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Pour la sociologie. Et pour en finir avec une prétendue « culture de l’excuse »

Bernard Lahire La Découverte, 2016, 184 p., 13,50 €

La sociologie a récemment été attaquée par Manuel Valls, qui lui reproche de trouver des « excuses » aux délinquants et aux auteurs d’attaques terroristes. À cet égard, l’ouvrage de Bernard Lahire tombe à point nommé : l’auteur rappelle que cette accusation faite aux sciences sociales d’entretenir une « culture de l’excuse » est une antienne des représentants politiques depuis une trentaine d’années au moins. Parce qu’elle met à jour les forces qu’exercent inégalement les structures sociales sur les individus, la sociologie est accusée de déresponsabiliser, partant d’excuser. Une telle attaque témoigne de l’ignorance, feinte ou réelle, des classes dirigeantes vis-à-vis des sciences sociales. Lahire saisit ici l’occasion d’une clarification : Pour la sociologie, par sa forme relativement courte, offre une introduction bienvenue à la sociologie. Il en rappelle les principes fondamentaux : comprendre et expliquer, plutôt que juger et punir, sans que cette quête de sens soit synonyme d’une recherche d’excuses. La principale force de l’ouvrage, qui en constitue aussi le fil rouge, est l’estocade portée au mythe de l’individu libre de toute contrainte et produit de sa seule volonté : le libre-arbitre est une « fiction philosophique » qui fait abstraction du tissu de relations sociales au sein duquel chacun est pris. C’est contre une telle conception – outil de légitimation des inégalités et des rapports de domination – que se dresse la sociologie, science relationnelle qui réinscrit les individus, les idées et les représentations dans les ancrages sociaux qui contribuent à leur donner forme.

Dans un supplément à la fin de l’ouvrage, Lahire consacre une note de lecture critique au livre de Philippe Val (ancien directeur de la rédaction de Charlie hebdo puis de France inter), Malaise dans la culture. Paru en avril 2015, il incarne l’archétype des poncifs répétés à l’encontre de la sociologie et de celles et ceux qui la pratiquent. Bernard Lahire met en évidence les nombreuses contradictions qui y apparaissent, les mésusages de termes sociologiques, l’idéologie sous-jacente aux propos de l’auteur. Certains pourraient prêter à rire s’ils ne traduisaient pas un climat de méfiance quasi irrationnelle – Lahire parle à juste titre du « délire » de Val – qui règne dans certains cercles à l’égard des sciences humaines. En guise de conclusion et de réponse, Lahire suggère d’introduire l’enseignement des sciences sociales « dès l’école primaire ». Formatrices d’un esprit critique, celles-ci doteraient précocement les membres de la société d’outils pour une amélioration des conditions de vie en collectivité.

Dans Pour la sociologie, la forme prend parfois le pas sur le fond, et plusieurs points mériteraient d’être approfondis. Le débat sur la prostitution est par exemple résumé à l’opposition entre la situation de domination qu’elle induit et la position des abolitionnistes libéraux réclamant sa dépénalisation. On pourra aussi regretter l’absence d’analyse des rapports entre champ académique et champ politique. Ce n’était néanmoins pas l’ambition de l’ouvrage, qui reste un plaidoyer précieux et hautement salutaire pour penser le rôle des sciences humaines dans nos sociétés.

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Vianney Schlegel
15 mars 2016
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