fondamentaux. Tout l’enjeu est d’effectuer un arbitrage entre les diverses utilisations de ces biens communs que sont les bioressources.
Ces constats appellent une évolution de nos systèmes de production et de consommation. S’agissant de phénomènes biologiques, une division par deux des GES dans le secteur agricole est envisageable d’ici 2050, mais certainement pas un facteur 4. La réduction devra donc être plus forte encore dans les autres secteurs (transport, industrie, logement, etc.). Pour l’agriculture, il s’agit de porter une attention particulière aux sols, où toutes les fonctions écologiques opèrent, et de ne plus considérer le champ comme un simple support2. Des voies nous sont proposées par l’agroécologie : privilégier des rotations longues (sur quatre à huit ans), les associations de cultures, préserver les « auxiliaires de cultures » (donc l’habitat de ces prédateurs des ravageurs, comme les abeilles, etc.), limiter les intrants chimiques (azote, pesticides)… Le changement de régime alimentaire, véritable enjeu culturel et sanitaire, est lui aussi indispensable. Une réduction de notre consommation de viande diminuerait notamment les émissions de méthane, permettrait de libérer des surfaces dédiées au bétail mais aussi de limiter diabète et maladies cardio-vasculaires. Les « traditions culinaires » ne sont pas gravées dans le marbre : auparavant, nous n’avions pas les moyens de manger une poule au pot tous les dimanches !
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« Aura-t-on l’énergie d’une transition juste ? »
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1 L’outil ClimAgri, mis au point par l’organisation Solagro, est diffusé par l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie.
2 Cf. Matthieu Calame, « L’agroécologie envoie paître l’industrie », Revue Projet, n° 332, février 2013 [NDLR].