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« Les tarifs sociaux ne suffisent plus »

Denis Merville, médiateur national de l'énergie © Eric Nocher
Denis Merville, médiateur national de l'énergie © Eric Nocher
Entretien - Quels problèmes l’énergie pose-t-elle aux Français ? Comment faire évoluer la facturation ? Comment faire payer le coût réel sans exclure des millions de ménages ? Que penser des lois en discussion ? En observateur aguerri, le médiateur national de l’énergie Denis Merville répond à nos questions.

Quelle est la mission du médiateur national de l’énergie ?

Denis Merville – Le médiateur national de l’énergie est une autorité administrative indépendante créée il y a cinq ans, dans un contexte d’ouverture à la concurrence des marchés de l’électricité et du gaz. Il a une double mission d’information des consommateurs et de résolution des litiges.

Dès 2007, avec la Commission de régulation de l’énergie, nous avons conçu Énergie-Info, un service d’information pour aider tous les consommateurs particuliers, non professionnels ou professionnels (micro-entreprises), à s’orienter dans la complexité de ce nouvel environnement. Chaque année, plus d’un million de consommateurs est renseigné. Le site www.energie-info.fr informe sur les droits et les démarches à accomplir pour résilier un contrat, changer de fournisseur, raccorder un logement neuf au réseau, etc. Il propose aussi, depuis novembre 2009, un comparateur, objectif et indépendant, des offres des fournisseurs d’électricité et de gaz.

Par ailleurs, un centre d’appels (accessible au n° vert 0800 112 212) permet d’obtenir une réponse personnalisée à toutes les questions simples, ainsi que la liste des fournisseurs 24h/24 par serveur vocal. En complément, une cellule d’experts traite les problèmes plus complexes (facturation, résiliations inexpliquées de contrat, négociation d’un échéancier de paiement, coupures de fourniture d’énergie, modalités d’accès aux tarifs sociaux…). L’objectif est simple : faciliter les démarches (même quand elles ne relèvent pas de la compétence du médiateur, comme les ventes forcées) et les accompagner dans la durée.

Le médiateur a aussi pour mission de protéger les consommateurs en cas de litige. Ils peuvent le saisir pour rechercher une solution amiable au différend qui les oppose à un fournisseur ou un distributeur d’énergie. Le médiateur intervient auprès de l’opérateur et peut émettre, si nécessaire, une recommandation écrite et motivée, proposant une solution.

Bénéficiez-vous aussi des remontées d’information de la part des consommateurs ?

Nous réalisons chaque année un baromètre afin de mieux connaître la perception qu’ont les Français des marchés de l’énergie. Selon le dernier en date1, 79 % des Français déclarent que la consommation d’énergie constitue pour eux un sujet de préoccupation croissante. Pour 65 % d’entre eux, les factures représentent une part importante des dépenses totales du foyer. Et ils sont réalistes : 97 % anticipent une hausse des tarifs dans les prochains mois. Leurs craintes semblent fondées : en témoignent les hausses récentes, fortes et répétées, du gaz comme de l’électricité.

Les experts le confirment : l’augmentation des prix de l’énergie est inéluctable. Certes, le prix de l’électricité en 2010 est inférieur en euros constants à celui de 1995 mais, depuis 2008, les hausses des tarifs réglementés ont été supérieures à l’inflation et la tendance devrait se confirmer. L’augmentation continue de la demande, le vieillissement du parc de production français et le retard dans le renforcement des réseaux nécessiteront, quel que soit le scénario d’évolution du mix énergétique, des investissements importants tant dans les réseaux que dans les moyens de production. Le coût de ces investissements se retrouvera immanquablement dans les factures. L’Union française de l’électricité évalue la hausse des prix pour les particuliers entre 33 % et 50 % hors inflation d’ici à 2030. Quant aux tarifs réglementés de vente du gaz, ils ont augmenté de près de 80 % depuis 2005. L’évolution à court terme du prix des hydrocarbures est incertaine, mais les spécialistes s’accordent sur une hausse à long terme, notamment en raison de la croissance de la demande et du renforcement des exigences environnementales.

Dès lors, la question n’est pas de savoir si les prix augmenteront, mais comment. Pour préserver le pouvoir d’achat des ménages, les gouvernements successifs ont tenté de plafonner, en 2011 et 2012, la progression des tarifs réglementés du gaz. Le Conseil d’État a invalidé ces décisions, d’où plusieurs rattrapages sur la facture en 2013, difficiles à comprendre pour le consommateur ! Parallèlement, pour l’électricité, l’augmentation de la contribution aux charges de service public de l’électricité (CSPE)2 est restée bien en deçà des charges auxquelles elle correspond : le réajustement sera là aussi inéluctable.

Quelle serait l’option économiquement satisfaisante et socialement acceptable pour faire face aux hausses de prix à venir ?

La maîtrise de la hausse des factures passe nécessairement par la sobriété énergétique, c’est-à-dire par des actions d’efficacité énergétique et une évolution des comportements. Moins consommer ne suffira pas. Il faut aussi mieux consommer, c’est-à-dire adapter ses usages à la disponibilité des moyens de production. On sait que la consommation d’électricité connaît des périodes de pointe, journalière (vers 19h) ou saisonnière (en hiver, lors de grands froids). Des offres d’effacement existent, qui incitent les clients à réduire leur consommation pendant ces périodes de pointe. Elles ont fait la preuve de leur efficacité : le tarif EJP3, proposé par EDF, permet de bénéficier d’une réduction tarifaire importante en contrepartie de prix nettement plus élevés pendant 22 jours dans l’année, entre novembre et mars. Le tarif Tempo4 fonctionne sur le même principe. De tels dispositifs incitent à moins consommer les jours où la demande d’électricité nécessiterait des moyens de production supplémentaires très coûteux et polluants. Malheureusement, ces tarifs ne sont plus commercialisés et ils ne peuvent être proposés par aucun fournisseur alternatif. Seule une impulsion politique forte leur donnerait un second souffle.

Autre piste pour inciter à la sobriété ? Diminuer les puissances souscrites. Celles-ci n’ont pas de conséquence sur le prix des consommations mais sur l’abonnement, d’autant plus élevé que la puissance est importante. Or, ces dernières années, le consommateur s’est vu encouragé à souscrire à des puissances plus élevées par une baisse du prix de l’abonnement des puissances élevées5.

La loi dite Brottes vient d’être publiée. Quelles sont les avancées pour les consommateurs d’énergie ?

La loi visant à préparer la transition vers un système énergétique sobre, bien qu’elle soit tronquée de sa principale mesure – un dispositif de bonus-malus dont l’objectif était d’inciter à consommer moins d’énergie – prévoit un élargissement des tarifs sociaux de l’énergie à l’ensemble des personnes en situation de précarité énergétique, soit quatre millions de foyers. Se chauffer et s’éclairer sont des droits fondamentaux dont l’accès doit être garanti à tous les citoyens. En outre, tous les fournisseurs d’électricité pourront accorder le tarif première nécessité (TPN), comme c’est déjà le cas pour le gaz. Le texte met également en vigueur l’interdiction des coupures d’électricité et de gaz en hiver pour impayés, sur le modèle de la trêve hivernale pour les locataires.

Cette loi renforce par ailleurs les prérogatives du médiateur national de l’énergie par une extension de son champ de compétences. Nous étions en effet saisis régulièrement par des petites et moyennes entreprises auxquelles nous ne pouvions apporter de réponse satisfaisante. De nombreux consommateurs, jusqu’alors exclus de notre service public de médiation, peuvent désormais en bénéficier : outre les particuliers, les artisans, commerçants et professions libérales, certaines PME (moins de 10 salariés et 2 millions d’euros de chiffre d’affaires), les associations à but non lucratif, les syndicats de copropriétaires, et même les collectivités locales… Cette extension de notre champ de compétences concerne également la nature des litiges – à deux exceptions près : les litiges liés aux démarches commerciales et aux panneaux solaires photovoltaïques. Désormais, tous les contrats conclus avec un fournisseur ou un distributeur de gaz naturel ou d’électricité sont couverts. C’est une avancée car un plus grand nombre de consommateurs pourra bénéficier d’un mode de règlement des litiges public et impartial.

Face à l’évolution des prix de l’énergie, comment veiller aux équilibres économiques et sociaux ?

Les tarifs doivent refléter le coût réel de l’électricité et du gaz. Mais les évolutions de prix doivent être maîtrisées, programmées et étalées dans le temps. Dans un souci de simplicité et de pédagogie, les augmentations pourraient avoir lieu une fois par an, pour ne pas donner aux consommateurs le sentiment d’un système incontrôlé, avec des hausses à répétition et des rattrapages « surprise ». De même, un calendrier pluriannuel permettrait d’anticiper les augmentations à venir et de faire des choix éclairés, lors de l’achat d’un logement ou de la rénovation d’une maison. L’énergie doit être payée à son juste prix par les consommateurs qui peuvent se le permettre, mais il importe d’accompagner les foyers les plus vulnérables.

Car en matière de précarité énergétique, le constat est accablant : en France, près de 4 millions de ménages (plus de 8 millions de personnes) consacrent aujourd’hui plus de 10 % de leur budget à leurs dépenses d’énergie6. Ils sont nombreux à faire appel à nos services quand ils n’arrivent plus à régler leurs factures et représentent jusqu’à 20 % des dossiers traités. Que ce soient des femmes élevant seules leurs enfants, des retraités aux pensions modestes, des personnes bénéficiaires des minima sociaux ou en surendettement, leurs courriers témoignent de leur bonne volonté : ils tiennent à s’acquitter de leur dette, mais n’arrivent pas à trouver un arrangement avec leur fournisseur sur un échéancier de paiement ou sont menacés de coupure. Ces personnes sont de plus en plus nombreuses. La crise économique et les hausses du prix de l’énergie ont détérioré une situation financière déjà fragile.

Les tarifs sociaux ne suffisent plus. Financièrement insuffisants (95 euros de rabais en moyenne par an pour l’électricité et 142 euros pour le gaz), ils sont socialement stigmatisant quand les consommateurs doivent multiplier les démarches pour faire valoir leurs droits. D’ailleurs, malgré l’automaticité, la moitié des consommateurs qui pourraient jouir des tarifs sociaux de l’énergie n’en bénéficient toujours pas, par défaut d’information ou par gêne de les demander. D’où ma proposition de créer un chèque énergie, qui serait attribué aux 4 millions de foyers précaires, quel que soit leur mode de chauffage (électricité, gaz, bois, fioul…). Son montant tiendrait compte des critères de ressources, mais aussi de critères spécifiques à l’énergie, comme la zone géographique du logement et sa performance énergétique.

Ce volet curatif, nécessaire, doit naturellement s’accompagner d’actions sur l’habitat. La rénovation des « passoires énergétiques » est un objectif majeur. Au-delà des logements sociaux, beaucoup de propriétaires de maisons individuelles sont concernés, en province notamment. Le programme « Habiter mieux » de l’Agence nationale de l’habitat, doté de 1,3 milliard d’euros, vise à réhabiliter 300 000 logements. En 2012, seules 15 000 habitations ont été rénovées. Il est donc impératif d’intensifier les efforts pour atteindre l’objectif fixé par le gouvernement.

Seule la conjugaison de ces deux moyens d’action permettra de faire reculer durablement la précarité énergétique. Se chauffer et s’éclairer sont des biens essentiels. Dans une société moderne et solidaire, ils devraient être accessibles à tous.

Propos recueillis par Grégoire Lefèvre



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1 L’enquête téléphonique réalisée par l’institut CSA en septembre 2012 a permis de recueillir l’opinion de 1503 foyers français.

2 Taxe chargée de financer, entre autres, les énergies renouvelables et supportée in fine par tous les consommateurs à travers leurs factures d’électricité.

3 Effacement des jours de pointe.

4 Proposée par EDF pour les particuliers, cette option propose des prix variables selon les jours et les heures d'utilisation [NDLR].

5 La différence de prix moyen entre deux puissances au tarif heures pleines/heures creuses était de 97 euros en 2012 contre 176 euros en 2007.

6 Selon une publication de l’Insee de mai 2011.


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