Do not follow this hidden link or you will be blocked from this website !
Logo du site

Le crime du mobile, ou le mythe de l'impuissance des États face à l'évasion fiscale


Les États sont-ils impuissants face à l'évasion fiscale ? Voilà la question que posait le journal L’Humanité dans son édition du 29 mai 2013. Pour Jean Merckaert, la réponse est résolument non, pourvu que la mobilité des acteurs économiques (multinationales, grandes fortunes) s'accompagne d'une contrepartie : la transparence.

Que la mobilité confère un surcroît de pouvoir ne souffre guère la contestation. Que l’on songe à la puissance des financiers par rapport aux industriels ou aux États, des investisseurs face aux bassins d’emploi sinistrés, ou des géants du trading face aux agriculteurs. En matière d’impôt, le constat se vérifie : les actifs financiers traversent allègrement les frontières pour rejoindre des cieux fiscalement cléments, la valeur engrangée par les groupes transnationaux est allouée au gré des avantages fiscaux, par le jeu du commerce et de l’endettement entre filiales. L’on blâme avec raison les américaines Google ou Apple, qui dessinent dans leur comptabilité une géographie très éloignée de leur réalité économique (un chiffre d’affaires cent fois supérieur en Irlande à celui affiché en France, pour la première !). Mais on aurait tort d’occulter les autres secteurs et les firmes européennes : le phénomène est généralisé. Il compte même ses artificiers : banques et « Big Four » de l’audit et du conseil fiscal, qui cumulent assistance à évasion fiscale, certification des comptes et préparation du terrain en s’assurant l’hospitalité des législations offshore.

 

L'explosion des paradis fiscaux

Car certains micro-États leur ont tout bonnement remis les clés de leurs lois, voyant dans la course à l’opacité et au moins-disant fiscal une promesse de tirer leur épingle du jeu de la mondialisation. Depuis les années 1970, le nombre de paradis fiscaux a triplé. Les techniques de transfert de profit et d’anonymisation des comptes se sont perfectionnées. Les BVI (Îles Vierges britanniques) se sont imposées dans les sociétés écrans (830 000 entreprises pour 24 000 habitants !), les Bermudes dans les captives d’assurance (filiales chargées d’assurer l’ensemble d’un groupe), le Luxembourg dans les holdings, tandis que la Suisse et les îles anglo-normandes se disputent le gros de la gestion de fortune privée. Le marché de l’opacité suscite aussi la convoitise de grandes puissances, à l’instar du Delaware, l’une des cinquante étoiles du drapeau américain, où 217 000 sociétés sont enregistrées à la même adresse, ou de Londres, plaque tournante des flux en provenance de Jersey, des îles Cook, Caïman ou de Gibraltar…

Mis en concurrence à la faveur de la libéralisation des capitaux, nos États semblent avoir placé leur souveraineté fiscale sur le marché. Ce mouvement n’est pas tenable. Il étrangle les pays en développement, premières victimes de la fuite illicite des capitaux. Il sape les recettes publiques, mettant les États à la merci des créanciers et servant à justifier le démantèlement de l’État-Providence. Partout à travers le monde, la charge fiscale est reportée des « assiettes mobiles » (échanges, profits, actifs financiers) sur les « assiettes immobiles » (notamment par la TVA) : des plus riches vers les moins fortunés. Le jeu concurrentiel lui aussi est faussé : comment une PME, taxée à 30% de ses profits, peut-elle rivaliser quand le CAC40 n’est effectivement imposé qu’à 8% ? Surtout, en cédant au chantage des plus mobiles, c’est notre capacité à faire société, à décider de notre avenir commun que nous aurions abandonnée.

 

Une question de volonté

Une armée de professionnels voudrait faire croire que l’évasion fiscale est inéluctable ? Les États ont les moyens de la juguler. Pourvu qu’ils en aient la volonté – ou qu’on la leur insuffle. Et qu’ils fassent le bon diagnostic. Ce combat n’est pas d’abord celui, entre États, que nous donnent en spectacle les médias (Autriche et Luxembourg contre Commission ; Suisse contre Royaume-Uni), mais celui des mobiles contre les immobiles. À défaut de revenir à un strict contrôle des capitaux, qui ne semble guère de mise aujourd’hui, il s’agit, pour les États, d’assortir ce formidable avantage qu’est la mobilité d’une contrepartie : la transparence. En trois actes. Primo, à l’instar de la loi américaine Fatca, obliger les banques à transmettre illico au fisc toute information concernant les comptes étrangers des contribuables. Nul besoin d’un accord unanime à 27 pour en décider à Paris. Secundo, interdire toute transaction à une entité dont le véritable détenteur n’est pas dûment identifié par les autorités. Et le trust, ce contrat à trois de spécialité britannique, ne saurait faire exception, n’en déplaise à l’hôte du prochain G8. Tertio, contraindre les multinationales à s’expliquer dans leur rapport annuel sur leur activité (chiffre d’affaires, bénéfices, employés…) pays par pays.

Notons que si les banques y seront obligées dès 2015, ce n’est pas d’abord grâce à l’Europe, qui vient de s’accorder sur cette mesure. Ni même grâce aux parlementaires français, qui l’ont votée ce printemps. Mais grâce à des régions françaises ou à de petites communes comme La Chapelle-sur-Erdre qui, dès 2010, ont montré la voie. Pourquoi ? Simplement, parce que des citoyens, des militants associatifs comme ceux du CCFD-Terre Solidaire, les ont interpellés et leur ont donné le courage de croire en leur pouvoir.

Les plus lus

Les Marocains dans le monde

En ce qui concerne les Marocains, peut-on parler de diaspora ?On assiste à une mondialisation de plus en plus importante de la migration marocaine. On compte plus de 1,8 million de Marocains inscrits dans des consulats à l’étranger. Ils résident tout d’abord dans les pays autrefois liés avec le Maroc par des accords de main-d’œuvre (la France, la Belgique, les Pays-Bas), mais désormais aussi, dans les pays pétroliers, dans les nouveaux pays d’immigration de la façade méditerranéenne (Italie et ...

L’homme et Dieu face à la violence dans la Bible

Faut-il expurger la Bible ou y lire l'histoire d'une Alliance qui ne passe pas à côté de la violence des hommes ? Les chrétiens sont souvent gênés par les pages violentes des deux Testaments de la Bible. Regardons la Bible telle qu’elle est : un livre à l’image de la vie, plein de contradictions et d’inconséquences, d’avancées et de reflux, plein de violence aussi, qui semble prendre un malin plaisir à multiplier les images de Dieu, sans craindre de le mêler à la violence des...

Un héritage tentaculaire

Depuis les années 1970 et plus encore depuis la vague #MeToo, il est scruté, dénoncé et combattu. Mais serait-il en voie de dépassement, ce patriarcat aux contours flottants selon les sociétés ? En s’emparant du thème pour la première fois, la Revue Projet n’ignore pas l’ampleur de la question.Car le patriarcat ne se limite pas à des comportements prédateurs des hommes envers les femmes. Il constitue, bien plus, une structuration de l’humanité où pouvoir, propriété et force s’assimilent à une i...

Du même auteur

Chocolat amer

L’or brun. En Côte d’Ivoire, les fèves de cacao font vivre une bonne partie de la population. Mais elles aiguisent aussi les appétits. Non sans conséquences sur les fuites de capitaux, l’impossibilité de déloger la classe dirigeante et la violence  armée. C’est ce que révèle cette enquête… au goût amer. Un seul pays d’Afrique est leader mondial dans l’exportation d’une matière première a...

Pour une économie relationnelle

« On peut en savoir beaucoup sur quelqu’un à ses chaussures ; où il va, où il est allé ; qui il est ; qui il cherche à donner l’impression qu’il est ». À cette observation de Forrest Gump dans le film éponyme1, on pourrait ajouter : « Quel monde il invente ». Car l’analyse du secteur de la chaussure, objet du quotidien s’il en est, en dit long sur notre système économique. Un système qui divise. À commencer par les humains : quel acheteur est capable de mettre un visage derrière la fabrication ...

Libérons-nous de la prison !

Nous aurions pu, comme en 1990, intituler ce numéro « Dépeupler les prisons » (Projet, n° 222). Car de l’inventaire dressé alors, il n’y a pas grand-chose à retirer. Les conditions de vie en détention, notamment pour les courtes peines et les détenus en attente de jugement, restent indignes d’un pays qui se veut « patrie des droits de l’homme ». Mais à la surpopulation carcérale, on préfère encore et toujours répondre par la construction de nouvelles prisons. Sans mesurer que plus le parc pénit...

Vous devez être connecté pour commenter cet article
Aucun commentaire, soyez le premier à réagir !
* Champs requis
Séparé les destinataires par des points virgules