Une revue bimestrielle, exigeante et accessible, au croisement entre le monde de la recherche et les associations de terrain.
Si notre société prend de plus en plus tôt le relais des parents dans leur travail d’éducation, elle sait de mieux en mieux qu’elle ne peut faire à leur place, ni même sans eux. Travailler en partenariat avec les parents, les soutenir dans l’exercice de leurs fonctions parentales fait partie de tout projet éducatif large, dès lors que l’on prend en considération la diversité des lieux éducatifs et leurs interactions pour que se construise un adulte.
Le soutien à la parentalité a le vent en poupe aujourd’hui. Il n’en a pas toujours été ainsi. Etre parent ne va jamais de soi mais l’intérêt, voire la nécessité, d’aider les parents est apparu très tardivement. L’éducation familiale relevait de la sphère du privé. Le père avait une autorité de droit divin, les parents étaient guidés par des principes moraux et religieux, et jusqu’au XVIIIe siècle, les rares ouvrages de pédagogie ne s’adressaient qu’aux éducateurs extérieurs à la famille. Dans la mouvance des encyclopédistes et de l’idéal de démocratie on voit apparaître aux États-Unis quelques cercles de mères vers 1815, au sein d’associations le plus souvent confessionnelles. À l’aube du XXe siècle, la psychologie de l’enfant se développe. Elle est vulgarisée dans la presse et dans des cercles de parents qui progressivement se forment aussi de ce côté-ci de l’Atlantique. L’éducation des parents y restera longtemps pratiquée de manière le plus souvent occasionnelle, à côté d’autres activités, dans des mouvements et associations. Mais de nombreux professionnels, par ailleurs, sont amenés à dispenser des conseils aux parents dans l’exercice de leurs métiers : médecins, enseignants, etc.
En France, c’est en 1929 que se constitue l’association indépendante « l’École des parents », à l’initiative d’une femme pétrie par le mouvement de l’école nouvelle. Ses premières conférences portaient sur la place des parents dans l’éducation sexuelle, vulgarisant les acquis nouveaux de la psychologie. Dans des groupes, les parents tentent de trouver de nouveaux éclairages par la mise en commun de leurs questions et de leurs réflexions. Là et ailleurs, portées par l’évolution sociale et technologique au fil du siècle, les activités se diversifient : journaux pour les parents, émissions de radio, services d’entretiens par téléphone, jusqu’aux sites internet actuels.
De générations en générations, les interrogations des parents demeurent autour d’un large fond commun : la communication parents-enfant, l’autorité, les troubles de l’appétit, du sommeil, du langage, les difficultés scolaires, les colères, l’agressivité, les relations fraternelles, l’adolescence… Chaque décennie, cependant, apporte ses nouveautés particulières. Aux questions des années 60 autour de la contraception chez les jeunes et de l’usage de la télévision, se substituent en 2000 celles sur l’usage de la drogue, sur la violence et sur la gestion d’Internet en famille. À moins d’être tenté de baisser les bras, il faut faire face aux changements qui insécurisent, peuvent amener crispations sur la tradition, fermeture ou agressivité. L’appel à l’expert, censé savoir, l’appel au groupe d’égaux permettent de retrouver des repères.
À l’aube du XXIe siècle, dans notre hexagone, le soutien à la parentalité se montre particulièrement pertinent avec cette « famille incertaine », cette « famille du démariage » dont parle Irène Théry, où se cherche la place de chacun : place de la mère seule avec ses enfants, place à inventer du beau-père, place de l’adolescent, rapports entre parents séparés… Les parents migrants, eux aussi, cherchent particulièrement leurs balises, en tension qu’ils sont entre les valeurs et pratiques du pays d’origine et celles du pays d’accueil. La place du père, l’éducation des filles, le rapport à l’école les questionnent de façon permanente, d’autant plus qu’ils sont les premiers touchés quand le contexte social et économique est peu porteur, déstabilisant, voire destructeur en période de chômage ou dans certaines banlieues quand le tissu urbain se délite. Il va sans dire qu’on touche ici les limites d’un travail purement psychologique, le soutien à la parentalité s’appuyant lui-même sur toute une politique familiale – allocations, congé parental, mode de garde, aide au logement –, et de façon plus générale sur des réponses à une situation globale.
Prenant acte de ce contexte, la circulaire du 9 mars 1999, reconnaissant « la famille comme premier lieu de construction de l’enfant et de transmission des valeurs » et « constatant que tous les parents sont susceptibles de rencontrer des difficultés », incite à développer des réseaux d’écoute, d’appui et d’accompagnement des parents (Reaap). Il s’agit de valoriser leurs compétences en favorisant les relations et les échanges, ceux d’abord dont ils sont à l’initiative. Un certain financement est prévu à cet effet.
On assiste alors à une efflorescence – et à une meilleure identification – de multiples espaces pour les parents : centres de documentation, de consultations, de rencontres, cafés des parents, services pour des entretiens téléphoniques plus ou moins spécialisés, lieux d’accueil parents-enfants type « la Maison verte » fondée par Françoise Dolto, lieux de médiation pour faciliter la communication avec les adolescents ou entre parents séparés… Les groupes de parents retrouvent là une nouvelle légitimité. Les parents y déposent leurs interrogations et y trouvent un écho. Les inquiétudes peuvent perdre leur aspect envahissant grâce à la réflexion commune qui permet une certaine distance. L’animateur n’a pas la solution, il sait qu’il est diverses manières d’être un « bon parent ». Il aide plutôt le groupe à vivre, afin que chacun exprime son point de vue. Il peut donner des pistes, suggérer par exemple de faire le lien entre l’éducation donnée et l’éducation reçue, mais la dynamique essentielle pour mobiliser les attitudes éducatives reste la vie du groupe : en aidant les autres, chacun se sent plus compétent, gagne en confiance et en énergie.
Deux ans après, en mars 2001, cette fois-ci en partenariat avec l’Éducation nationale, une nouvelle circulaire précise et complète la précédente. Elle confirme les Reaap, mais incite à une plus forte implication des parents et à une meilleure articulation avec les dispositifs existants, à travailler, par exemple, davantage avec l’école. Elle souligne ainsi un autre aspect du soutien à la parentalité : la vigilance dans l’interaction parents-professionnels pour que chacun trouve sa place, sans empiétement mais dans une vraie reconnaissance mutuelle, nécessaire pour tous mais en particulier pour l’enfant qui passe d’un milieu à l’autre. L’école et les milieux éducatifs sont invités à plus de transparence et à faire largement place aux parents. Dans cette perspective est annoncée la création d’emplois d’adultes-relais, dans la lignée des femmes relais. Issus de la population des quartiers sensibles, ces adultes-relais peuvent jouer un rôle essentiel de porte-parole, de médiateurs entre les populations migrantes et l’école ou d’autres services publics. Dans ces situations de choc culturel, on leur délègue une fonction de mise en communication parents-éducateurs, qui doit de toute façon appartenir à tout projet éducatif, à la fois dans son cadre institutionnel et dans les attitudes individuelles.
C’est une œuvre à reprendre constamment, un état d’esprit, autant à la crèche qu’au collège ou au lycée, qui irrigue les entretiens ou les réunions avec les parents dans un souci partagé autour de l’enfant. C’est un certain style au conseil d’établissement, c’est l’envie de mettre en place des journées d’information pour le passage en sixième ou de proposer des repas élèves-parents-professeurs… La recherche pédagogique a prouvé l’intérêt de cette prise en compte réciproque, par exemple dans les dispositifs d’aide aux devoirs du soir beaucoup plus efficaces quand les parents sont impliqués dès le départ et associés au projet. Inscrite dans les textes récents, cette collaboration demande à être préparée dès les premiers cursus de formation en Instituts de formation des maîtres et dans les écoles d’éducateurs. Elle est toujours à réinventer, autant dans les associations de parents que chez les professionnels. Car chacune de nos générations est tentée par un repli simpliste et défensif, nourri par la peur et l’ignorance réciproques, l’inquiétude du conflit, la complexité d’un « faire ensemble et tour à tour » avec « nos enfants des autres ».