Do not follow this hidden link or you will be blocked from this website !
Logo du site
Dossier : Quels objectifs pour le développement ?

Inde : remettre la croissance à sa place

Groupe d'enfants en Inde© Etrenard/Flickr/CC
Groupe d'enfants en Inde© Etrenard/Flickr/CC
Pourquoi l’Inde, malgré une croissance vertigineuse, se classe-t-elle derrière le Bangladesh ou le Népal en termes de développement humain ? La réponse de Jean Drèze et Amartya Sen est limpide : le développement est aussi affaire de répartition des richesses, de politiques sociales et de démocratie.

Réussite spectaculaire ou lamentable échec ? Deux discours s’opposent sur l’Inde d’aujourd’hui. Pour de nombreux Indiens, minoritaires mais influents, notamment grâce aux médias, l’économie indienne a réussi, ces vingt dernières années, un décollage spectaculaire, après des décennies de médiocrité et de stagnation sous le « socialisme de Nehru ». Grâce au dynamisme du marché, le revenu par tête s’est accru de façon inédite. Si ce mouvement s’accompagne d’une aggravation des inégalités, le phénomène est courant en période de croissance rapide. À terme, les plus pauvres en profiteront.

Pour d’autres, moins optimistes, le niveau de vie des gens ordinaires n’a progressé que lentement, en témoignent des indicateurs sociaux déplorables. Les indices en matière de santé, d’éducation et de nutrition placent le pays au bas de l’échelle mondiale (hors Afrique). Seuls cinq pays (Afghanistan, Bhoutan, Pakistan, Papouasie Nouvelle Guinée et Yémen) ont un taux d’alphabétisation des jeunes femmes inférieur à celui de l’Inde1 ou un taux de mortalité infantile supérieur (Afghanistan, Cambodge, Haïti, Myanmar et Pakistan) et dans aucun pays au monde (Afrique comprise) la sous-nutrition infantile n’est aussi dramatique.

Penser au-delà de la croissance

Ces deux histoires semblent contradictoires, mais ne sont pas incompatibles. Pour les réconcilier, il faut comprendre les exigences du développement, qui vont bien au-delà de la croissance. Le développement, au sens large, c’est l’amélioration généralisée du niveau de vie, du bien-être et de la liberté de la population. La croissance peut être très utile au développement, mais celui-ci exige aussi la mise en œuvre de politiques publiques afin que les fruits de la croissance soient largement partagés et que – facteur très important – les recettes publiques ainsi engendrées soient utilisées efficacement au service de la santé, de l’éducation et d’autres services sociaux.

Dans Hunger and Public Action (1989), nous avons discuté le processus de « développement induit par la croissance » (« growth-mediated development »). Une croissance économique durable peut constituer un levier utile pour augmenter les revenus et améliorer le niveau et la qualité de vie de la population. Elle peut aussi contribuer à des objectifs comme la réduction des dettes publiques. Ces retombées positives méritent d’être soulignées, non seulement en Asie, en Afrique et en Amérique latine, mais aussi en Europe – où le peu d’attention accordé au rôle de la croissance dans la résolution des problèmes de dette est étonnant.

Mais l’impact de la croissance sur le niveau de vie dépend de la nature même du processus (de sa composition sectorielle et de son intensité en termes d’emplois, par exemple) et de la nature des politiques publiques – notamment en matière d’éducation et de santé – qui permettent aux gens ordinaires d’en bénéficier. Il est aussi important de prendre en compte les aspects destructeurs de la croissance, tels que le pillage de l’environnement (destruction des forêts, exploitation minière sans discernement, épuisement des nappes phréatiques, assèchement des rivières, décimation de la faune…) et les déplacements forcés de communautés implantées dans un écosystème spécifique.

Les performances économiques de l’Inde sont, certes, remarquables. Le revenu par habitant a augmenté, en moyenne, de près de 5 % par an en valeur réelle entre 1990-1991 et 2009-2010, et le Pib de 7,8 % par an pendant la période du dixième plan (2002-2003 – 2006-2007). Sa progression avoisinera probablement 8 % par an au cours du onzième plan (2007-2008 – 2011-2012), l’estimation anticipée pour 2010-2011 étant de 8,6 %. On comprend que ces « chiffres magiques » (les deuxièmes parmi les grandes économies, après la Chine) engendrent une certaine euphorie. L’économiste Meghnad Desai a prétendu, non sans ironie, que quoi qu’il arrive, « le gouvernement peut se détendre en se targuant de ces 8,6 % ».

Malgré vingt ans de croissance rapide, l’Inde reste l’un des pays les plus pauvres du monde.

L’Inde a besoin d’une croissance rapide : les revenus moyens y sont tout à fait insuffisants pour assurer, même après une redistribution de grande ampleur, un niveau de vie décent. Malgré vingt ans de croissance rapide, elle reste l’un des pays les plus pauvres du monde. Cette réalité est souvent perdue de vue, en particulier par ceux qui jouissent d’un excellent niveau de vie. Selon les Indicateurs du développement dans le monde 2011, seuls seize pays (hors Afrique) ont un revenu national brut par tête inférieur à celui de l’Inde : l’Afghanistan, le Bangladesh, le Cambodge, Haïti, l’Irak, le Kirghizistan, le Laos, la Moldavie, le Népal, le Nicaragua, le Pakistan, la Papouasie Nouvelle-Guinée, le Tadjikistan, l’Ouzbékistan, le Vietnam et le Yémen.

J'achète Le numéro !
Quels objectifs pour le développement ?
Je m'abonne dès 3.90 € / mois
Abonnez vous pour avoir accès au numéro
Les plus lus

Les Marocains dans le monde

En ce qui concerne les Marocains, peut-on parler de diaspora ?On assiste à une mondialisation de plus en plus importante de la migration marocaine. On compte plus de 1,8 million de Marocains inscrits dans des consulats à l’étranger. Ils résident tout d’abord dans les pays autrefois liés avec le Maroc par des accords de main-d’œuvre (la France, la Belgique, les Pays-Bas), mais désormais aussi, dans les pays pétroliers, dans les nouveaux pays d’immigration de la façade méditerranéenne (Italie et ...

L’homme et Dieu face à la violence dans la Bible

Faut-il expurger la Bible ou y lire l'histoire d'une Alliance qui ne passe pas à côté de la violence des hommes ? Les chrétiens sont souvent gênés par les pages violentes des deux Testaments de la Bible. Regardons la Bible telle qu’elle est : un livre à l’image de la vie, plein de contradictions et d’inconséquences, d’avancées et de reflux, plein de violence aussi, qui semble prendre un malin plaisir à multiplier les images de Dieu, sans craindre de le mêler à la violence des...

Le clerc en sursis ?

La plupart des confessions religieuses excluent les femmes des charges sacerdotales. Pour combien de temps ? Patriarcale au superlatif, l’Église catholique voit son modèle vaciller. Le patriarcat demeure la règle dans le monde religieux. Dans des contextes très différents, les trois monothéismes le pratiquent. Tous invisibilisent les femmes, contrôlent leur corps et les tiennent éloignées de la sphère publique. Circonstance aggravante, ce bastion bien défendu l’est par...

Du même dossier

Défendre les petits agriculteurs

« Quels objectifs de développement fixeriez-vous après 2015 ? » Et si vous aviez cinq minutes à la tribune des Nations unies pour y répondre… Ndiakhate Fall, paysan sénégalais, s’est prêté au jeu. Nous sommes à la veille de 2015 et il est aujourd’hui évident que les objectifs des Nations unies ne seront pas atteints. Leur pertinence ne fait pas de doute, mais comment les membres de la Via campesina et les organisations paysannes nationales prennent-ils part à leur réalisation ? Comment prendront...

L’éminente responsabilité des pays « développés »

« Quels objectifs de développement fixeriez-vous après 2015 ? » Et si vous aviez cinq minutes à la tribune des Nations unies pour y répondre… Christian Comeliau, économiste du développement, s’est prêté au jeu. Les pays développés n’ont-ils plus besoin de développement ? Apparemment provocante, la question s’impose le plus naturellement du monde à l’observateur qui tente de mesurer la portée du débat tonitruant autour de l’avenir des Objectifs du millénaire. Car la première impression qui se dég...

Développement : que peut-on attendre de 2015 ?

Pour la première fois, l’agenda du développement pourrait intégrer enjeux économiques, sociaux et environnementaux et être véritablement universel : applicable à tous les pays, développés et en développement. Un accord à la hauteur des enjeux suppose une mobilisation politique sans précédent. L’année 2015 est une échéance capitale pour notre avenir. Deux rendez-vous pouvant engager l’ensemble des pays du monde sur une trajectoire de croissance enfin soutenable sont prévus : le sommet des Nations...

Vous devez être connecté pour commenter cet article
Aucun commentaire, soyez le premier à réagir !
* Champs requis
Séparé les destinataires par des points virgules