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Dossier : L'utopie associative

Une utopie pour l’Europe


A chaque Conférence intergouvernementale, on s’y laisse prendre : cette fois-ci l’Europe a rendez-vous avec elle-même. A chaque sommet, on veut y croire, celui-ci sera le bon, l’élan tellement attendu, les réformes tant espérées vont venir. Et chacun d’accourir au balcon européen dans l’espoir d’y voir éclore une autre conception de la société européenne. Maastricht, Amsterdam, Cologne, Nice..., autant de décors pour une « représentation » : à chaque étape, c’est le même acte qui est resservi au public européen, celui d’une impuissance satisfaite. Si tant est que l’avenir de l’Europe s’y construit, c’est plutôt par défaut. Par manque d’imagination politique et d’audace. Certains déplorent l’absence d’une génération d’hommes et de femmes politiques visionnaires et s’émeuvent au souvenir d’un Jean Monnet. Mais les Monnet et autres Schuman ont grandi sous d’autres auspices : celles des guerres parmi les plus terribles que la terre européenne ait eu à porter. Aujourd’hui, les déclarations de nos ténors politiques s’évaporent dans la tiédeur du consensualisme mou. Les – relatifs – succès de la construction européenne, tissés à la toile du capitalisme mondialisé, ont tué le ferment même d’une vie démocratique inventive. Nos corps politiques et économiques semblent baigner dans une sorte d’asepsie de la pensée politique, structurée par quelques grands préceptes : les bienfaits de la croissance, la nécessité de déréguler les échanges, la science et la technologie comme sources sans fin de bien-être collectif... Jusqu’aux faiblesses du système qui font l’objet d’un accord : et chacun de regretter la fracture sociale hier, la fracture numérique aujourd’hui, la mauvaise distribution des fruits de la croissance... Et de finir par considérer, inconsciemment ou consciemment, que ces « aspérités » sont structurelles et finalement irrémédiables, à quelques correctifs nationaux près. C’est au mur cotonneux de cet unanimisme que viennent se heurter les rares initiatives politiques. Quatre mois plus tard, que reste-t-il de la déclaration de Joschka Fischer à Berlin ? Quelles traces notre société va-t-elle garder du débat qu’il avait pour un temps réussi à provoquer ?

En réalité, c’est ailleurs que nous devons chercher des sources d’inspiration, les moteurs de l’invention sociale. Le monde politique, qui tourne au rythme binaire de la dérégulation et du marché, pourra chercher longtemps le souffle d’une alternative avec un grand A. Probablement le temps des majuscules est-il passé, et c’est tant mieux si l’on repense aux ravages des idéologies totalisantes. C’est sur le terrain des « minuscules », celui des micro initiatives, des mouvements civiques et des associations que nous devons nous mettre en quête des sources d’un renouvellement de la société.

L’Europe, en tant que communauté politique en gestation, fait face aujourd’hui à un double besoin : sortir du monolithisme de la pensée « socio-libérale », d’une part ; inventer de nouvelles formes de gouvernance, pour elle-même comme dans son rapport au reste du monde, de l’autre. Dans un cas comme dans l’autre, le monde associatif – qu’on l’appelle Ong, tiers secteur, économie sociale et solidaire, société civile... – constitue un horizon et un levier.

L’ouverture d’un espace public

La sortie du monolithisme passe par le conflit. Historiquement, ce sont dans les conflits avec l’extérieur que les peuples ont tissé une identité et construit un sentiment d’appartenance à une communauté de destin. Il nous est régulièrement rappelé comment la seconde guerre mondiale a permis d’accoucher de la Communauté européenne du charbon et de l’acier et de ses suites. Mais on oublie trop souvent à quel point l’incorporation même du terme « Europe » dans le vocabulaire courant, depuis le xve siècle, doit au rejet de la civilisation musulmane. D’Erasmus à Voltaire, en passant par Luther, plusieurs siècles de générations d’intellectuels, connus par ailleurs pour leurs positions pacifistes, ont appelé publiquement à combattre « le musulman », « le Turc », au nom d’une civilisation européenne. Aujourd’hui, aux antipodes de ceux qui se réclament du « clash des civilisations », il n’est pas question d’en appeler à une guerre quelconque pour nous permettre de nous ressouder et d’aller de l’avant.

Il s’agit au contraire de renouer avec ce qui fait l’essence du politique : la construction d’un espace public intense, vif, bousculé et bousculant. Or l’espace public européen demeure l’arlésienne. Ou plutôt l’Europe est un collage d’espaces publics locaux et nationaux, sans capacité à dialoguer entre eux, à se nourrir de leurs diversités. Ceux qui au quotidien mènent le travail dans nos institutions ont peur du disensus dans l’espace européen. Ce qui paraît normal dans l’espace national – polémiques avec l’opposition, « unes » tapageuses des médias, yo-yo des sondages..., tout ce qui alimente ou reflète le débat public – semble impossible à assumer à l’échelle européenne. Tout est fait pour gommer les controverses, dessiner une Europe au destin tout tracé. Tout le matériau éditorial produit par la Commission européenne est de ce point de vue une caricature. La direction de l’information se comporte comme une agence de propagande, dont le rôle consiste à rassurer les citoyens sur la pertinence même de l’idée européenne, répétant inlassablement la doxa économique, qui tient lieu de projet de société. Les fonctionnaires de la Commission européenne sont tellement imprégnés des dogmes dominants – bienfaits du commerce international, fascination pour la « nouvelle économie... » – que les Conseils passent, se composent et se décomposent au gré des élections nationales, sans infléchir véritablement le cours de ce paquebot. Quant à ceux qui ne se sentent pas forcément en phase avec l’esprit général de la maison [1], ils n’ont pas plus de marge de manœuvre qu’une fourmi qui voudrait inventer une nouvelle architecture pour sa fourmilière. Au final, la pluralité de destins possibles pour l’Union, les controverses qui ont précédé l’accouchement de telles ou telles politiques ont effacées, comme si la politique n’était pas d’abord une affaire de choix.

Prenant à contre-pied la tendance à l’œcuménisme, nous devons puiser dans nos différences les raisons de conflits positifs. C’est en confrontant nos cultures politiques, en frottant nos sociétés les unes aux autres que nous retrouverons notre créativité.

L’association, creuset d’imaginaire et d’interculturalité

Malheureusement les médias ne nous aident guère à engager une telle démarche. Eux-mêmes inscrits dans l’espace national, ils traitent des enjeux européens à la marge de leurs colonnes ou de leurs écrans ; ils sont le plus souvent incapables de véhiculer autre chose que le prisme national ou le discours dominant pro-européen bien pensant.

Les partis politiques, pas davantage, ne sont à même de jouer ce rôle. D’abord, parce que dans leurs propres représentations mentales, les enjeux européens demeurent peu importants et la carrière politique européenne peu attractive (un député européen est toujours vu comme un « député de seconde classe »). Ensuite, parce que le Parlement européen est doublement ankylosé : nombre de députés reçoivent les directives de vote de leur capitale. Ils perdent leur capacité à se comporter comme des élus transnationaux représentant les peuples européens et non pas un peuple particulier ; et l’alternance pré-organisée entre les deux groupes politiques dominants contribue à faire régner un consensualisme mou. Même les intellectuels, à l’exception des souverainistes, semblent déserter le champ européen [2].

Le monde associatif apparaît comme le creuset ou se nourrit un authentique débat. Même si les syndicats et partis n’en sont pas totalement absents, ils s’avèrent incapables de véhiculer cette transnationalité dont nous avons besoin pour faire émerger une nouvelle culture politique européenne. Le monde associatif, à l’inverse, peut aller jusqu’au bout du questionnement sur les choix de société : remise en cause de la politique commerciale de l’Union, ouverture de la définition des droits fondamentaux européens, veille sur les choix scientifiques et technologiques, débat sur les enjeux bioéthiques, sortie de l’ultra-libéralisme en matière financière, construction d’un modèle social ambitieux et contraignant, remise en cause des politiques culturelles anachroniques, inflexion des choix énergétiques, etc. Sur tous ces sujets et bien d’autres, complexes il va sans dire, les associations sont comme le nouveau terreau de la citoyenneté, où peut se construire de la réflexion et du jugement politique. L’association renoue ainsi avec l’une de ces fonctions constitutives : celle d’un espace de liberté de pensée, protégé des pesanteurs de la « real politique ». Les acteurs associatifs sont plus à même de sortir des moules nationaux pour aller à la rencontre des cultures de leurs voisins. Si le chemin de l’inter culturalité est aussi difficile pour eux que pour les syndicalistes ou les responsables politiques, les structures souples de l’association leur permettent d’organiser des débats qui ne s’enferment pas sur des critères nationaux. La Confédération européenne des syndicats (Ces) vit au quotidien la difficulté de la supranationalité : il est régulièrement reproché à ses dirigeants d’oublier leurs bases nationales et d’être plus pro-européens que ceux dont ils tirent leur mandat. A contrario, les réseaux associatifs, quels que soient leurs champs d’action, frottent plus facilement les cultures pour construire une position commune au-delà des clivages nationaux.

Les faiblesses des associations en font ici la force : leurs petites voix nous convient à des dialogues inédits, qui peuvent, si nous savons les relayer, résonner loin dans cet espace public européen en construction.

L’association, laboratoire de gouvernance

Au-delà de cette contribution aux fondements d’une citoyenneté européenne, les acteurs du tiers secteur peuvent nous aider à cheminer sur la voie d’une nouvelle gouvernance. L’Europe a besoin de sortir du dilemme dérégulation/régulation. Si aucun gouvernement ne se réclame ouvertement ni de l’une ni de l’autre, si tous mettent en avant sans grand succès leurs « troisièmes voies », si tous se réfèrent régulièrement au modèle social européen, de fait, c’est sur la voie libérale que nous glissons pas à pas, par faute de véritable alternative.

Creusets de réflexion, les associations constituent également le terrain privilégié d’une expérimentation d’une autre forme de rapport gouvernement/gouvernés. On ne s’aventurera pas à décrire avec précision en quoi consistera cette gouvernance du xxie siècle, mais nous percevons autour de quels axes elle se construit.

Le premier, le plus important, est celui de la montée en puissance des pouvoirs locaux. Phénomène bien connu, arrimé à la mondialisation avec laquelle il interagit, le rôle croissant des collectivités territoriales n’est pas propre à l’Europe. Toute la question est de savoir comment l’Union s’appuiera sur cette dynamique, au lieu de la subir, comment elle inventera les cadres adaptés pour catalyser cette énergie créatrice venue de l’échelon local. La mise en place, par le traité de Maastricht, du Comité des régions est bien en deçà de la réalité. Doté de pouvoirs consultatifs, il ne permet guère de prendre en compte les besoins et les ressources de ces acteurs. La subsidiarité, longtemps utilisée comme alibi de la non-intégration, prend ici tout son sens. Plus qu’une décentralisation, c’est une véritable redistribution des responsabilités entre les niveaux nationaux, locaux et supranationaux qui doit être opérée. A première vue, celle-ci semble devoir se faire au détriment de l’échelon étatique. En réalité, un renforcement des pouvoirs locaux dégagerait l’Etat-nation d’une multitude de tâches qui seraient mieux gérées à l’échelon local, au plus près du citoyen, et simultanément, par ricochet, lui permettrait de jouer un rôle renforcé sur la scène européenne et internationale.

Second axe, la réorientation du rôle de la puissance publique, dans le sens d’un accompagnement de l’initiative citoyenne. C’est là probablement le cœur d’une l’alternative au schéma dérégulation/régulation. Une première inflexion a été marquée par le passage d’une conception des services publics identifiés à des entreprises publiques, à celles de services d’intérêt général, dont les missions – définies par la puissance publique – sont menées par des acteurs du secteur privé aussi bien que public. Nous entrons désormais dans une autre phase, où la puissance publique doit également réinventer son rôle dans des champs non délégables au secteur marchand. Il ne s’agit plus pour elle de « faire en direct », dans un monde chaque jour plus complexe, où les vraies difficultés sont toujours un peu moins d’ordre économique, et chaque fois un peu plus dans le registre du lien, du « savoir-vivre ensemble ». Aucun taux de croissance ne permet au sans-abri de retrouver toit et dignité ; aucune construction de « très grande bibliothèque » ne parviendra à inclure l’ensemble des citoyens dans la société de la connaissance qui émerge sous nos yeux. L’Etat doit se penser désormais comme détecteur, catalyseur, relais, amplificateur, accompagnateur des initiatives portées par le tiers secteur. Il passe ainsi d’une position verticale, descendante, à une position horizontale, rayonnante. Ainsi, à titre d’exemple dans le champ culturel, faut-il encore multiplier les scènes nationales, démesurément coûteuses et peu à même d’appuyer la jeune création ? Ou aider les lieux culturels autonomes, portés par des collectifs et des associations, moins consommateurs de crédits et plus proches des artistes en émergence ? L’Etat pourrait ainsi décupler ses moyens, amplifier son action, et renouer avec ceux des artistes qui interagissent avec la société.

Cette transformation du rôle de l’Etat est d’autant plus complexe vue de France, qu’elle va à l’encontre d’une tradition centralisatrice : elle heurte non seulement les souverainistes, mais aussi tous ceux qui ont construit leur pouvoir, au sein des administrations ou des corps, à partir du rôle central de la puissance publique. La création du secrétariat d’Etat à l’Economie solidaire, pour aussi décevante qu’elle soit du point de vue budgétaire, est un symbole fort. La France, ce pays jacobin, envoie ainsi un signal à ses partenaires : l’existence d’un secrétariat d’Etat affirme la reconnaissance du rôle du tiers secteur non pas comme sous-traitant du service public mais comme impulseur de transformation sociale. Il reste à voir comment ce symbole se traduira par des choix législatifs et fiscaux, qui concrétisent la reconnaissance pratique de ce rôle.

Conséquence directe de ces évolutions, on voit se nouer dans l’espace local des alliances objectives entre acteurs publics et acteurs du tiers secteur. La construction de nouveaux partenariats entre collectivités locales et associations, gommant la traditionnelle ligne de partage public/privé, apparaît comme le troisième axe de la mutation politique en cours. Car les collectivités locales, plus que les administrations centrales, sont à même de percevoir l’intérêt de passer du rôle de « faiseur » à celui d’« accompagnateur ». Elles trouvent dans les liens noués avec les associations un triple intérêt : un moyen de se rapprocher de leurs électeurs et de leurs attentes (et ainsi une source de rélégitimation), un gisement de créativité sociale, une alliance dans les éventuels rapports de force avec l’Etat.

Deux exemples illustrent ces nouveaux partenariats. Le premier est tiré des expériences d’usage citoyen des technologies de l’information. Quand les Etats-nations peinent, pour la plupart, à prendre la mesure des chances et des risques induits par l’irruption massive de ces outils, de nombreuses municipalités, avec le terreau associatif, s’en sont saisi comme d’un outil de citoyenneté. Lorsque l’on se réfère aujourd’hui aux expériences innovantes dans ce domaine, collectivités locales et associations sont citées pêle-mêle, les unes nourrissant les autres et vice versa. De Bologne à Brest, les exemples sont nombreux de ces coopérations qui cherchent à utiliser Internet et le multimédia comme outil de participation des habitants à la vie de la cité. Autre exemple, plus directement politique, celui des municipalités ayant adhéré à Attac. Se démarquant des positions du gouvernement qui argue de l’infaisabilité des réformes financières proposées par cette association, 78 communes en sont directement devenues membres. Le pouvoir local puise dans cette appartenance la possibilité de dépasser le jeu politicien et de prendre de plain-pied une position sur des enjeux qui appartiennent au pré carré du pouvoir national.

Une société en réseaux

Quatrième axe d’une nouvelle gouvernance : la constitution de nouveaux nœuds de pouvoirs, appuyés sur des réseaux plutôt que sur des structures pyramidales. Les réseaux – humains et électroniques – bouleversent les structures hiérarchiques traditionnelles. Cette transformation fait sentir ses effets à l’intérieur des entreprises, renouvelant leur mode de management. Mais nul ne sait encore jusqu’ou cette culture du réseau, lorsqu’elle aura durablement imprégné le monde politique, pourra transformer le rapport au pouvoir, la relation entre l’élu et ses électeurs, entre le parti et les mouvements civiques. Il est passionnant, toutefois, de voir comment les mouvement civiques internationaux se sont saisi des outils en réseaux. Ils ont ainsi amplifié leurs dynamiques, diffusé leurs messages à l’échelle internationale et augmenté leurs pressions. Au-delà d’un effet de masse, cette culture du réseau a permis des rencontres improbables. Les médias se focalisent volontiers sur les dissensions entre mouvements pour une autre mondialisation, mais oublient que se retrouvent, de Seattle à Prague en passant par Millau, des acteurs venus de tous les continents – avec les différences culturelles que cela implique – et que défilent ensemble les familles chrétiennes réunies sous la bannière de Jubilé 2000 comme les mouvances venues des rives de l’extrême-gauche focalisées sur les institutions financières et commerciales internationales. Bien entendu, ni les rapports de force ni les rivalités ne disparaissent, mais des dialogues et des convergences autrefois impensables se dessinent.

Les associations européennes ont aujourd’hui besoin de mener la même démarche de mise en réseau. Lancée après la conférence de Maastricht, la dynamique des « conférences inter citoyennes », un réseau de 30 associations européennes venues de différents horizons géographiques et idéologiques, relevait de cette philosophie. Malheureusement, elle est restée embryonnaire, faute d’un objet politique précis. De même, les tentatives de rassemblement du Forum permanent de la société civile buttent encore sur la méthodologie. Trop satellite de Bruxelles et de ses institutions, il a du mal à s’inscrire dans cette culture du réseau, par essence polycentrée. Dans les années à venir, les associations européennes sont appelées à jouer un rôle d’avant-garde dans ce passage à l’organisation politique en réseau.

Une autre mutation est en cours avec l’invention de partenariats entre secteur marchand et tiers secteur. Face au retrait de la puissance publique dans bien des domaines, en particulier sociaux, les acteurs associatifs sont amenés à chercher des partenaires, financiers ou autres, en direction du secteur privé. Quant aux entreprises, elles découvrent à travers le secteur non marchand de nouvelles cibles et donc de nouvelles sources de profit, mais aussi des sources d’expertise. A priori, cette évolution semble négative, les associations courant tous les risques d’être manipulées, comme cautions servant l’image des entreprises, voire comme portes d’entrée vers de nouveaux marchés, transformant leurs adhérents et militants en cible marketing. Pourtant, à condition de penser cette évolution et non de la subir, celle-ci peut être l’occasion de modifier le rapport de force. Une association ne se sponsorise pas comme un bateau pour une course transatlantique. Elle véhicule des contenus, des pratiques, des convictions qu’elle dissémine lorsque le secteur marchand utilise son expertise : c’est de plus en plus souvent le cas pour les acteurs associatifs qui agissent sur le terrain du développement social et local (politique de la ville, insertion, immigration, etc.). Et, paradoxalement, plus le secteur privé prétendra se mêler de bien public, plus les associations seront en mesure de choisir leurs interlocuteurs. Il est temps que le tiers secteur se dote d’outils d’évaluation et de surveillance du secteur privé, conformes à son éthique. Elaborés avec les syndicats, des indicateurs de comportement – écologiques, sociaux, etc. – permettraient de jauger les entreprises et d’accepter les partenariats sous condition.

Enfin, c’est le dernier axe de cette gouvernance en devenir, l’Europe a besoin d’inventer une autre manière de se relier au reste du monde. Une autre géographie est en train de se dessiner, dans laquelle les clivages Nord-Sud ne sont pas gommés mais se superposent à d’autres lignes de partage, qui suivent les contours des continents de la connaissance. Derrière la soi-disant société de l’information sont en train de surgir des sociétés des connaissances dans lesquels les « pauvres » ne sont pas forcément ceux dont les ressources économiques sont restreintes, bien au contraire. Lorsqu’il s’agit d’inventer de nouvelles manières de vivre ensemble, de nouveaux partages des savoirs, les Africains ou les Asiatiques ont tout autant à imaginer que les Européens et les Canadiens. Alors que les institutions internationales sont empêtrées dans des visions post-coloniales – mélange de mépris et de marginalisation vu du Nord, position de mendicité vue du Sud –, certains réseaux associatifs européens commencent à intégrer cette nouvelle donne et travaillent sur un pied d’égalité et de réciprocité avec leurs homologues du Sud.

A choisir un regard sur notre société, ici celui de l’association, le risque d’angélisme et de caricature n’est pas loin. Certes, le monde associatif n’est pas la seule force à l’ouvrage dans la mutation que traverse l’Europe. Mais les associations constituent à la fois un laboratoire et un moteur de transformation, pour tous ceux qui cherchent à dessiner les contours d’une société dans laquelle le bien commun ne se limite pas au bien-être matériel, et qui place la créativité au cœur de ses ambitions.


1 Notons le travail remarquable mené par la cellule de prospective de la Commission pour insuffler du débat sur l’avenir possible de notre continent. Cf. par exemple www.quelle-europe.org

2 Cf. Le Monde, 29 mai 2000.


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