Do not follow this hidden link or you will be blocked from this website !
Logo du site
Dossier : Comment relégitimer l'impôt ?

Imposer les multinationales, une gageure ?

Manifestation pour un impôt juste, Paris, décembre 2013 ©Aurore Chaillou/Revue Projet
Manifestation pour un impôt juste, Paris, décembre 2013 ©Aurore Chaillou/Revue Projet
Débat – Les pays du G20 commencent à reconnaître combien il est difficile de taxer les profits des entreprises multinationales, qui jouent des failles du système fiscal en délocalisant artificiellement leurs profits offshore. Pour mettre fin à ces pratiques, ils ont donné mandat à l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Mais s’agit-il d’ajuster les règles existantes ou d’en changer ? La question fait débat.

On observe un grand écart entre la réalité de l’activité des grands groupes et leur structuration comptable. Les États ont-ils capacité d’agir ?

Pascal Saint-Amans – Les États sont souverains d’un point de vue fiscal et leurs fiscalités sont nationales. Or un grand nombre d’entreprises sont multinationales et raisonnent au plan global. Dans ce contexte, elles jouent sur les trous entre les souverainetés. D’où un écart important et problématique entre la localisation des activités, celle de la création de valeur et la localisation des profits qui semble se concentrer dans des juridictions où il n’y a pas de fiscalité et où, finalement, il n’y a pas de réelle activité. C’est pour faire face à ce problème que l’OCDE [Organisation de coopération et de développement économiques] a lancé le projet « Érosion des assiettes fiscales et transferts de profits » (en anglais : BEPS).

Sol Picciotto – Depuis que l’on est entré dans l’ère du capitalisme, les États ont toujours été interdépendants. Dès lors, même si les hommes politiques s’en prévalent, la souveraineté nationale est illusoire. La coopération entre les États est toujours intervenue après l’internationalisation (ou l’intégration), surtout concernant les grandes entreprises. La vraie question est celle de la forme que prend cette coordination. La souveraineté juridique est une chose, la souveraineté économique en est une autre. Voilà l’illusion ! Faute de se coordonner en matière fiscale, les États perdent leur souveraineté économique.

P. Saint-Amans – Certes, l’interdépendance est telle que nul État ne saurait prétendre ne subir aucun impact de la part des autres. Mais il reste le droit : les États veulent bien coopérer mais non harmoniser ; ils tiennent à établir eux-mêmes les règles, dans la mesure où le consentement à l’impôt passe par un processus démocratique. Aussi restent-ils enfermés dans leur cadre national, avec leur « souveraineté fiscale ». La preuve : on a mis un siècle pour lutter contre le secret bancaire.

L’essentiel des échanges internationaux a lieu au sein même des multinationales, entre les filiales d’un même groupe. Les règles (dont le principe « de pleine concurrence ») prévoient que la facturation de ces transactions entre filiales (le prix de transfert) se fasse au « prix du marché ». Sont-elles encore adaptées quand ce commerce porte en grande partie sur des transactions immatérielles (usage de brevet, de la marque, services financiers, conseils, etc.) pour lesquelles il n’existe pas de prix du marché ?

P. Saint-Amans – Le principe de pleine concurrence prolonge l’article 9 du modèle de convention fiscale déjà rédigé par la Société des nations : il faut échanger au sein d’un groupe comme si on commerçait avec un tiers, selon les conditions de marché. Mais en l’absence de transactions comparables, ou quand celles-ci sont complètement intégrées au sein d’un groupe, le principe rencontre des limites. Les règles et l’absence d’harmonisation fiscale aboutissent aujourd’hui à la localisation des profits, par des approches uniquement juridiques, dans des juridictions dans lesquelles il ne se passe rien. Par voie contractuelle, on y localise artificiellement la propriété d’un actif souvent immatériel, le financement et, in fine, le profit. Ce n’était pas l’objectif du principe de pleine concurrence !

Tout dépend de la façon dont les principes directeurs sont rédigés. La valeur des sociétés se concentre aujourd’hui sur les actifs immatériels, le domaine le plus créateur de valeur et le plus facilement délocalisé. Nous tentons de traiter ce risque en priorité. Mais il n’est pas facile de déterminer où se crée la valeur : qui va s’en charger ? Comment ? Les activités financières sont un autre domaine sensible : s’agit-il juste de financement intra-groupe, ou de déplacement des charges à des fins fiscales ? Viennent enfin les activités à risque : peut-on transférer du risque par un simple changement contractuel, sans impact sur l’organisation, sur l’activité ? Les réponses à ces questions ne sont pas simples. Notre plan d’action essaie de les traiter, en composant avec les différences de posture des États et en veillant à garantir la sécurité juridique. Si on s’éloigne de l’analyse des transactions entre filiales, on accroît l’insécurité, mais si on ne regarde que les transactions, on se met dans la main des grands manipulateurs des prix de transfert. Le coût de la sécurité juridique, c’est le coût de l’insécurité budgétaire.

S. Picciotto – En 1928, les premiers modèles de conventions fiscales internationales, établies pour régir le droit de taxer des activités entre plusieurs États, ont été établis en partant de l’idée que les transactions internationales étaient le fait d’entités séparées. Il faut dire qu’à l’époque les modèles ont d’abord été conçus pour régir les emprunts, qui constituaient l’essentiel des investissements internationaux. Mais dès le rapport Carol, en 1932-1933, les autorités fiscales ont pris conscience que, pour le commerce intragroupe, le contrôle des prix de transfert sur la base de transactions comparables (avec un tiers) n’était pas suffisant et qu’il fallait aussi pouvoir comparer les taux de profit des différentes filiales. Les règles n’ont donc pas été établies sur une base logique, mais sur la base de comparaisons avec une concurrence inexistante. Les multinationales, de plus en plus intégrées, en ont tiré profit.

Dans ce contexte, faut-il traiter les défaillances du système, ou en changer ?

S. Picciotto – Il ne s’agit pas d’inventer un système complètement neuf, mais de développer ce qui existe déjà, en apprenant de l’histoire. Dès les années 1930, il apparaissait clairement qu’il valait mieux traiter une multinationale comme une unité globale, dont on partagerait les bénéfices sur une base à définir, mais la solution s’avérait politiquement très complexe. À partir de règles plus ou moins générales, il serait revenu aux experts de départager l’assiette fiscale, au cas par cas. Ces expériences auraient finalement servi de fondement à un système de partage plus équitable. Hélas, on a fait tout le contraire.

« Les fiscs considèrent la multinationale comme un ensemble d’entités séparées, opérant dans des pays différents, ce qui lui laisse toute liberté de déplacer ses bénéfices au gré de ses intérêts fiscaux. » S. Picciotto

Encore aujourd’hui, les fiscs continuent de considérer la multinationale comme un ensemble d’entités séparées, opérant dans des pays différents, ce qui lui laisse toute liberté de déplacer ses bénéfices au gré de ses intérêts fiscaux. Ce système a été mis au point il y a un siècle. Le passage à un système de « taxation unitaire » au niveau mondial permettrait de les imposer en fonction du lieu où elles génèrent vraiment du profit, selon la « substance économique » de leurs activités. Ce critère refléterait la répartition des activités réelles, sur la base d’une formule préétablie, à partir des ventes, des effectifs et/ou d’un autre indicateur. Ce serait plus légitime et plus simple à mettre en œuvre.

Après avoir appliqué le principe de pleine concurrence et persuadé l’OCDE d’adopter leurs propres règles, dans le rapport sur les prix de transfert de 1979, les Américains ont vite compris que le système ne marchait pas. Dès 1981, un rapport pour le Congrès montrait que, dans la plupart des cas, on ne trouvait pas de transactions comparables. En réformant le Code fiscal en 1986, le Congrès a voulu augmenter la part des bénéfices des multinationales américaines attribuables aux « immatériels ». Un conflit de quatre ans s’en est suivi au sein de l’OCDE, qui a fini par admettre qu’une autre méthode était possible : le profit-split, autrement dit le partage du total des bénéfices réalisés par des filiales qui font du commerce entre elles. Mais au lieu de poursuivre dans cette voie, de la systématiser et de l’adapter aux différents secteurs, aux différents types d’entreprises, l’OCDE a continué à défendre le principe de pleine concurrence.

Quand cessera-t-elle d’occulter le problème et fera-t-elle évoluer ses règles, surtout concernant les actifs immatériels ? Je me réjouis que le rapport sur l’économie numérique en parle déjà, mais ce n’est pas un secteur séparé : c’est toute une économie qui se développe, en plus des possibilités d’intégration des multinationales. La méthode du partage des bénéfices ne doit pas être utilisée comme une exception, en dernier recours. C’est en l’utilisant davantage qu’on pourrait aboutir, pas à pas, à un système unitaire plus juste pour imposer les multinationales.

P. Saint-Amans – Il ne s’agit pas de construire un système entièrement nouveau. Selon moi, des méthodes dites de profit-split, qui ne comparent pas seulement des transactions isolées à d’autres, mais des unités plus larges, seraient compatibles avec le principe de pleine concurrence. C’est ainsi que nous cherchons à traiter les problèmes liés à la localisation des profits dans des paradis fiscaux.

Si on devait réinventer le système aujourd’hui, quel serait-il ? Aurait-on une alternative fonctionnelle aux prix de transfert ? Une méthode permettant aux États d’imposer comme ils l’entendent et aux entreprises d’échapper à la double imposition sur leur profit ? On n’aurait sûrement pas un système d’imposition unitaire. Aucune solution alternative n’a réellement été testée, même si le Canada et les États-Unis disposent, très marginalement et de façon peu efficace, d’une taxation unitaire sur les bénéfices des entreprises. Un nouveau système risque de soulever des problèmes plus importants encore que ceux du système actuel. On ne voit pas les États se mettre d’accord sur un partage global des profits des entreprises ! Et techniquement, hormis pour le chiffre d’affaires, la donnée la moins manipulable, fixer la répartition des profits entre États sur la seule base d’un faisceau de deux ou trois critères n’est pas sans inconvénient : dans quel pays va-t-on calculer le profit consolidé ? Améliorons l’existant au lieu de nous embarquer dans une aventure coûteuse et incertaine !

S. Picciotto – Avez-vous vraiment étudié la possibilité d’un système qui traiterait les multinationales en tant qu’entreprises unitaires, ou est-ce un préjugé ?

P. Saint-Amans – Nous n’avons pas consacré de longues études à ces propositions. Pourquoi, d’ailleurs, les États ne les encouragent-ils pas ? Simplement, dès qu’on commence à y réfléchir, de telles montagnes de problèmes surgissent qu’on s’arrête aussitôt. Mettre tous les États du monde d’accord sur un critère pour répartir le profit, est-ce possible ? Qui va empêcher une société de s’incorporer et de consolider ses comptes aux Bermudes ? Qui va vérifier que le profit mondial est bien calculé ?

S. Picciotto – Dire qu’il y a des problèmes est une chose, refuser de les aborder en est une autre. L’approche unitaire présente de gros avantages. Pourquoi l’OCDE n’a-t-elle jamais travaillé sérieusement sur cette proposition ? Les experts en fiscalité s’interrogent. Peut-être n’y a-t-il à l’OCDE que des techniciens de la fiscalité internationale, incapables de questionner le cadre établi. Dès les années 1960, l’OCDE aurait pu développer un projet pour revoir les règles du jeu. Elle ne l’a pas fait.

P. Saint-Amans – Je reconnais la réalité d’une certaine sociologie administrative : les normes sont développées par les gens qui les appliquent. Sortir des cadres de pensée existants n’est pas évident. Il faut toujours une crise pour que les dirigeants s’intéressent à la politique fiscale internationale et permettent de bouger – comme aujourd’hui. Mais l’OCDE est aussi très pragmatique. Elle est chargée d’émettre du jour au lendemain une norme qui permette concrètement de collecter de l’impôt, de limiter l’évasion fiscale et d’éliminer la double imposition. Elle n’a pas, dans ce domaine-là, un rôle d’explorateur. D’autres, comme le Fonds monétaire international, font de la recherche. Attendons leurs conclusions. D’ici là, on peut améliorer sensiblement le système en réparant ce qui ne va pas : le divorce entre la localisation de l’activité et la localisation du profit, notamment dans le domaine de l’immatériel, du financement et des activités à risque.

Des solutions se dégagent-elles d’ores et déjà ?

S. Picciotto – Le mandat reçu du G20 engage l’OCDE à établir un système de règles qui permette d’imposer les entreprises là où elles ont des activités et créent de la valeur. Mais comme l’OCDE essaie de le faire dans le cadre existant, elle risque de complexifier les règles, de susciter davantage de réclamations et de conflits avant d’obtenir un système compréhensible plus ou moins stable. Or le recours à l’arbitrage ne ferait que reporter le problème sur des tiers. Si les règles ne sont pas claires, les arbitres ne peuvent pas les inventer ! Et si chaque pays développe les règles qui lui conviennent, le système sera tellement conflictuel que ce seront peut-être les entreprises elles-mêmes qui demanderont à le simplifier.

P. Saint-Amans –  En effet, les conflits fiscaux se multiplient, d’autant qu’aux prix de transfert s’ajoute le débat « source contre résidence »1. Avec l’affaiblissement du poids économique des pays de l’OCDE et la montée en puissance des pays émergents, les conflits sont de plus en plus palpables entre les pays « sources » [où la valeur est créée] (Chine, Inde, Brésil…) et les pays « de résidence » [d’où sont issus les investisseurs] (États-Unis, certains pays européens). Le travail de l’OCDE a pour objet de restaurer le droit pour les États de taxer, mais aussi d’assurer une sécurité juridique pour les entreprises. Dans un monde fiscalement instable, les risques de double imposition s’accroissent, d’où nos efforts sur l’arbitrage. Certes, l’arbitrage est un pis-aller quand les règles ne sont pas assez claires, mais il est fait pour ne pas être utilisé ! On espère que son existence-même dissuade les administrations de se montrer trop agressives. Il faut réussir à combiner la sécurité juridique des entreprises et leur juste contribution au budget des territoires où elles bénéficient des infrastructures. Le plan d’action est en cours de discussion. On saura en septembre 2014, puis en septembre 2015, si l’on peut aller aussi loin qu’on le souhaite.

« Il faut réussir à combiner la sécurité juridique des entreprises et leur juste contribution au budget des territoires où elles bénéficient des infrastructures. » P. Saint-Amans

Y a-t-il des mouvements prometteurs vers une harmonisation de la fiscalité ?

P. Saint-Amans – Aucune organisation internationale d’États n’opère d’harmonisation fiscale, pas même l’Union européenne. Une certaine convergence s’est certes produite autour de taux un peu moins élevés et d’assiettes un peu plus larges, au cours des vingt dernières années. Nous cherchons, de notre côté, à boucher les trous qui empêchent cette convergence. Prenons un taux d’impôt sur les sociétés de 0 % aux Bermudes, 12,5 % en Irlande et 35 % aux États-Unis. En neutralisant l’utilisation des Bermudes quand il n’y a aucune activité, les systèmes d’impôts sur les sociétés convergeront vers des taux d’imposition un peu plus faibles mais différenciés (autour de 15 % dans les petits pays, autour de 20 % dans les grands pays).

Le droit fiscal ne s’est pas adapté à la vitesse à laquelle évoluait la structuration des grandes entreprises. Quelle est aujourd’hui leur attitude face à la réforme en préparation ?

P. Saint-Amans – La réaction des entreprises doit se lire à plusieurs niveaux. Toute une part du monde des affaires est favorable au statu quo, en particulier parmi les directeurs fiscaux des grands groupes et parmi les juristes, qui allongent volontiers la liste des problèmes (notamment, et non sans fondement, l’insécurité juridique) qui surviendraient. Mais d’autres admettent que le système n’est pas tenable, que les 2000 milliards de dollars de profits détenus par des sociétés américaines aux Bermudes ou aux Caïmans posent problème. Ces entreprises-là, malgré quelques réticences, sont favorables à une remise à plat, dès lors que les règles sont les mêmes pour tous. Enfin, les PDG ont souvent une vision plus globale du groupe : pour eux, la fiscalité n’est finalement qu’un petit élément du chiffre d’affaires et du résultat, qui ne vaut pas la peine de risquer la réputation. Le temps de la planification fiscale très agressive est sans doute en train de passer.

S. Picciotto – Tout dépend de la personne qu’on interroge au sein de l’entreprise ! Les PDG n’en savent souvent rien : ils organisent leur entreprise, mais ce sont des experts fiscaux qui mettent en place tout ce système avec des myriades de filiales. Depuis les années 1960, la fiscalité est devenue une affaire d’experts, qui consultent d’autres experts. Et certains, y compris à l’OCDE, pratiquent le pantouflage : après quelques années, ils vont travailler au sein des quatre grands cabinets spécialisés en comptabilité et en fiscalité2. Ce sont eux que l’OCDE consulte au nom du secteur privé… Comment entendre aussi des PME, peu organisées au plan international ?

P. Saint-Amans – Il existe en effet une sorte de communauté qui vit de la fiscalité internationale. Ce qui ne nous empêche pas de faire bouger des choses. Nous avons ainsi été capables de mettre en route le projet BEPS avant que le G20 ne nous le demande en avril 2012. La consultation des entreprises devrait certes associer davantage les entreprises nationales, et on essaie de le faire. Nos modes de consultation publique sont devenus bien plus transparents, les ONG sont présentes et s’expriment. La fiscalité est au cœur de la politique : il est normal d’avoir des discussions qui ne soient pas limitées aux experts.

Tout un secteur économique prospère sur le conseil en évitement de l’impôt. Selon la New Economics Foundation, pour chaque euro de salaire touché par un conseiller en optimisation fiscale, 37 euros sont détruits en valeur sociale. Cette profession ne contribue-t-elle pas à détricoter le bien commun ?

P. Saint-Amans – Méfions-nous des affirmations un peu rapides ! Il y a deux sortes de conseils en optimisation. Le conseil en « compliance » est prodigué par l’avocat qui s’assure de la conformité aux règles. Mais ce sont les gouvernements, en créant des règles très compliquées, qui entretiennent la profession ! On ne peut pas attendre du contribuable qu’il connaisse la loi quand le Code général des impôts couvre plusieurs milliers de pages et les règles de prix de transfert des centaines de pages. Le second volet pose davantage problème : certains conseillers, certaines banques d’affaires proposent des produits financiers purement fiscaux extrêmement agressifs. En 2006, à Séoul, le Forum des administrations fiscales a pris des positions très fermes à ce sujet. Et aujourd’hui les administrations se montrent plus pugnaces, obligeant par exemple ces intermédiaires à déclarer leurs montages, ou leur répondant : « Vous dites que vous n’abusez pas du droit ? Dans ce cas, on va changer le droit. »

S. Picciotto – Sachant qu’il ne suffit pas d’imposer des règles, l’OCDE a mis en place un programme de « cooperative compliance ». Il est important que ceux qui se chargent de faire appliquer les règles et ceux qui y sont soumis en aient la même interprétation. Mais il faut d’abord que les règles soient justes et claires. Or il faut adapter les règles de la fiscalité à la réalité économique. Lorsqu’on a des règles de plus en plus compliquées, essayer d’établir des normes de façon coopérative aboutira à des marchandages : « - Tu dois payer 100. - Non, je dois payer 20. » Et on se met secrètement d’accord sur 40… C’est très dangereux. Le Royaume-Uni peut en témoigner.

P. Saint-Amans – Plus les règles sont complexes, plus la situation ouvre des opportunités et suscite le besoin de conseils. Mais la fiscalité est compliquée partout. Pour être juste, le droit fiscal doit épouser une réalité qui est extrêmement complexe ! D’où l’importance du processus législatif. Un système fiscal simple est finalement très injuste : avec la flat tax, tout le monde paie la même chose. Si la relation privilégiée entre l’administration fiscale et les contribuables aboutit à des petits arrangements entre amis, c’est manifestement un problème. Mais une relation fondée sur la défiance et l’agressivité n’est pas très saine non plus, ni très civilisée. Favoriser la transparence réciproque et une bonne relation entre le contribuable et l’administration est une bonne chose, qui limite aussi le rôle de l’intermédiaire. Reste que la ligne de démarcation est difficile à tracer.

Propos recueillis par Jean Merckaert, au siège de l’OCDE à Paris, le 27 mars 2014.



J'achète Le numéro !
Comment relégitimer l'impôt ?
Je m'abonne dès 3.90 € / mois
Abonnez vous pour avoir accès au numéro
Les plus lus

Les Marocains dans le monde

En ce qui concerne les Marocains, peut-on parler de diaspora ?On assiste à une mondialisation de plus en plus importante de la migration marocaine. On compte plus de 1,8 million de Marocains inscrits dans des consulats à l’étranger. Ils résident tout d’abord dans les pays autrefois liés avec le Maroc par des accords de main-d’œuvre (la France, la Belgique, les Pays-Bas), mais désormais aussi, dans les pays pétroliers, dans les nouveaux pays d’immigration de la façade méditerranéenne (Italie et ...

L’homme et Dieu face à la violence dans la Bible

Faut-il expurger la Bible ou y lire l'histoire d'une Alliance qui ne passe pas à côté de la violence des hommes ? Les chrétiens sont souvent gênés par les pages violentes des deux Testaments de la Bible. Regardons la Bible telle qu’elle est : un livre à l’image de la vie, plein de contradictions et d’inconséquences, d’avancées et de reflux, plein de violence aussi, qui semble prendre un malin plaisir à multiplier les images de Dieu, sans craindre de le mêler à la violence des...

Un héritage tentaculaire

Depuis les années 1970 et plus encore depuis la vague #MeToo, il est scruté, dénoncé et combattu. Mais serait-il en voie de dépassement, ce patriarcat aux contours flottants selon les sociétés ? En s’emparant du thème pour la première fois, la Revue Projet n’ignore pas l’ampleur de la question.Car le patriarcat ne se limite pas à des comportements prédateurs des hommes envers les femmes. Il constitue, bien plus, une structuration de l’humanité où pouvoir, propriété et force s’assimilent à une i...

Du même dossier

France : « Un niveau élevé de civisme fiscal »

Entretien – Si le contribuable paie rarement ses impôts de bon cœur, le principe de la fiscalité fait malgré tout l’objet d’un consensus social assez large, défendu par la tradition républicaine. En France, ses détracteurs ont toujours su faire entendre leur voix dans le débat public, sans s’agréger autour d’une ligne politique cohérente. De près de 10 % du Pib en 1914, le niveau de prélèvements obligatoires est passé à 45 % de nos jours, se traduisant par un accroissement des biens publics. Aur...

Niche fiscale : attention, chien gentil !

Les avantages fiscaux accordés aux fondations sont-ils légitimes ? Quelles conséquences ont-ils sur notre démocratie ? C’est entendu, dans chaque niche fiscale, il y a un chien qui  risque de mordre. Mais peut-il y avoir des chiens gentils ? C’est toute la question posée par les avantages fiscaux dont bénéficient les associations et les fondations dès lors qu’elles se consacrent à l’intérêt général. Leur niche sert le bien public ? Il y a donc, a priori, une niche légitime. Je vous écris d’aille...

Faut-il augmenter l'impôt sur les hauts revenus?

Le 27 février, François Hollande annonçait sur TF1 son intention de créer un taux d’imposition de 75 % pour les revenus « au-dessus d’un million d’euros par an ». Un débat s’est donc ouvert, en France, sur la réforme de notre système fiscal et, en particulier, sur l’opportunité de taxer davantage les hauts revenus. Bien des aspects entrent en jeu dans une telle réforme – parmi lesquels le rééquilibrage de la fiscalité en faveur du travail (les revenus du capital sont trop favorisés depuis plusi...

1 Ce débat fait référence à l’équilibre à trouver, dans les règles fiscales, entre l’imposition sur le territoire dans lequel la valeur a été créée et l’imposition dans le pays d’origine de l’investisseur [NDLR].

2 KPMG, EY (Ernst & Young), Deloitte, PriceWaterhouse Coopers [NDLR].


Vous devez être connecté pour commenter cet article
Aucun commentaire, soyez le premier à réagir !
* Champs requis
Séparé les destinataires par des points virgules