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Dossier : Quels pouvoirs ont les victimes ?

La victime contre le prévenu ?

© Dan4th/Flickr/CC
© Dan4th/Flickr/CC
La victime occupe désormais une place importante dans le procès pénal. Est-ce, pour autant, la bonne place ? Que devient la présomption d’innocence si la parole de la victime est irrécusable ? Prendre en charge les victimes demande aussi de s’interroger sur la place et sur la parole accordées aux prévenus.

L’émergence du sujet du « droit des victimes » est indissociable d’un mouvement progressif d’émancipation autour des droits de l’homme. Il s’est développé sur le socle des idées du siècle des Lumières, socialement, puis politiquement et enfin juridiquement, depuis le XIXe siècle dans les lois des États, avec l’appui des organismes internationaux. Ces mutations concernent d’abord les droits des femmes et les droits de l’enfant, puis ceux des minorités sexuelles ou ethniques. D’autres évolutions portent non plus sur des personnes, mais sur des « objets » ou droits « sociaux » : le droit au logement, à la santé… Ce mouvement général constitue un progrès incontestable, même s’il s’est parfois accompagné d’effets pervers.

D’un point de vue plus institutionnel et pour en venir à notre sujet, il est intéressant de relire le rapport remis en 1977 et commandé par le garde des Sceaux Alain Peyrefitte. Il représente une étape essentielle quant au souci de l’État de définir des politiques de prévention de la délinquance et de la récidive. Or à aucun moment dans ce volumineux rapport la question des victimes et de leurs droits n’est posée : il est question d’un ordre public, dont il semble implicite qu’à lui seul il résoudra les problèmes.

Mais finalement, sa mise en œuvre est survenue à travers les préconisations d’un autre rapport, publié après l’alternance politique du 10 mai 1981 : celui de Gilbert Bonnemaison (décembre 1982) qui affirme que la prévention de la délinquance et les réponses à y apporter ne sont plus l’apanage de la police et de la justice, conformément à l’une des analyses majeures du rapport Peyrefitte. Et, pour la première fois, il y est question des victimes et des moyens à mettre en œuvre pour voir leurs droits respectés. Un bureau de l’aide aux victimes sera d’ailleurs créé place Vendôme en 1982.

Nous tenterons ici une sorte d’état des lieux à partir d’une expérience de praticien et de témoin, après quarante années d’exercice de diverses responsabilités au sein de la justice et, parallèlement, au sein de l’Association française de criminologie, pour dégager quelques lignes de force ou tendances à partir desquelles des progrès sont possibles et nécessaires. L’intérêt de la criminologie est de pouvoir passer le crime et le phénomène criminel au tamis des nombreuses disciplines qui la constituent pour mieux l’appréhender en tant que tel, et de pouvoir ainsi mieux définir les politiques publiques pour le prévenir ou réduire ses conséquences. En effet, la question des victimes pose des problèmes politiques, philosophiques, juridiques, et oblige à mobiliser aussi bien la psychiatrie ou la psychologie sociale et clinique que la sociologie ou l’anthropologie. La criminologie a d’ailleurs elle-même généré une de ses branches, la victimologie, qui s’enseigne dans certaines de nos universités et dans les écoles professionnelles de praticiens du droit, de la psychologie ou de la psychiatrie.

Essai d’un état des lieux

Pour s’en tenir au système pénal, on peut essayer, afin de mieux donner à voir la complexité et les enjeux du sujet, de repérer les ressentis et les positionnements extrêmes sur ces questions.

On vient de loin. Les victimes n’ont pas tort de se plaindre d’avoir du mal à se faire entendre. Car, de fait, elles réclament, elles dérangent notre tranquillité, celle des institutions auxquelles elles s’adressent, auprès desquelles elles peinent d’autant plus à se faire comprendre qu’elles sont souvent dans la confusion ou la colère. Elles supportent mal qu’on exige d’elles d’apporter la preuve de leur préjudice et de ce que celui-ci a été causé par celui qu’elles désignent, quand elles le savent.

Les victimes supportent mal qu’on exige d’elles d’apporter la preuve de leur préjudice et de ce que celui-ci a été causé par celui qu’elles désignent, quand elles le savent.

Et pourtant – outre que tout le monde se souvient de « fausses victimes » ayant dénoncé des faits imaginaires–, on voit bien que certaines victimes réussissent à mobiliser l’opinion, voire les pouvoirs publics au plus haut niveau, auxquels il est arrivé de bafouer gravement la présomption d’innocence des mis en cause et de compromettre la sérénité et l’impartialité de la justice. Nous n’épiloguerons pas sur cette dérive, en rappelant tout de même qu’elle fait des ravages considérables compte tenu des méthodes auxquelles recourent certaines associations. À cet égard, l’association Légitime défense des années 1970 a été largement dépassée par l’Institut pour la justice grâce à ses réseaux et à son puissant marketing : protéger les victimes implique avant tout d’aggraver la répression…

Cette exploitation du thème des victimes par les politiques fut d’ailleurs à l’origine de la création éphémère d’un secrétariat d’État aux victimes, ainsi que de l’instauration par Rachida Dati de cette aberration : un juge des victimes (aujourd’hui, il n’y en a plus un seul dans les juridictions).

Reste un symptôme : la difficulté est telle pour les responsables politiques face au risque d’apparaître comme n’assurant pas leur défense que, malgré plusieurs réformes successives de la Cour d’assises, le serment que prêtent solennellement les jurés au moment de leur prise de fonction reste entaché d’une concession étonnante faite aux associations de victimes. Il leur était manifestement insupportable que celles-ci soient renvoyées jusqu’au verdict à ce qu’elles sont pourtant, une victime présumée et/ou une partie civile : « Vous jurez et promettez (…) d’examiner avec l’attention la plus scrupuleuse les charges qui seront portées contre l’accusé, de ne trahir ni les intérêts de l’accusé, ni ceux de la société qui l’accuse, ni ceux de la victime » (article 304 du Code de procédure pénale).

N’avons-nous pas tendance à en rester ici sur une sorte de doxa contestable en regard de ses effets sur les politiques pénales de plus en plus répressives, mais aussi de l’intérêt même des victimes ? Christian Mormont, enseignant de l’Université de Liège, est sans doute l’un des praticiens et auteurs parmi les plus clairs à ce sujet : « Le discours sociopolitique en vogue sur ce point soutient (…) que la victime ne peut espérer guérir que si justice est faite. (…) Sous les apparences d’une tutelle bienveillante se dessine une tout autre réalité. En s’en tenant au plus simple, il tombe sous le sens que s’en remettre à la justice est dangereusement imprudent et cela pour plusieurs raisons :

-       on sait que la justice est lente et qu’entre la connaissance d’un fait et la fin de la procédure judiciaire, il se passe souvent des années ;

-       les procédures qui garantissent le respect des parties en cause ne garantissent évidemment pas l’aboutissement désiré d’une plainte ;

-       une accusation sans preuve ne peut pas aboutir ; or, la preuve, dans bien des cas, est manquante ou difficile à établir ;

-       la mesure de la peine est fixée par le code et non par la volonté de la victime.

La justice n’est pas un bon parent qui récompense et punit en fonction de l’idée qu’on se fait d’une morale rétributive, elle est une institution qui évalue le degré de conformité qui existe entre la réalité et le code.

Tous ces éléments font qu’il y a une probabilité élevée que la victime soit figée pour un temps long dans la souffrance et soit frustrée, au bout du compte, par l’échec total ou partiel de la procédure. »

Cette analyse reste pourtant inaudible en dehors de la pratique clinique au cas par cas, face à des campagnes démagogiques. Le Conseil constitutionnel vient pourtant de le rappeler, la place de la partie civile dans notre procédure pénale est clairement définie : la partie civile peut faire appel d’une relaxe, mais cela ne concerne que ses intérêts, pas la condamnation. Elle n’a pas la main sur l’action publique.

Quelques avancées

Au cours de ces dernières années, on peut toutefois considérer que d’importants progrès ont été faits aussi bien dans la loi, dans le fonctionnement des institutions, que dans les mentalités. Une véritable politique publique d’aide aux victimes s’est mise peu à peu en place. Citons, pour mémoire, la création du Fonds de garantie d’indemnisation des victimes d’actes de terrorisme et autres infractions (1986), puis celle des commissions d’indemnisation des victimes d’infractions pénales, la mise en place avec les services hospitaliers d’un réseau d’unités médico-judiciaires sur tout le territoire pour prendre en charge les victimes de violences de toute nature, le développement d’un réseau d’associations d’aide aux victimes (à ne pas confondre avec les associations « de » victimes) auprès des juridictions et dans les maisons de justice et du droit.

Parallèlement, plusieurs réformes de procédure pénale se sont succédé au gré des alternances politiques : elles ont renforcé les droits des parties civiles dans notre système de procédure à dominante inquisitoire où celles-ci avaient à juste titre bien souvent le sentiment d’être « la dernière roue du carrosse ». Ces progrès ont été confortés par plusieurs textes internationaux qui reconnaissent aux victimes de la criminalité des droits fondamentaux.

Au-delà de ce qui a été institué par la loi, les mouvements d’opinion, y compris les plus contestables, ont aussi fait évoluer les pratiques des institutions et des professionnels. D’abord, les progrès de la police scientifique, mais aussi ceux des méthodes d’enquête et d’audition, le plus grand respect des formes et des procédures, la culture du doute et de la prudence ont apporté beaucoup à la défense et (mais on le voit moins) aux plaignants : les procédures sont plus fiables, tout le monde y gagne et cela rassure.

Le plus grand respect des formes et des procédures, la culture du doute et de la prudence ont apporté beaucoup à la défense et aux plaignants.

J’ai pu mesurer à travers des années de lecture de dossiers correctionnels ou criminels combien les garanties de procédure, mais aussi la qualité des interventions des services d’enquête et des juges s’étaient améliorées : le recours aux sciences humaines et, en particulier, à la psychologie sociale et clinique, a contribué à enrichir les formations des enquêteurs et des magistrats à l’écoute des justiciables, prévenus et parties civiles. Les associations, fondamentalement soucieuses d’améliorer le fonctionnement de nos institutions, ont joué un rôle essentiel. Je pense en particulier à l’association Aide aux parents d’enfants victimes dont les responsables ont su dépasser les « mauvais traitements » qu’ils ont dû subir de la part des institutions, pour s’engager, dans le respect d’une déontologie à toute épreuve, à faire comprendre les évolutions nécessaires dans les pratiques professionnelles : c’est de son président, Alain Boulay, que j’ai appris, il y a plusieurs années, que des parents d’enfants violés et/ou tués recevaient par courrier l’ordonnance de non-lieu du juge d’instruction qui se fondait sur l’absence de discernement du prévenu au moment des faits. Il semble que, depuis, la pratique consistant à convoquer les parties civiles pour leur expliquer la décision se généralise.

Au-delà des conduites des policiers ou des magistrats, c’est le fonctionnement des juridictions et la loi qui ont évolué : l’organisation du rôle des audiences en fonction de la présence ou non de parties civiles dans des affaires particulièrement douloureuses est devenue habituelle. De plus, la partie civile peut négocier pour qu’une affaire criminelle soit jugée en correctionnelle. Ces exemples montrent qu’une plus grande place est désormais accordée aux victimes.

Quelles perspectives ?

Nous nous bornerons à évoquer ici quelques réflexions. Les excès des associations « militantes de causes », de minorités ethniques, religieuses ou sexuelles prennent souvent un tour abusif et font craindre le développement de communautarismes. Mais si on les replace dans l’évolution longue du temps, du droit et des mentalités, elles ont aussi joué un rôle. Par exemple, dans les affaires d’excision, le Planning familial a longtemps compensé les carences des parquets. À l’opposé, on ne peut que déplorer l’exigence de certains mouvements féministes de voir déclarer le viol imprescriptible en l’assimilant ainsi à un crime contre l’humanité. Les droits catégoriels ou de communautés particulières ne sauraient remettre en cause ceux qui fondent notre condition humaine commune et universelle.

Quant au débat judiciaire, il ne saurait se réduire à un affrontement « parole contre parole » à équivalence de « poids », car la présomption d’innocence du prévenu doit nécessairement être placée au-dessus de celle de la bonne foi de la partie civile. Les mettre sur le même plan, en équivalence d’effets, reviendrait à fausser l’équilibre sur lequel repose toute procédure pénale « civilisée ». Il faut donc parvenir à affirmer à la fois que la victime-plaignante doit être « présumée de bonne foi », et que cette présomption, pour nécessaire qu’elle soit, ne saurait avoir la même portée que la présomption d’innocence du prévenu. Pourquoi ? Parce que c’est la partie civile qui déclenche et est à l’initiative de la saisine de la justice, contrainte alors de se prononcer sur les faits que le plaignant dénonce et d’apprécier la pertinence de sa saisine. En examinant scrupuleusement les charges pesant contre le prévenu. La présomption d’innocence s’impose donc à tous, y compris aux parties civiles, et d’abord au ministère public. Elle nous protège contre l’arbitraire : c’est elle qui contraint heureusement l’accusation à établir les charges contre le mis en cause. Elle fonde notre droit, toute notre procédure pénale, basée sur l’appel à la « raison », et qui s’est substitué à l’ordalie ou à la torture.

La présomption d’innocence s’impose à tous. Elle nous protège contre l’arbitraire : c’est elle qui contraint l’accusation à établir les charges contre le mis en cause.

Tous les citoyens, soupçonnés d’être les auteurs comme victimes déclarées, ont besoin de cette loi commune qui s’impose et nous lie dans la même société. Si, à l’inverse, la présomption de bonne foi du plaignant prenait le pas sur la présomption d’innocence du prévenu, cela reviendrait à remettre en question le principe selon lequel mieux vaut un coupable dehors qu’un innocent en prison, auquel, espérons-le, tout homme civilisé reste attaché.

Pourtant, on le mesure, y compris dans des situations quotidiennes voire triviales, dans les rapports avec tel commerçant ou telle administration à qui l’on a des reproches à faire : la victime supporte difficilement que « sa » vérité, si elle est authentique, soit mise en doute. D’où la nécessité, pour le plaignant, d’être soutenu pour être aidé à comprendre qu’il lui faut apporter la preuve de la réalité de son dommage et de l’infraction qui en est à l’origine. Et d’être soutenu pour mieux faire face à l’enquêteur qui enregistre sa plainte, ou au juge qui écoute son témoignage, et ne pas s’écrouler en imaginant que puisqu’on ne la croit pas « sur parole », c’est qu’on la soupçonne de mentir, que c’est elle qu’on accuse !

Sortir de l’affrontement auteur-victime

Un procès dont je garde le sentiment qu’il s’était déroulé « au mieux » pour le prévenu et pour la partie civile m’a beaucoup éclairé à ce sujet. L’accusé reconnaissait avoir violé la partie civile, dans un escalier mal éclairé, sous la menace d’un couteau. La partie civile était terrorisée face à ce jeune homme dont elle n’avait jamais vu clairement le visage. Aucune confrontation n’avait été opérée, sans doute parce que les faits étaient reconnus sur l’essentiel.

Je n’ai compris la stratégie de l’avocat de la partie civile (Me Lef Forster) qu’à la fin des débats : intervenant le premier dans l’ordre fixé par le code de procédure pénale, il s’était employé à poser un nombre considérable de questions à l’accusé (sur sa personnalité, sa biographie, sa vie quotidienne à l’époque des faits…). J’ai eu le sentiment, confirmé par l’analyse des jurés en délibéré, qu’au fur et à mesure que l’accusé répondait, il se défaisait, aux yeux de la partie civile, de son image de « monstre sans visage », pour apparaître tel qu’il était : un jeune homme fruste, violent, ayant obéi à une pulsion dont rien ne disait dans les expertises qu’elle n’était pas passagère ou occasionnelle. Autrement dit, en défendant ainsi sa cliente, l’avocat de la victime l’aidait à sortir du souvenir de l’agression et du viol par un « monstre » pour la faire accéder à une réalité plus « à distance » et, en tout cas, susceptible de mieux l’aider à en sortir. Ce faisant, il n’avait pas accablé l’accusé. Il avait finalement rendu service à tous, y compris aux juges et aux jurés pour remplir leur mission, conformément à ce que la loi attend d’eux.

La césure du procès pénal

Dans un tout autre ordre d’idées, je soutiens l’intérêt de procéder à la « césure du procès pénal », c’est-à-dire de distinguer la phase du procès consacrée à l’examen de la culpabilité du prévenu ou de l’accusé de la phase, si cette dernière est acquise, du débat sur le prononcé de la peine, puis de l’examen des demandes de réparation de la partie civile. L’une des causes du malaise et de la perversion de certains discours des associations de victimes est liée à la place actuellement affectée à la victime dans le procès pénal. Quand tout, comme dans le système actuel, est traité en même temps, cela engendre une confusion dans les enjeux : la culpabilité, la définition éventuelle de la peine, et l’évaluation du dommage et de la responsabilité civile du coupable. On nous rétorque qu’une réforme serait chronophage et conduirait à doubler le nombre des audiences. Outre que c’est arithmétiquement abusif, on oublie que la qualité rapporte. Mieux on est jugé, prévenu et partie civile, plus les effets de sens et les suites à en attendre sont réels, en termes de moindre risque de récidive, d’apaisement social et de réparation pour la partie civile. En réalité, il est à craindre que le débat ne soit politique : beaucoup d’associations de victimes tiennent à être là dans le procès pénal, voire à entendre leur avocat exiger, alors que ce n’est pas son rôle, une peine « sévère et exemplaire ».

Le travail, aussi bien théorique que pratique, accompli par la justice réparatrice est une référence. Il doit être poursuivi et élargi. Personne ne soutient qu’il puisse se substituer aux procédures classiques. En revanche, il constitue un modèle dont devraient davantage s’inspirer les juridictions, en premier lieu les parquets, pour améliorer les conditions dans lesquelles ils choisissent de recourir à la « troisième voie » et en particulier à la comparution avec reconnaissance de culpabilité qui, bien souvent, néglige encore les victimes.

Le travail sur la parole en justice

Il s’agit là d’un véritable chantier pour les professionnels de la justice. Mieux que tout autre, Jean Danet en a repéré l’enjeu : en finir avec l’impérialisme de cette étrange formule selon laquelle ces procès seraient réduits à « la parole de l’un contre la parole de l’autre » : « La justice pénale veut croire qu’elle assure aux parties une authentique liberté de parole, que la loi tend vers un procès plus contradictoire et donc plus équitable. C’est globalement vrai. Mais il reste beaucoup à faire. La procédure à elle seule ne peut y suffire si les pratiques ne sont pas en permanence interrogées. Le reconnaître éviterait peut-être de laisser s’installer autour de cette ‘parole judiciaire’, tellement spécifique, des enjeux démesurés, écrasants et faux, dangereux surtout pour le devenir de l’auteur comme de la victime. »

Pour conclure, je relève ce constat : c’est dans les domaines où de véritables politiques publiques ont été menées pour, en même temps, réduire la délinquance et prendre en charge les victimes que les progrès les plus notables ont été réalisés depuis quelques années. Ainsi, en matière de délinquance routière et de délinquance sexuelle, avec des politiques d’information du public, des sanctions intelligentes, des programmes de prise en charge des victimes et de prévention de la récidive des auteurs. Nous avons donc intérêt à penser ces questions dans leur globalité. Elles nous concernent tous. Elles demandent de faire appel, pour mieux les comprendre, à toutes les disciplines et ne permettront des progrès que si nous nous refusons à opposer deux facettes d’un même problème : la prévention de la délinquance et l’aide aux victimes.



A. Peyrefitte, « Réponses à la violence », La Documentation française, juillet 1977.

G. Bonnemaison, « Face à la délinquance : prévention, répression, solidarité », La Documentation française, décembre 1982.

Voir Hélène Cixous, « Le coup », in Eschyle, Les Euménides, Théâtre du Soleil, 1992, pp. 5-13 : « La Justice n’est pas une fin. La Justice n’est pas droite. La Justice c’est le mot qui se tient debout les jambes fléchies, les pieds écartés, c’est l’équilibriste. La Justice c’est ce qui rend l’injustice convenable. Sur quel tas d’injustices s’élève la Justice ! La Justice n’est pas faite pour être juste. Elle est faite pour arrêter. La Justice, entre hommes, il la faut. Pour couper court aux douleurs, qui sont interminables. Trancher tout ce qui dépasse, refouler les sanglots. Les victimes sont scandaleuses, elles ne cessent de se plaindre. La Justice est là pour régler les cris et couper le cours des plaintes. »

Victimes, en réalité, non pas des faits qu’elles dénonçaient, mais d’une grande détresse, en témoigne l’affaire du RER D, celle de la fausse agression antisémite de la jeune Marie en juillet 2004, et l’emballement médiatique qu’elle a suscité. Dénoncer des faits imaginaires est un délit puni par l’article 434-26 du code pénal.

Son « Pacte 2012 pour la justice » se présente sous la forme de propositions parmi lesquelles : la création d’un ministère chargé de la sécurité des citoyens, regroupant forces de l’ordre et politique pénale ; le droit, pour la victime, de contester en appel toute remise en liberté de son agresseur ; l’obligation pour les condamnés de purger au minimum les trois quarts de leur peine ; le suivi à vie des délinquants sexuels à risque de récidive. Selon l’Institut pour la justice, ce pacte aurait déjà été signé par plus de 1,7 million de personnes.

L’intervention publique imprudente de l’avocate titulaire de cette fonction dans l’affaire du RER D n’est pas étrangère à la disparition de la fonction.

Christian Mormont, « La promesse de justice comme moyen d’empêcher le travail de deuil », conférence prononcée à Amsterdam en 2002.

Décision n° 2013-363 QPC du 31 janvier 2014.

Les victimes d’infractions contre les personnes peuvent obtenir une indemnisation pour les dommages qu’elles ont subis. L’indemnisation est versée par un fonds de garantie qui se retourne ensuite contre le condamné pour recouvrer la somme [NDLR].

L’action publique est conduite au nom de la société dans le but de sanctionner une infraction en application de la loi pénale [NDLR].

Civi, créée dans chaque tribunal par la loi du 3 juillet 1977.

Dans une procédure inquisitoire, le juge dirige le procès : il peut, en plus des éléments que les parties lui apportent, rechercher lui-même des éléments de preuve pour se fonder sa propre opinion. Dans la procédure accusatoire, en usage dans les pays anglo-saxons, le rôle des juges est plus limité : il est arbitre entre les parties [NDLR].

Voir dans ce dossier l’article d’Alain Boulay, président de cette association : « Les victimes : une juste reconnaissance ».

L’ordalie, ou jugement divin, consiste à soumettre l’accusé à une épreuve (par l’eau ou le feu notamment). S’il en sort indemne, son innocence est établie [NDLR].

Art. 353 du Code de procédure pénale que le président doit lire aux jurés dans la salle d’audience, juste avant de partir en délibéré : « La loi ne demande pas compte à chacun des juges et jurés composant la cour d’assises des moyens par lesquels ils se sont convaincus, elle ne leur prescrit pas de règles desquelles ils doivent faire particulièrement dépendre la plénitude et la suffisance d’une preuve ; elle leur prescrit de s’interroger eux-mêmes dans le silence et le recueillement et de chercher, dans la sincérité de leur conscience, quelle impression ont faite, sur leur raison, les preuves rapportées contre l’accusé, et les moyens de sa défense. La loi ne leur fait que cette seule question, qui renferme toute la mesure de leurs devoirs : ‘Avez-vous une intime conviction ?’ »

Voir à ce sujet les travaux de Robert Cario, en particulier : Alain Bernard et R. Cario (dir.), Les politiques publiques interministérielles d’aide aux victimes, L’Harmattan, 2011 et, dans ce dossier [NDLR], l’article d’Estelle Drouvin.

Jean Danet, « Le traitement processuel de la ‘parole’ dans le procès d’agressions sexuelles », Droit et cultures [en ligne], n° 55, 2008, pp. 137-147.

Lire à ce sujet les travaux de Claude Balier et le constat que nombre d’auteurs ont été auparavant des victimes (non soignées) de cette délinquance, en particulier Psychanalyse des comportements violents, Puf, 1988 et Psychanalyse des comportements sexuels violents : une pathologie de l’inachèvement, Puf, 1996.

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3 réactions pour « La victime contre le prévenu ? »

Jean Merckaert
23 June 2014

Chère lectrice,
L’auteur de cet article vous recommande ce texte du Conseil constitutionnel. J’espère qu’il vous éclairera!

Marie Martin
19 May 2014

J'ai trouvé le terme, c'est simplement "correctionnalisation judiciaire" pour ceux que ça intéresse :)
Mon intérêt se porte donc vers cette procédure dont vous dites qu'elle constitue un avantage pour la victime. Pouvez-vous me dire quel est cet avantage ? Quel est l'intérêt pour une victime de voir son procès correctionnalisé ?
La rapidité de jugement et la faible médiatisation sont les seuls à ma connaissance. Pouvez-vous m'en dire plus ?

Marie Martin
14 May 2014

Bonjour,
Merci pour cet article. Je cherche le terme juridique correspondant à "la partie civile peut négocier pour qu’une affaire criminelle soit jugée en correctionnelle". Je ne parviens pas à m'en souvenir, pouvez-vous m'éclairer ?

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