Une revue bimestrielle, exigeante et accessible, au croisement entre le monde de la recherche et les associations de terrain.
L’école élémentaire Jean Jaurès de Garges-lès-Gonesse (Val-d’Oise) est membre des écoles associées de l’Unesco1 (Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture), un réseau international d’écoles volontaires qui œuvrent pour l’éducation à la paix, en mettant en place des programmes de dialogue interculturel et de développement durable. Depuis les années 1950, Garges-lès-Gonesse reçoit des migrants de tous les continents, par vagues successives. Aujourd’hui, plus de quatre-vingts nationalités s’y côtoient ; souvent la langue et plus encore les représentations culturelles sont des obstacles dans la communication entre l’école d’une part, et les élèves et les parents de l’autre.
Des incompréhensions surviennent alors couramment entre le corps enseignant et les familles. Face à la difficulté d’apprentissage de la langue par un élève, il arrive qu’un enseignant invite, parfois avec insistance, des parents migrants à ne plus converser dans leur langue maternelle, mais en français. À l’inverse, dérouté par l’échec de son enfant, un parent pourra reprocher au professeur d’user de méthodes pédagogiques incompréhensibles. Pour les enfants, ce conflit latent d’autorité entre deux institutions éducatives peut être source de troubles. Pour les parents, cette situation engendre une double exclusion de fait : certains ne peuvent accéder ni aux écrits et discours scolaires, ni aux méthodes des professeurs ; il leur est impossible de s’exprimer et de se faire entendre par l’école. Ces tensions ont toujours pour cause un a priori né de l’ignorance de l’autre et d’un manque de communication entre les deux parties.
C’est pourquoi, depuis maintenant près de dix ans, notre projet éducatif a fait de la diversité culturelle des familles un principe pédagogique. Nous proposons des projets de médiation interculturelle, avec un double objectif éducatif : favoriser la découverte des cultures d’accueil et des cultures étrangères dans tous nos enseignements et actions, mais surtout créer des ponts cognitifs entre l’ici (la culture française dans sa diversité historique) et l’ailleurs (les cultures et les langues du monde). Très tôt, nous avons organisé des jumelages méditerranéens et des séjours interculturels avec des pays du Maghreb, en y associant enseignants et parents volontaires. Ces jumelages ont valorisé concrètement la diversité culturelle aux yeux des familles et des élèves. Que ce soit pour l’accueil des écoliers étrangers dans les familles ou pour les familles participant au séjour, la rencontre de cet autre lointain a obligé à se préparer à l’altérité culturelle et donc à échanger entre parents, enfants et enseignants sur ses propres us et coutumes. Beaucoup ont même fait le choix de suivre les cours d’arabe proposés à l’école hors temps scolaire. Une telle reconnaissance du pluriculturalisme à l’école a été essentielle dans l’implication de beaucoup d’élèves et de parents : pour chaque participant, un contrat de progrès a été discuté avec les familles, indiquant les compétences et les aptitudes à développer pour le projet. Sans nul doute, cette reconnaissance interculturelle en acte a été un facteur de réussite et d’inclusion scolaire dans l’établissement.
À la lumière d’autres expériences (comme celle de pédagogues canadiens2), nous avons décidé, depuis un an, de proposer des actions de médiation interculturelle qui visent le quotidien. Ainsi, nous avons organisé des heures d’étude parents-enfants en langue maternelle. Au lieu de la traditionnelle réunion de début d’année, désertée par un nombre croissant de parents, nous avons planifié sur deux semaines des études dirigées par les enseignants, en présence des enfants et de leurs parents, pour montrer et parler concrètement du travail de classe et du suivi des devoirs à la maison. Un parent référent assure la traduction. Les échanges, basés sur le quotidien de la classe ou les devoirs à la maison, sont riches et constructifs. En situation plutôt qu’en parole, les enseignants peuvent plus facilement montrer aux familles ce que leurs enfants apprennent et comment ; grâce à la présence d’interprètes, les parents peuvent expliquer la façon dont ils suivent les devoirs à la maison et converser entre eux sur les réussites et les difficultés de l’accompagnement scolaire de leurs enfants. Dans cet échange, le professeur occupe une posture d’animateur plus que d’enseignant. Si besoin est, il éclaire la discussion d’explications sur des questions aussi pratiques que les méthodes de mémorisation, les rythmes chrono-biologiques, etc. Ce dialogue, dans un cadre convivial, permet d’assurer le continuum pédagogique minimum et nécessaire entre l’école et un plus grand nombre de familles, sans empiéter sur les prérogatives de chacun.
Toujours pour faire de la diversité des langues pratiquées à la maison un atout, des actions plurilinguistes dans les classes de CP et CE1 favorisent l’apprentissage de la lecture. Plusieurs goûters de contes en langue maternelle ont été proposés, en associant les parents. Depuis peu, nous avons traduit en langues turque, haïtienne, ourdou, arabe et portugaise les différents albums utilisés en classe pour apprendre à lire. Ces actions ont un triple but : développer les capacités de discrimination auditive des élèves, un préalable à la lecture, par l’écoute active de sonorités étrangères ; accroître la connaissance des cultures du monde, par un échange direct avec des parents de culture différente à travers l’oralisation de contes de divers pays ; développer la maîtrise de la langue française des enfants non francophones, en vocabulaire en particulier, dans un aller-retour entre langue maternelle et langue d’accueil, chaque narration étant traduite en simultané par un parent. Les familles migrantes peuvent ainsi contribuer, elles aussi, au projet de réussite de leurs enfants en les aidant à accéder au sens à la maison ou à l’école, et faciliter par là l’appropriation du code écrit en classe.
Aussi un dialogue pédagogique est-il possible entre enseignants et parents, parce qu’il tient compte des richesses et des apports éducatifs de chacun, par le biais d’un projet partagé qui est la réussite de l’élève, tout en respectant un cadre institutionnel imposé : l’apprentissage du socle commun. Cette expérience profite plus largement à tous les élèves, même à ceux issus de familles francophones. Elle invite chaque professeur à adopter une posture de médiateur éducatif, moins magistrale et plus contractuelle, et donc à mieux collaborer avec toutes les familles.
1 / . Cf. sur le site de l’Unesco « Réseau du système des écoles associées de l’Unesco » .
2 / . Cf. Lambert-Félix Prudent, Frédéric Tupin et Sylvie Wharton (dir.), Du plurilinguisme à l’école. Vers une gestion coordonnée des langues en contextes éducatifs sensibles, Peter Lang, 2005.