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Dossier : Comment relégitimer l'impôt ?

Le pacte fiscal au défi de la mondialisation


L’histoire de l’impôt s’enracine sur un territoire. Il en traduit matériellement la solidarité. L’ouverture des marchés, en détachant le capital des territoires qui le produisent, fait vaciller le pacte social sur ses fondements. Comment le réinventer ?

« Payer des impôts, c’est pénible », constatait déjà Salvien de Marseille, prêtre au VIe siècle1. Pourtant, un millénaire et demi plus tard, ils sont partout devenus l’instrument privilégié de financement de la chose publique. Le périmètre est certes variable : là où les pays nordiques y accordent la moitié de leur richesse annuelle, le Mexique n’y consacre que 20 % de son produit intérieur brut (Pib). Mais sur la longue durée, le mouvement est lourd, depuis plus de deux siècles, d’une expansion du domaine de l’impôt et, en incluant les cotisations sociales, des prélèvements obligatoires. La corrélation est d’ailleurs significative, au plan mondial, entre le taux de ces prélèvements et le niveau de développement, économique comme humain. Si la structuration et le poids de la fiscalité diffèrent d’un pays à l’autre, c’est que l’impôt est d’abord l’expression pratique d’un pacte social sur un territoire. En mettant en concurrence ces territoires, la phase actuelle de la mondialisation n’ébranle-t-elle pas le fondement même de l’impôt ? Avec quelle incidence, notamment sur les politiques fiscales françaises ? Comment refonder le pacte fiscal ?

La lente progression du consentement à l’impôt

La Révolution française résulte largement de la contestation du système fiscal. Sous l’Ancien Régime, l’impôt en France se répartit en une fiscalité seigneuriale, une fiscalité d’Église et une fiscalité royale2. Cette dernière sert d’abord au financement des guerres. Les révoltes fiscales sont alors nombreuses, non pas tant contre le principe de l’impôt qu’en opposition à l’arbitraire des prélèvements et à l’opacité des finances de l’État.

En juin 1789, les États généraux décident d’abord de la suppression de l’impôt, auquel ils substituent des « contributions », une appellation censée symboliser l’adhésion plus que le consentement à ces prélèvements. La nuit du 4 août, l’abolition des privilèges a elle aussi une coloration fiscale. L’égalité devant l’impôt est alors reconnue. « Pour l’entretien de la force publique, et pour les dépenses d’administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés3. » Préférant les impôts directs aux prélèvements indirects associés à l’Ancien Régime (comme la gabelle), la Révolution française taxera les terrains (contribution foncière), la rente et le profit (contribution mobilière) ainsi que l’activité économique (patente). Elle refuse en revanche le principe d’asseoir l’impôt sur le travail. Mais, après qu’un recours excessif à l’émission d’assignats entraîne une inflation galopante, c’est l’impôt sur les portes et fenêtres, créé en 1798 dans la veine de prélèvements pratiqués outre-Manche (sans oublier l’époque romaine), qui complétera les « quatre vieilles » au fondement de la fiscalité de l’Empire4. Les legs les plus durables de la Révolution sont peut-être la mise en place d’une administration fiscale centralisée et efficace, ainsi que le lancement du cadastre, qui aboutira cinquante ans plus tard et permettra d’asseoir l’imposition foncière. La société du XIXe siècle, dominée par la bourgeoisie, conservera cet héritage fiscal, auquel elle adjoindra une imposition indirecte (sur les transferts de biens notamment), jugée neutre.]]]

Depuis, l’évolution la plus spectaculaire reste la progression de l’impôt. Au début du XIXe siècle, en France, les prélèvements obligatoires plafonnent encore entre 10 et 15 % du Pib. Après une progression lente au XIXe siècle, ils atteignent aujourd’hui environ 45 % du Pib. Les deux guerres mondiales y ont grandement contribué, légitimant des prélèvements présentés comme exceptionnels, qui seront reconduits. Cette montée en puissance s’est notamment accompagnée de trois mouvements significatifs. Le mieux repéré est le passage d’un État encore essentiellement régalien en 1900 à l’État providence. Les fonctions sociales de l’État progressent à la faveur des mouvements ouvriers et d’un budget public accru hérité des guerres.

Le début du XXe siècle verra apparaître de haute lutte, dans le paysage fiscal français, l’idée de progressivité, avec l’impôt sur les successions en 1901 et celui sur le revenu, voté en 1914 et devenu progressif dans les années 1920. À l’issue de la Grande Guerre, l’idée s’impose que l’effort de reconstruction nécessite une contribution plus élevée des plus riches. En 1924, le taux marginal d’imposition atteindra 90 %, son plus haut niveau historique ! Alors qu’il n’avait auparavant d’autre fonction que le financement public, justifiant une certaine proportionnalité5 dans les prélèvements, l’impôt se voit désormais assigner un rôle redistributif.

Une troisième dimension structurante est le recours aux prélèvements « indolores » pour faire face aux demandes croissantes de services sociaux. La taxe sur la valeur ajoutée (TVA) fut introduite en 1954. Depuis les années 1970, si le taux de prélèvements obligatoires a fortement progressé en France (de 34 % du Pib en 1970 à 45 % en 2012), ce n’est pas au bénéfice de l’État (dont la part dans le Pib diminue, de 19 % à 14 % sur cette période)6, mais au profit des collectivités locales (de 3 % à 6 % environ) et surtout pour le financement de la Sécurité sociale. La hausse des cotisations sociales depuis les années 1970, conjuguée à la création de la contribution sociale généralisée (CSG) en 1991 (qui rapporte aujourd’hui 90 milliards d’euros), a fait doubler la part de celle-ci dans le Pib en quarante ans (de 12 % à 24 % du Pib environ). Contrairement à certaines idées reçues, le poids de l’État et des collectivités dans l’économie est plus faible en France que dans la moyenne des pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Celui de la Sécurité sociale est très nettement supérieur.

Ces tendances lourdes ne doivent pas masquer le profond ancrage de l’impôt dans une réalité, ce qui se traduit par sa dimension évolutive, au gré des demandes sociales et des contestations, des instruments de mesure de l’assiette fiscale et des outils de collecte. Il n’est pas indifférent, par exemple, que l’impôt sur le revenu repose sur le ménage et non sur l’individu. Il épouse ainsi l’objectif nataliste du quotient familial, mais surtout la structuration et les valeurs fondamentales de la société : lieu essentiel de transmission, la famille l’est tout autant dans sa dimension concrète – celle des successions. Si l’idée progresse d’une individualisation de l’impôt sur le revenu, c’est parce que l’argument d’équité est bien documenté (le quotient favorisant les familles aisées), mais aussi parce que la cellule familiale perd de sa centralité dans l’organisation sociale.

Le système fiscal n’est devenu complexe, au fond, que parce qu’il épouse une réalité sociale elle-même complexe, qu’il résulte d’une histoire mouvementée. Or son évolution est aujourd’hui surdéterminée par l’ouverture des marchés, au point d’affecter profondément l’impôt dans ses fonctions, notamment dans sa capacité à demeurer l’expression concrète d’un pacte social fédérateur.

À l’heure des territoires en concurrence

On résumera en cinq « R » les fonctions que l’impôt se voit confier en théorie : ressources (la levée de recettes pour l’État et les collectivités), redistribution, révision de certains prix (on parle aussi de fiscalité comportementale, concernant l’alcool, le tabac…), régulation (commerce, incitations à investir dans tel secteur…) et enfin représentation, tant la contribution aux finances de l’État est intimement liée à la possibilité de s’exprimer, par le truchement de la démocratie représentative, sur l’usage des fonds publics. « No taxation without representation », clamaient les indépendantistes américains en 1776.

Or l’ouverture des frontières, presque totale pour les flux de capitaux, très avancée pour les biens et services, contraint fortement l’exercice de ces rôles potentiels de l’impôt. Le souci constant des administrations fiscales est d’être techniquement capable de prélever, ce qui suppose de pouvoir asseoir la fiscalité sur des données. Aux côtés des fenêtres ou même des billards, qui ont pu fournir cette assiette fiscale simple à déterminer, à des époques où les volumes de revenus et de patrimoines étaient méconnus, les échanges commerciaux ont longtemps constitué une base imposable essentielle, particulièrement là où l’administration fiscale est mal outillée. Or la libéralisation des échanges, au-delà des espaces ouverts comme l’Union européenne (UE), a privé de nombreux pays de recettes douanières. Celles-ci apportaient ainsi 56 % des recettes fiscales au Cameroun en 1992, mais seulement 35 % en 2000. Les accords du Gatt (Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce), puis de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) sont passés par là, avant que les accords bilatéraux, dont les accords de partenariat économique (APE) entre l’Union européenne et les pays d’Afrique, ne parachèvent le mouvement.

La libéralisation financière a aussi ouvert la porte aux capitaux en quête de cieux fiscalement plus cléments. Si le phénomène des paradis fiscaux, déjà combattu par la Société des Nations dans les années 1920, n’est pas nouveau, il explose dans les années 1970 et 1980. Dans un contexte de concurrence internationale féroce, de nombreux petits territoires voient leur salut dans l’attraction des capitaux les plus mobiles, moyennant deux arguments clés : la faiblesse de l’impôt et le secret. De grandes fortunes y élisent domicile, au point que les actifs financiers détenus offshore pourraient atteindre 30 000 milliards de dollars aujourd’hui7. Les entreprises transnationales se structurent de façon à transférer leurs profits dans leurs filiales – parfois fantômes – des paradis fiscaux. La Revue Projet a ainsi montré qu’un grand groupe européen y possédait en moyenne plus de 100 filiales et que le phénomène n’était pas étranger aux entreprises françaises8. Cette « richesse cachée des nations »9, combinaison des actifs financiers de riches particuliers, de profits déplacés des entreprises et du butin du crime organisé, est une « assiette » fiscale par nature difficile à imposer… même si le fisc essaie d’allonger sa fourchette !

Dès lors que certains États offrent l’impôt zéro pour attirer les richesses à l’insu du territoire où elles ont été créées, le phénomène de concurrence fiscale s’étend à la planète entière. Pour trouver à employer sa main-d’œuvre, chaque État y va de sa stratégie pour attirer les capitaux. Au sein même de l’Union européenne, toute décision en matière fiscale requérant l’unanimité, le dumping fait rage10. Le Luxembourg de Jean-Claude Juncker, dont le Pib par habitant est le plus élevé de l’UE, a ainsi bâti toute la prospérité sur cette stratégie.

Le privilège de la mobilité

« Le différentiel de mobilité est un élément structurant de l’exploitation de l’autre. [Des] acteurs éprouvent une certaine indifférence par rapport à l’endroit où ils s’installent. Ceux-là font pression sur ceux qui demeurent attachés à des lieux : ils négocient des conditions économiques extrêmement avantageuses11. » En matière fiscale, le constat se vérifie chaque jour. Le chantage à l’exil – doublé d’un chantage à l’emploi – est récurrent de la part des plus mobiles (financiers, grandes entreprises et grandes fortunes) et largement médiatisé. Avec une efficacité éprouvée. Les taux d’imposition qui leur sont pratiqués diminuent. Dans les pays de l’OCDE, le taux moyen d’impôt sur les sociétés (IS) est passé de 37 % en 1993 à 25 % en 2011. Les 50 % encore pratiqués en France en 1985 sont désormais bien loin : Manuel Valls a annoncé une nouvelle baisse à 28 %. Quant aux taux marginaux supérieurs de l’impôt sur le revenu (appliqués sur la tranche la plus élevée des revenus), ils n’ont cessé de chuter pour atteindre à peine 45 % aujourd’hui contre 90 % jadis12.

Il est un autre mouvement, moins visible, mais plus avantageux encore pour ces riches contribuables (et plus coûteux pour l’État), consistant à « miter l’assiette fiscale », autrement dit à réduire par de multiples exceptions la base imposable. Les près de 300 000 contribuables assujettis à l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF), bien conseillés, savent en tirer profit13. Les grandes entreprises aussi : grâce notamment au crédit impôt recherche ou aux abattements sur les intérêts d’emprunt, les groupes du CAC40 ne consacrent guère que 8 % (et non 33 %) de leurs bénéfices nets à l’impôt en 2009.

Devenu lourdement déficitaire, l’État doit trouver les moyens de se financer. Bercy a beaucoup privatisé aussi depuis trente ans, empochant plus de 100 milliards d’euros. Mais cette source de financement se tarit peu à peu. Ayant renoncé dans les années 1970 au recours à la création monétaire par la Banque centrale, l’État s’endette. Au point de consacrer aujourd’hui 15 % du budget de l’État au remboursement des emprunts. Il lui faut bien, in fine, trouver les recettes fiscales pour honorer la dépense et la dette. Même si « les trois plus gros détenteurs de la dette française sont le Luxembourg, les îles Caïmans et le Royaume-Uni14 »…

Un système injuste

Le report de l’impôt s’opère vers les moins mobiles, consommateurs, propriétaires fonciers et petites et moyennes entreprises (PME) au premier chef. Entre 1994 et 2011 en France, le produit de la TVA a doublé, celui de la taxe foncière a presque triplé, les recettes des prélèvements sur les entreprises ont plus que doublé15, tandis que la progression des recettes se limitait à 25 % pour l’impôt sur le revenu16. Depuis 2011, la TVA continue de progresser (142 milliards d’euros), le rabotage des niches fiscales et le gel des barèmes ont accru la contribution des ménages au titre de l’impôt sur le revenu (74 milliards prévus en 2014). En revanche, le gouvernement n’attend des entreprises que 39 milliards d’euros d’IS pour 201417 (contre 54 milliards en 2013)… Sur la conjoncture morose vient se greffer le crédit d’impôt compétitivité emploi.

L’ensemble de ces évolutions conduit à plusieurs injustices. La TVA demeure la clé de voûte du système fiscal (47 % des recettes fiscales de l’État en 2013) : les 10 % des ménages les plus pauvres y consacrent 17 % de leurs revenus quand les 10 % les plus riches y dédient moins de 8 % de leurs revenus18. Parmi les entreprises, les plus grandes paient nettement moins, en proportion de leurs bénéfices, que les PME. Parmi les ménages, la progressivité est très faible au sein des 95 % des Français les moins riches19. Parmi les 5 % les plus aisés, le mouvement devient clairement régressif, les 0,1 % les plus aisés contribuant même moins à l’impôt, en part de leurs revenus, que les ménages pauvres20.

Tous les contribuables ne sont pas égaux, non plus, face à la sanction de la fraude fiscale. Des bataillons de juristes et de financiers vivent des conseils qu’ils prodiguent à de riches particuliers et à de grandes entreprises pour échapper à l’impôt. Les stratagèmes utilisés visent à rendre la fraude soit indécelable (par l’enchevêtrement de structures opaques), soit difficile à caractériser pénalement. Or le fisc ne veut pas prendre le risque de perdre devant le juge ce qu’il pense pouvoir recouvrer par la négociation. Quand il doit arbitrer entre efficacité et justice, le fisc [il] fait toujours le premier choix. Comme il est le seul, en France, à pouvoir alerter la justice en cas de fraude fiscale, il en résulte un recours quasi systématique à la transaction s’agissant de très gros contribuables. Liliane Bettencourt, Amazon ou Google s’en sortent éventuellement avec un redressement fiscal salé, mais ils échappent à toute sanction pénale et même à toute publicité de la sanction. Contrairement au fisc américain, Bercy préfère l’encaissement discret du redressement à la force dissuasive de la peine. La capacité de négocier n’est certes pas offerte à qui veut : le plombier ou le buraliste qui aura délibérément masqué ses revenus au fisc pourra avoir à en répondre devant la justice.

Contrairement au fisc américain, Bercy préfère l’encaissement discret du redressement à la force dissuasive de la peine.

« Ce qui est intolérable, c’est que tous ne supportent pas la charge commune : ce sont les pauvres qui paient pour les riches », s’indignait Salvien de Marseille au VIe siècle. La France n’en est pas encore tout à fait là, la dépense publique jouant un certain rôle, malgré tout21, dans la réduction des inégalités. Mais, à terme, la contrainte sur la politique fiscale pourrait saper les fondements du consentement à l’impôt.

À quoi consent-on ?

Déjà celui-ci semble s’effriter, sinon dans les faits, du moins dans l’opinion. Car toutes les fonctions de l’impôt sont mises à mal. Sans prétendre ressusciter l’enthousiasme autour de l’impôt dont rêvaient les révolutionnaires français – et qui est toujours resté un rêve –, comment motiver la levée de recettes pour l’État si le seul horizon politique est désormais un amoindrissement des contreparties (fournies sous forme de services publics) ? Comment prétendre mieux répartir les richesses par un prélèvement différencié de l’impôt quand les statistiques démontrent une redistribution au profit d’une petite minorité ? Même la fonction corrective de l’impôt est mise en cause dans un monde ouvert : la fiscalité sur le tabac est décriée comme anticoncurrentielle dans les zones frontalières. Plus grave, l’éco-fiscalité peine à s’imposer en France au motif qu’elle nuirait à la compétitivité… Quant à la fonction régulatrice de l’impôt, avancée par les promoteurs de la taxe sur les transactions financières, elle a été rejetée devant la menace, là aussi, d’une fuite des capitaux sous des cieux fiscalement plus cléments. Ces mêmes financiers ne rechignent pourtant pas à faire appel au contribuable en cas de crise ou pour rembourser rubis sur l’ongle leurs prêts souverains. « Ce sont les riches qui, de temps en temps, décident d’augmenter le montant des impôts, mais ce sont les pauvres qui paient pour eux », s’indignait Salvien de Marseille.

En ouvrant sans contrepartie les frontières au commerce et aux capitaux, nos dirigeants ont adhéré à l’idée de la prospérité collective née de l’échange. Ils n’ont sans doute pas mesuré combien, par le même mouvement, ils fragilisaient le territoire auquel ils doivent leur légitimité. Le prélèvement de l’impôt, tout comme la démocratie représentative, se sont construits et ancrés dans des territoires bien délimités. Dès lors que les frontières volent en éclat pour un grand nombre d’acteurs économiques, non seulement la territorialité de l’impôt est mise à mal (cf. l’article d’Hervé Singer dans ce dossier), mais aussi le pacte social qui lui sert de substrat. Quand la pratique d’évitement de l’impôt par tous moyens atteint jusqu’au ministre du Budget, à l’insu du chef de l’État, faut-il s’étonner que 25 % des Français soient tentés d’omettre de déclarer une partie de leurs revenus22 ? C’est l’impôt comme expression concrète d’un sentiment d’appartenance collective sur un territoire qui est aujourd’hui menacé.

C’est l’impôt comme expression concrète d’un sentiment d’appartenance collective sur un territoire qui est aujourd’hui menacé.

Face à la puissance conquise par les acteurs économiques les plus mobiles au détriment des liens qui se tissent sur un territoire, plusieurs attitudes sont possibles23. Admettre que la mobilité est un privilège invite à l’assortir de contreparties, dont la transparence et la responsabilité. Les États pourraient bien sûr unir leurs forces pour déjouer leur mise en concurrence… mais l’harmonisation fiscale s’apparente, hélas, même au niveau européen, à un serpent de mer. Enfin, si l’on admet que la fluidité soulève de tels défis, serait-ce un sacrilège de la ralentir ? Moyennant, par exemple, une taxation véritable des transactions financières ou d’autres barrières à la sortie des capitaux, invitant leurs détenteurs à honorer la dette sociale24 contractée sur le territoire qui les a enrichis… Faute d’un tel sursaut, nous nous étonnerions, avec Salvien de Marseille, « que tous les pauvres et les indigents n’aillent pas rejoindre les Barbares ».



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1 Cité dans Lucien Jerphagnon, Les divins Césars. Idéologie et pouvoir dans la Rome impériale, Tallandier, 2004. Je remercie Matthieu Calame de me l’avoir signalé.

2 Sur l’histoire de l’impôt en France, voir notamment : Nicolas Delalande, Les batailles de l’impôt, Seuil, 2011 ; Jean-Édouard Colliard et Claire Montialoux, « Une brève histoire de l’impôt », Regards croisés sur l’économie, n° 1, 2007.

3 Article 13 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen.

4 Quoi que poussant les ménages pauvres à renoncer aux fenêtres, cet impôt, facile à calculer et à percevoir, ne sera supprimé en France qu’en 1926.

5 Les fiscalistes distinguent l’impôt per capita (chaque contribuable verse le même montant quel que soit son revenu), l’impôt proportionnel (chacun verse un même pourcentage de ses revenus) et l’impôt progressif (la part des revenus consacrée à l’impôt augmentant avec les revenus).

6 Cf. les deux billets publiés par Olivier Berruyer en novembre 2011 sur son site Les-Crises.fr : « Prélèvements obligatoires en France » (02/11/2011) et « Prélèvements obligatoires dans le monde » (04/11/2011). Se référer aussi au projet de loi de Finances 2014.

7 Cf. J. Merckaert, « Paradis fiscaux : l’industrie du secret », Revue-Projet.com, 21/05/2013. Le bas de la fourchette est estimé autour de 6000 milliards de dollars. Le haut est fourni par James Henry, « The Price of Offshore revisited », Tax Justice Network, juillet 2012.

8 Cf. J. Merckaert et Hortense Landowski, « Multinationales européennes : 5848 filiales dans les paradis fiscaux », Revue-Projet.com, 12/06/2013 ; J. Merckaert, « Qu’emporte le CAC40 au paradis ? », Revue-Projet.com, 12/02/2014.

9 Pour reprendre le titre de l’enquête de Gabriel Zucman sur les paradis fiscaux (Seuil, 2013).

10 Cf. Éric Walravens, Dumping fiscal. Enquête sur un chantage qui ruine nos États, Institut Veblen/Les Petits matins, 2014.

11 Ève Chiapello, « Le développement durable a besoin de scandales pour avancer », Revue Projet, n°324-325, décembre 2011, pp. 53-60.

12 La diminution sous N. Sarkozy du nombre de tranches de l’impôt sur le revenu à quatre a, elle aussi, amoindri la progressivité de cet impôt.

13 Cf. Thomas Piketty, Camille Landais et Emmanuel Saez, Pour une révolution fiscale. Un impôt sur le revenu pour le XXIe siècle, Seuil, 2011.

14 Patrick Artus, cité dans Ivan du Roy, « La dette de la France, un secret bancaire ? », Basta !, 12/01/2012.

15 Les premières études sur l’impact de la suppression de la taxe professionnelle en 2010 et son remplacement par une contribution économique territoriale font apparaître une stabilisation à la hausse des recettes.

16 Source : Direction générale des Finances publiques.

17 Direction du Budget, « Le budget de l’état voté pour 2014 en quelques chiffres », ministère de l’Économie et des Finances, janvier 2014.

18 Observatoire des inégalités, « La TVA est-elle juste ? », www.inegalites.fr, 08/11/2012.

19 Les 10 % les plus pauvres consacrent 40 % de leurs revenus aux impôts, le chiffre plafonnant à 49 % pour les plus riches de ces 95 %.

20 Cf. Pour une révolution fiscale, op. cit.

21 Même si le budget de l’éducation investit, pour les 10 % qui effectuent de longues études (souvent les plus aisés), deux fois plus (200 000 € par tête) que pour les 10 % dont la scolarité est la plus courte. Cf. Pierre Merle, « À qui profitent les dépenses éducatives », www.laviedesidees.fr, 22/05/2012.

22 Sondage RTL/Louis Harris pour l’émission Capital, sur M6, cité dans Rachel Magral et Gwënola Kerglonou, « Fraude fiscale : l’État doit passer à la force de dissuasion », Lemonde.fr, 05/05/2014.

23 Ces différentes pistes sont développées plus en détail dans Mathilde Dupré et J. Merckaert, « Paradis fiscaux : la souveraineté à l’épreuve de la mobilité », Ceriscope.sciences-po.fr, décembre 2013.

24 Cf. Gaël Giraud, « La mobilité du capital, un péché ? », Revue Projet, n°335, août 2013.


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