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Dossier : Quels objectifs pour le développement ?

Cameroun, à qui profite l’huile de palme ?

Huile de palme, Cameroun ©verni22im/Flickr/CC
Huile de palme, Cameroun ©verni22im/Flickr/CC

Par sa situation dans « la ceinture africaine du palmier à huile », une bande de terres allant du Liberia à l’Éthiopie, le Cameroun est devenu depuis 2009 une destination privilégiée pour les investisseurs du secteur. Depuis la privatisation de la Société camerounaise de palmeraies (Socapalm) en 2000, le groupe français Bolloré en est le premier actionnaire. Acteurs classiques de la filière (le malaisien Sime Darby, l’indien Siva Group, l’américain Cargill) et nouveaux planteurs (l’américain Herakles Farms) sont nombreux à manifester leur intérêt. Le phénomène n’est pas totalement nouveau : de grandes plantations avaient été créées lors de la période coloniale, puis dans les premières années après l’indépendance. Aujourd’hui, les multinationales, en particulier les géants asiatiques du palmier à huile, cherchent à saisir l’aubaine qu’offre la combinaison d’une hausse durable de la demande globale en huile de palme et un faible niveau des prix de la terre en Afrique. La difficulté croissante à créer de nouvelles plantations dans certains pays asiatiques et le désir d’investissements pionniers sur le continent africain sont aussi à la base de cette stratégie d’implantation. Au total, les demandes en terres dépassent le million d’hectares, localisés dans les zones forestières. C’est presque dix fois plus que la superficie actuellement occupée par les agro-industries spécialisées dans le palmier à huile (autour de 150 000 hectares).

Des investissements prometteurs

Le gouvernement camerounais voit d’un très bon œil l’arrivée de ces grosses entreprises. En effet, si la production nationale se situe autour de 250 000 tonnes d’huile de palme par an, il manque environ 50 000 tonnes pour satisfaire la demande nationale. Le gouvernement espère augmenter la production pour ne plus avoir à combler le déficit par des importations en provenance d’Asie du Sud-Est. Par ailleurs, dans un pays où les jeunes représentent plus de 60 % de la population et où le fort taux de chômage menace la stabilité sociale, comment ne pas être fasciné par la capacité des grandes plantations à créer, en zone rurale, de nombreux emplois pour ouvriers sans qualification ? Les compagnies qui envisagent de s’installer prévoient un emploi pour 10 hectares de terres concédées. La tentation est grande de céder des superficies toujours plus importantes. Enfin, le gouvernement espère que les agro-industries contribuent directement à la croissance et au développement des infrastructures locales. Le modèle asiatique (incarné ici par la Malaisie et l’Indonésie) est particulièrement attractif pour les États d’Afrique, qui aspirent à un développement aussi rapide et estiment que le palmier à huile pourrait y contribuer. Un dernier facteur peut expliquer le bon accueil fait aux multinationales : les possibilités d’enrichissement personnel qu’offrent les grandes entreprises agro-industrielles aux élites dirigeantes, lors de la signature des contrats. L’opacité des transactions permet à certains de camoufler des conflits d’intérêts et de déguiser des actions finalement contraires à l’intérêt public.

Pour satisfaire les investisseurs, il importe de disposer de vastes superficies de terres rapidement accessibles, sans trop imposer de contraintes. La zone forestière du Cameroun, avec ses densités de population faibles, un système traditionnel de gestion de l’espace et des ressources qui accorde une part belle aux terres communautaires (les terres en propriété commune), est particulièrement sollicitée.

Un marché de dupes

Mais l’installation des compagnies ne se fait pas sans heurts ! Les conflits avec les populations sont nombreux et récurrents. Car les retombées attendues par les communautés tardent à se manifester, alors que les impacts négatifs sont immédiatement visibles. Certes, les emplois créés sont bien là, mais l’impression dominante est celle d’un marché de dupes : qui jugerait équitable de céder ses terres et ses cultures contre un poste d’ouvrier agricole soumis à des horaires à rallonge et où l’on est exposé aux accidents et aux produits chimiques ? L’installation des plantations se traduit en plus par un afflux de migrants d’autres régions du pays, voire d’États voisins, en quête d’emplois ou d’opportunités. Et ces arrivées accentuent la pression sur les terres et les ressources.

De tels bouleversements oublient que l’agriculture familiale offre de bien meilleures perspectives aux paysans, pour peu qu’elle bénéficie de l’encadrement nécessaire. Plusieurs études ont remis sérieusement en cause les prétendus avantages des exploitations à grande échelle des palmiers à huile : à superficie égale, les exploitations familiales créent bien plus d’emplois que les agro-industries. La taille des plantations familiales varie de 1 à 3 hectares, nécessitant entre 3 et 10 travailleurs ; dans l’agro-industrie, 10 hectares sont nécessaires pour créer un seul emploi. Quant aux revenus tirés par le petit exploitant qui travaille pour son compte, ils sont nettement supérieurs à ceux de l’ouvrier agricole dans l’agro-industrie (entre 1,4 et 1,9 fois). La possibilité, enfin, de garder la maîtrise de ses terres et de les transmettre à sa descendance permet au petit planteur d’envisager l’avenir mieux que l’ouvrier agricole.

Mais comment résoudre le déficit d’huile de palme au Cameroun et mettre le secteur à contribution pour améliorer les conditions de vie des communautés rurales ? La première piste, avant tout nouveau défrichement de forêt, serait d’améliorer la productivité des plantations agroindustrielles existantes. Par rapport aux plantations d’Asie du Sud-Est, la productivité est tellement faible au Cameroun que le recours à de meilleures techniques culturales et à des semences de qualité aurait un impact déterminant. Et il n’est pas absolument indispensable de céder la terre aux agro-industries pour améliorer les rendements ! Il faudrait un véritable soutien aux plantations familiales, qui ont cruellement besoin d’appui technique, de matériau végétal de qualité et d’accès au crédit. Curieusement, quand les fonds extérieurs, privés et publics, ainsi que divers avantages (exonérations, etc.) sont disponibles pour les grosses entreprises, les petits planteurs sont délaissés ! C’est bien dans cette direction qu’est attendu le soutien des « partenaires au développement » du Cameroun, à l’appui d’un véritable aménagement du territoire national. Un tel programme évitera que l’engouement pour le palmier à huile ne conduise à une occupation anarchique de l’espace, obérant la cohabitation entre les agro-industries et les autres usages de l’espace et des ressources dans le pays.

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