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Dossier : Banlieues, cités dans la cité

Territoires d'exclusion


Resumé C’est moins la ville elle-même ou l’origine étrangère que la précarité qui empêche le processus d’intégration.

Quand on fait du terrain, ce qu’on peut analyser n’est pas forcément visible dans l’enquête statistique sans être en contradiction avec elle. Avec Michel Pialoux, nous sommes adeptes du travail de terrain, c’est-à-dire que nous tentons de nouer dans la durée des relations denses avec les personnes qui appartiennent au milieu étudié. Nous avons effectué un long travail d’enquête sociologique dans les cités de Sochaux-Montbéliard dans les années 90, auprès des ouvriers Peugeot. Nous en avons tiré un livre 1, dont les conclusions peuvent être une aide précieuse pour comprendre les émeutes ouvrières.

Genèse sociale d’une émeute

Nous avons observé un monde ouvrier en train de se déstructurer, la montée des tensions racistes, la perte du pouvoir des ouvriers professionnels, le déclin du syndicalisme. La question scolaire nous est apparue centrale dans ce processus de déstructuration. Les parents se sont mis à chercher pour leurs enfants ce qu’on a appelé le « salut social par les études ». Ils se sont aperçus vers la fin des années 80 qu’il n’y avait plus d’avenir, pour eux et pour leurs enfants, à l’usine : trop de précarité, trop de bas salaires, trop peu de considération, trop de zizanie entre ouvriers. Ils ont donc poussé leurs enfants à passer un BTS, voire plus si possible. La description de ce monde ouvrier était sombre mais aussi objective, je l’espère. Le livre était quasiment rédigé, quand surgit entre 1998 et 2001 la fameuse reprise économique, assez exceptionnelle. À Sochaux et chez ses sous-traitants, les jeunes sont recrutés en masse, y compris parmi ceux qui étaient auparavant dits « inemployables » (certains avec un casier judiciaire, une majorité de jeunes d’origine maghrébine ou turque), le chômage des jeunes baisse drastiquement. Les ouvriers retrouvent espoir, l’usine s’est soudain rajeunie, on constate l’amorce d’une relève syndicale. Les jeunes embauchés peuvent enfin quitter leur famille et disposer d’un « chez soi », à 25/26 ans. Ce fut un moment rare de re-moralisation du groupe tout entier.

C’est dans ce meilleur climat social qu’une émeute survient à la Zup de Montbéliard, la première du genre dans la région, le 12 juillet 2000. La Zup de Montbéliard est belle : beaucoup d’espaces verts, une superbe piscine, une caisse d’allocations familiales, une Cité de la justice, une mairie annexe, un centre commercial correct, des bâtiments assez espacés. Ce n’est pas la « zone », les services publics sont bien présents. Or c’est dans cette Zup, à la suite de l’arrestation par le GIGN d’un jeune braqueur du quartier, multirécidiviste, que 300 jeunes caillassent le centre commercial et s’attaquent à la cité de la justice. Qu’est-ce qui explique que, dans un contexte de reprise économique, un phénomène aussi violent survienne ? Pour les ouvriers du coin, en effet, l’événement est vécu comme une violence. Le soir même, le quartier est à la une du journal de FR3, stigmatisé. Au cours des mois suivants, plus aucun appartement ne trouve acquéreur, les prix baissent. Tout le monde a envie de fuir.

Pour comprendre les causes d’un tel événement, nous nous sommes installés dans ce quartier pendant plusieurs mois et nous avons mené l’enquête, par interviews et observations. Dans un premier temps cette enquête n’était pas du tout centrée sur les jeunes eux-mêmes, qui manifestaient une énorme méfiance. Nous avons interrogé les assistantes sociales, les infirmières, les directeurs/trices d’école, les élus locaux, les ouvriers de l’usine résidant dans la Zup, pour comprendre quelle vision chacun se faisait des transformations du quartier. Notre idée était que les violences urbaines ne s’expliquent pas principalement par les problèmes d’urbanisme. Il y a une sorte de piège autour de cette expression de « violences urbaines » qui inscrit implicitement la logique causale des événements dans le seul registre de l’urbain, des quartiers, etc. Forts de notre expérience d’enquête précédente, nous avons pris le contre-pied de ce type d’analyse en mettant l’accent sur des processus, largement invisibles et de longue durée, de violence sociale. Nous avons insisté sur deux facteurs, certes non exclusifs : les changements dans le travail et les changements à l’école, qui permettent à nos yeux de comprendre la manière dont les jeunes de cités se sont construits, socialement et mentalement, depuis une vingtaine d’années 2.

Pour la scolarisation, il est important de souligner que la jeunesse populaire est aujourd’hui de plus en plus clivée par l’école. À l’un des pôles, on trouve ceux qui se considèrent comme les « élus » scolaires, qui auront la chance de faire des études longues et, à l’autre pôle, ceux qui, dès le collège, sont en situation d’échec, voire déscolarisés, qui ont du mal à rattraper le niveau et sont « orientés » en lycée professionnel (l’apprentissage, pour sa part, regagnant beaucoup de faveur). La politique de poursuite d’études (« 80 % au Bac ») a puissamment disqualifié l’enseignement court, professionnel. Les jeunes de cités, orientés malgré eux vers le lycée professionnel, passent leur temps à critiquer l’école, les profs, l’orientation, et surtout s’estiment victimes d’une injustice scolaire et sociale. On est aujourd’hui dans un système où l’on peut dire, comme Dubet, « Malheur aux vaincus de l’ordre scolaire ». Une telle situation produit des jeunes avec une sensibilité d’écorchés vifs, qui se croient en permanence victimes de discriminations (c’est souvent vrai mais pas toujours). On est frappé, aujourd’hui encore, lors d’entretiens avec des jeunes de 25-30 ans, par cette mise en accusation récurrente du système scolaire et des profs, de la part de tous ceux qui n’ont pu accéder au statut, souvent rêvé, d’étudiant.

Le deuxième facteur central, sous-jacent à ces poussées de violence dans les banlieues, tient aux transformations du marché du travail. Lors de l’enquête, nous avons observé que beaucoup de ces jeunes que l’on dit émeutiers appartiennent à des familles nombreuses ; ils sont souvent les cadets de grandes fratries, étirées dans le temps. Ces cadets de 18 ans ont été témoins du désastre social vécu par leurs aînés, surtout les garçons : le chômage de longue durée, les petits boulots, parfois les maladies psychiatriques, la prison, l’autodestruction par la drogue. Sans faire de misérabilisme, il est important d’avoir cela en tête. Ces jeunes-là ont grandi dans une atmosphère de crise sociale générale et de graves difficultés, de toutes sortes, dans leurs familles 3. Ils ont vu de l’intérieur le destin de leurs frères qui ont eu beaucoup de mal à « s’en sortir », y compris plus récemment ceux qui ont fait des études. Le chômage des diplômés dans les quartiers a un effet boomerang terrible. J’ai en tête un long entretien, en 2000, avec une directrice d’école, qui travaillait dans le groupe scolaire le plus dur de la Zup depuis 25 ans : « Depuis quelques années, ce qui me désespère c’est que dès l’école primaire, les enfants n’ont plus envie d’apprendre. » Mais il reste un paradoxe : pourquoi ceux qui ont obtenu un travail et ont atteint ainsi une norme de consommation (la voiture en premier lieu) ont-ils pu se sentir concernés par l’émeute ? Un syndicaliste nous a raconté comment ce jour-là, les sonneries de téléphones portables crépitaient partout. Des jeunes ouvriers habitant la Zup et travaillant à l’usine ont pris leurs heures pour aller participer, d’une manière ou d’une autre, à l’émeute, en tout cas pour ne pas « rater cela ».

Le point saillant nous semble résider dans une énorme frustration. Celle-ci ne renvoie pas forcément au quartier, ou au fait qu’ils sont enfants d’immigrés, mais elle tient d’abord à la précarité structurelle à laquelle beaucoup d’entre eux semblent voués. L’enquête de terrain nous a permis d’entrer dans le détail des histoires individuelles, de rencontrer des jeunes de 30/35 ans qui ont travaillé dix ou quinze ans en CDD, de voir le processus de filtrage des candidats à l’embauche. Dans un premier temps, en intérim, la mission dure huit jours, ensuite quinze, puis un mois, deux mois. On leur demande de faire leurs preuves. Et la preuve principale au travail, c’est la disponibilité et la ponctualité. À travers l’intérim, les usines opèrent une sélection interne de leurs ouvriers potentiels. Les jeunes ouvriers de Sochaux ont travaillé pendant un an, un an et demi en usine, ils ont tenu sur des postes difficiles « à la chaîne » parce que leur rêve, c’était l’embauche à temps plein. Or les statistiques fournies par les syndicalistes nous le montraient, seule une petite minorité d’entre eux a été embauchée en CDI. Les jeunes ont vécu l’espoir de l’embauche et, tout d’un coup, celui-ci s’est effondré. Le malaise est d’autant plus grand que l’annonce de la non-embauche est très brutale. « J’allais finir mon contrat de six mois, le vendredi après-midi on m’a prévenu : tu ne reviens pas lundi ». Au début, cette annonce survenait assez tôt, quinze jours avant la fin du contrat. Mais cela provoquait des problèmes : actes de violence contre les machines, petits sabotages à l’usine, vols dans les vestiaires, représailles parfois contre la petite hiérarchie. Celle-ci s’est alors protégée et, pour garder un bon ordre de marche, l’annonce a été différée jusqu’au dernier moment. C’est par ce type de récits que l’on comprend comment naît un climat de désespérance, de rage, de colère contre Peugeot et toutes les autres institutions qui « couvrent » ces comportements. Et, naturellement, la vie à l’usine transpire à l’extérieur, en particulier dans les quartiers.

Un autre élément important tient au traitement différencié entre garçons et filles. Ces dernières, diplômées ou non, ont été plus facilement embauchées par Peugeot. Garçons et filles ont été mis en concurrence à l’occasion de la reprise d’emploi. Les filles sont apparues à l’employeur comme des ouvrières modèles : plus calmes, plus ouvertes, plus relationnelles. De la part des garçons, nous avons entendu des discours très violents contre celles-ci, pourtant de même origine : « elles nous piquent le boulot ». La crise de la masculinité ouvrière dans l’univers du travail traduit aussi l’émergence de nouvelles normes managériales, qui insistent sur le savoir être, la manière de parler, la présentation. Ces normes constituent, pour les garçons des cités, un obstacle de taille pour décrocher un emploi stable…

Dans un moment d’effervescence collective, comme une émeute, une jonction temporaire peut alors se faire entre ces jeunes précaires et la fraction des jeunes des cités, plus ou moins désœuvrés, avec l’adoption d’attitudes de « provocation » dans l’espace public (les rues, les centres commerciaux, les tram’, bus et trains). Cette provocation peut aussi s’interpréter comme une volonté inconsciente de compenser leur sentiment d’impuissance sociale. Moins ils existent par le travail, moins ils sont reconnus dans la société, plus ils se réfugient dans une logique de provocation qui les fait exister socialement, fût-ce sous une forme qui renforce les stéréotypes ou les préjugés racistes. Un processus de spirale est ainsi mis en place, sur lequel il est difficile de revenir lorsque, comme aujourd’hui, cet ordre des choses est profondément intériorisé. Une des caractéristiques de la génération des jeunes des cités, c’est la vision binaire qu’ils ont du monde social : il y a eux, d’un côté, et, en face, tous les autres (y compris les enfants d’ouvriers des pavillons vus comme des bourgeois). La séparation sociale est aussi une coupure mentale qui s’avère très prégnante dans leur vie quotidienne et qui est entretenue par un ensemble de processus, dont les contrôles policiers qu’ils subissent à répétition et de manière fort arbitraire le plus souvent.

La « violence » des jeunes de milieu populaire, hier et aujourd’hui

Quand on demande à des ouvriers de Sochaux âgés de 50/60 ans de raconter leur jeunesse, beaucoup en viennent à raconter les luttes sociales mais aussi les bagarres, reconnaissant parfois qu’ils n’étaient pas des « saints ». Ces témoignages invitent à ne pas surestimer l’originalité des conduites déviantes des jeunes des cités aujourd’hui. On a connu dans la France des Trente glorieuses des « bagarres de bal », des bandes de jeunes, des rixes à coups de chaînes de vélo. Certains se rappellent qu’ils n’ont pas oublié d’être « jeunes », jouant avec le sens des limites, développant des logiques de transgression… Plusieurs des traits de la jeunesse immigrée aujourd’hui renvoient donc à des traits structurels de la jeunesse populaire. Quand on est issu d’un milieu populaire on éprouve toujours, par l’histoire sociale, par son expérience d’école ou de famille, le vécu d’une injustice sociale qui était jadis retraduite et portée politiquement – mais plus guère maintenant. Dans un contexte de plein-emploi, ce moment de la transgression des normes par des fractions de la jeunesse populaire était limité dans le temps. Il y avait, après le service militaire, l’horizon d’un travail stable (en CDI), du mariage et des enfants. La plupart de ces jeunes remuants finissaient par se « ranger ». Aujourd’hui, cette jeunesse populaire doit affronter un temps d’insertion professionnelle beaucoup plus long et aléatoire. D’ailleurs, l’Insee a étendu pour les statistiques sa catégorie d’âge des jeunes de 16-25 ans à 16-30 ans. On assiste également à une déconnexion des seuils d’entrée dans l’âge adulte : il n’est pas rare de voir dans les cités des jeunes de 28-29 ans habiter encore chez leurs parents. C’est un phénomène majeur dans les familles immigrées que le maintien chez elles de jeunes garçons qui n’ont pas de boulot stable, pas d’accès à un logement indépendant et qui parfois se marient et cohabitent avec leurs parents. Ce sont là des processus nouveaux très importants. Les émeutes urbaines prennent sens dans ce contexte de paupérisation de la jeunesse, ce que Baudelot et Establet appellent Une jeunesse en panne d’avenir. Une jeunesse qui a le sentiment de se heurter constamment à un mur.

Ces enquêtes révèlent enfin comment la violence est alimentée par ce qui est vécu au quotidien. On ne peut faire l’impasse sur les rapports entre les jeunes et la police. Nombre de ces jeunes ne connaissent pas de confrontation au travail durable – auparavant les jeunes faisaient leurs dents contre les patrons, la lutte était menée à l’intérieur de l’entreprise. Dans Sociologie politique de la racaille4, Fabien Jobard affirme, en s’appuyant sur ses enquêtes à Dammarie-les-Lys et à Mantes-la-Jolie, que les jeunes se politisent, s’intéressent à la vie de la cité, à l’occasion de bavures policières et des autres problèmes rencontrés avec les forces de l’ordre. Puisqu’ils sont au bas des immeubles, quels sont leurs interlocuteurs ? Parfois des éducateurs, parfois des militants, parfois des prêtres, mais surtout la police. C’est un facteur de politisation. Dominique Monjardet, dans ses travaux 5, explique que la création de la police nationale, sous Vichy, a transformé un corps chargé de veiller à la tranquillité publique. Un bon policier, c’était un agent de la paix, il connaissait sa base, y compris la jeunesse. Aujourd’hui le système policier marche sur la tête : outre qu’il faut répondre à une demande insistante de « faire du chiffre » de la part des politiques, le travail policier le plus ingrat et difficile, donc le moins recherché, se fait dans les quartiers. Or on y envoie les plus jeunes, ceux qui sortent tout juste de formation. Ils sont inexpérimentés et, n’étant pas issus de ces quartiers, ils craignent en quelque sorte les jeunes et en ont une représentation déformée. Mais la peur est mauvaise conseillère et certains jeunes des cités trouvent une forme de gratification locale dans la guéguerre avec la police. On est dans une logique de surpuissance policière et d’agressivité, une situation de guérilla jeunes/police qui aggrave les choses. A cet égard, il faudra bien prendre en compte la question de la formation des policiers et celle du système de leur mutation (une fois nommé en banlieue, on prend son mal en patience pour tenter un retour progressif vers sa région d’origine).

Retour aux émeutes de 2005

La distinction établie par Nicolas Sarkozy entre, d’un côté, la « racaille » (qu’il faut punir sévèrement) et les « vrais jeunes » qui habiteraient tranquillement ces cités, ne résiste pas à l’analyse. Le monde social de la jeunesse des cités se caractérise par son hétérogénéité. On peut y distinguer grosso modo trois types de jeunes. Il y a une élite celle des bon(ne)s élèves, engagé(e)s dans des études longues, centrés sur leur travail scolaire, qui fuient la culture de rue et ne font pas de bruit. À l’opposé, il y a ceux qui connaissent très tôt le décrochage scolaire, qui sont pris dans des logiques de bandes, prêts à verser dans des conduites délinquantes. Mais au milieu, on trouve une large fraction intermédiaire, ceux que Younes Amrani 6 appelle « le ventre mou des banlieues », ceux qui ne sont ni totalement dans la réussite scolaire ni dans l’échec, qui cherchent leur voie, qui peuvent être aspirés vers le haut par telle ou telle rencontre ou vers le bas par tel ou tel concours de circonstances. En même temps, par-delà les différences de destin scolaire et social probable, ce qui unit ces jeunes est un vécu commun, une expérience sociale partagée (discrimination, rejet, racisme, etc.), le fait d’être du même milieu, dans la même cage d’escalier, même si les chemins divergent. D’où cette solidarité muette qui s’est manifestée avec les émeutiers en novembre 2005, par exemple de la part des filles et des mères de famille. Si, selon elles, brûler des voitures n’est pas le bon mode d’action, elles affirment qu’on ne peut les condamner : « Ils avaient forcément des raisons de le faire ». Les filles enchaînent avec des anecdotes montrant qu’elles sont mieux traitées que les garçons et soulignent les différentes formes de discrimination ou de racisme que subissent leurs frères ou leurs cousins. Bien sûr la majorité des jeunes des cités n’a pas participé aux émeutes, mais quand on étudie les statistiques judiciaires, on relève parmi les jeunes passés en comparution immédiate des élèves de BTS, des ouvriers en CDI, des apprentis boulangers, etc.

Je veux encore insister sur la particularité du contexte socio-économique des émeutes de 2005. Un élément décisif, pas toujours bien perçu, a tenu à la disparition des emplois jeunes. Ce n’était certes pas un dispositif miracle, mais dans les cités – notamment dans le cadre des collèges et des lycées, dans des lieux d’animation – il a permis à un certain nombre de jeunes bacheliers qui se sentaient déclassés, de saisir cette planche de salut, de profiter de ce sas de transition pour se reconstruire, disposer d’un salaire au Smic sur cinq ans, parfois se marier, passer des concours. Ajoutons-y la suppression de subventions à des associations, l’augmentation de la précarité sur le marché du travail et nous avions un cocktail explosif sur le plan social. On n’a guère relevé que les émeutes urbaines sont survenues à Aulnay-sous-Bois un mois et demi après que l’on ait renvoyé 600 intérimaires de Citroën, dont beaucoup habitaient à la cité des 3000.

La face cachée des émeutes urbaines de 2005 réside donc sans doute dans l’extrême précarité de la condition sociale des jeunes et de leurs familles. Beaucoup sont d’origine étrangère mais je ne pense pas que ce soit ce qui les définisse en priorité. Ce qui les caractérise en propre, c’est une panne d’intégration sociale, pas forcément culturelle. Tous les enfants d’immigrés se sont intégrés avant tout par le travail, voire par la politique et le syndicalisme. Il n’y a quelques décennies, les enfants d’immigrés italiens, qui habitaient de vrais ghettos à Longwy, entraient au travail à 18 ans, puis se syndiquaient et se politisaient 7. Là-dessus est venue la Résistance. Parmi les maires des villes lorraines aujourd’hui, les trois quarts descendent d’Italiens. Puis l’italianité a été revendiquée par la troisième génération. Le même principe a été mis en valeur par les Américains : la première génération trime, la seconde génération s’intègre et monte les échelons, la troisième redécouvre l’ethnicité (par exemple, Martin Scorsese). Nous connaissons en France une conjoncture sociale qui empêche ce processus d’intégration de bien fonctionner. Et ce n’est pas la création d’un ministère ad hoc qui peut redonner espoir !

Stéphane Beaud



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1 / . Stéphane Beaud et Michel Pialoux, Retour sur la condition ouvrière, Fayard, 1999.

2 / . Stéphane Beaud et Michel Pialoux, Violences urbaines, violence sociale. Genèse des nouvelles classes dangereuses, Fayard, 2003 et Hachette pluriel, 2005.

3 / . Cf. le beau film Samia, de Philippe Faucon.

4 / . Fabien Jobard, « Sociologie politique de la racaille », in Hugues Lagrange et Marco Oberti, Émeutes urbaines et protestations, une singularité française, Presses de Sciences Po, coll nouveaux débats, 2006.

5 / . Voir sa bibliographie sur wwww. cersa. org/ IMG/ pdf/ BIBLIODM/

6 / . Cf. Pays de malheur ! La Découverte, 2004.

7 / . Gérard Noiriel, Longwy. Immigrés et prolétaires 1880-1980, Puf, 1984.


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