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La présidence française après le non irlandais


La politique est souvent changeante et même cruelle. Elle joue avec le temps, raccourcit ou allonge les délais, se moquant des échéanciers bien construits. Elle met les nerfs des gouvernants à rude épreuve, car elle semble parfois s’acharner à brouiller plans et calculs. C’est ce qui est arrivé le 12 juin avec le « non » des Irlandais au traité de Lisbonne à une majorité de 53 %, quelques jours avant le début d’une présidence française bien préparée qui court du 1er juillet au 31 décembre 2008.

Une nouvelle fois, on aura raison de déplorer la distance entre les institutions « d’en haut » à Bruxelles et les citoyens « d’en bas », les difficultés de communication des instances communautaires et la facilité avec laquelle l’Europe est ravalée au rang de bouc émissaire par des gouvernements fragiles et une opinion publique peu éclairée ou ne voulant pas l’être, ce qui est plus grave. Plusieurs chefs d’État savent bien, sans pouvoir le dire à haute voix, que s’ils avaient choisi la voie du référendum sur cette question, ils auraient risqué d’obtenir un résultat similaire à celui de l’Irlande.

Mais la politique, c’est aussi l’art de savoir faire face à l’inédit, le dos au mur. Le meilleur peut alors surgir de crises inattendues. Ce contretemps est donc à traiter comme une chance qui s’offre à la diplomatie française pour inventer dans l’urgence des solutions susceptibles de tirer l’Europe du fossé dans lequel elle vient de verser à nouveau. Dans le domaine de l’inventivité et de la rapidité d’exécution, Nicolas Sarkozy a des dons incontestables ; et il va être intéressant de voir s’il sait et veut les mettre en œuvre pour réparer cette nouvelle cassure née d’un « niet » irlandais, spécialement fort dans les jeunes générations.

Démêler l’écheveau

La réaction négative de l’Irlande, seul pays parmi les 27 astreint par sa Constitution à utiliser la voie référendaire et non le processus parlementaire, a ainsi jeté le trouble au moment où s’ouvrait solennellement la présidence française. Les chefs d’État réunis en sommet à Bruxelles quelques jours plus tard ont évité toute déploration contre-productive et se sont d’abord inclinés démocratiquement devant ce verdict surprenant et décevant. Comme le suggérait le Président français, ils se sont ensuite accordé un peu de temps pour réfléchir aux moyens de sortir de l’impasse tout en conviant les autorités irlandaises à élaborer de nouveaux scénarios pour rejoindre les autres, car le traité de Lisbonne doit être ratifié par la totalité des partenaires. Ne pas l’adopter serait revenir au traité de Nice qui ne permet pas de nouveaux élargissements et qui est plus un compromis laborieux entre États qu’une construction dégageant des voies pour un avenir audacieux.

Le refus de l’Irlande a fait resurgir les signes d’un malaise diffus et difficile à maîtriser. La Pologne a ainsi fait mine de jouer les imitateurs dans une nouvelle posture de refus – même si tout semble rentré dans l’ordre après une conversation entre le président Sarkozy et le président polonais Lech Kaczinski, coutumier de sautes d’humeur et toujours méfiant à l’égard d’une Europe que son opinion publique appelle pourtant de ses vœux.

À l’horizon, c’est donc le contraire de la débandade annoncée. Ne resteraient finalement, en plus de l’Irlande, que deux pays traînant les pieds, la République tchèque où l’euroscepticisme de la droite libérale et du président Vaclav Klaus pèse d’un grand poids, et la Suède décidée à répondre positivement mais avec un gouvernement de coalition qui demeure fragile. Cependant, ces deux pays ne peuvent trop renâcler car ils devront assumer la continuité avec une présidence semestrielle de l’Union qu’ils préparent déjà et qui suivra celle de la France.

Le traité de Lisbonne n’est pas mort

Le traité de Lisbonne ne doit pas être considéré comme « mort ». Le rejet précédent du projet constitutionnel par les Français et les Hollandais avait bloqué net la chaîne des ratifications pour les pays encore sur la réserve. Aujourd’hui, il n’en est pas de même et on peut considérer cette quasi-unanimité dans l’acceptation du traité comme une pression forte exercée sur l’Irlande. Car cela obligera sans doute les Irlandais, s’ils veulent ne pas se mettre hors jeu, à signer une déclaration solennelle et commune avec les 26. Ou à retourner aux urnes après avoir obtenu de nouvelles satisfactions et explications, du genre enterrement d’une harmonisation fiscale à la majorité au niveau européen, sauvegarde de sa neutralité sur les questions de défense, réaffirmation que la législation sur l’avortement est du domaine national et non pas dans les attributions de Bruxelles.

À force de relire les textes du traité de Lisbonne, les juristes de la Commission n’ont trouvé qu’une porte de secours que l’on peut entrebâiller pour aider au « oui » irlandais. C’est celle du maintien d’un représentant par pays pour les commissaires. Le traité de Nice prévoit leur diminution dès 2009, et donc la non-reconduction d’un commissaire irlandais. Dans le traité de Lisbonne, la mise en application de ce resserrement a été retardée jusqu’en 2014. Surtout, le traité prévoit que la Commission sera composée de deux tiers seulement de membres de l’UE, « à moins que le Conseil européen, statuant à l’unanimité, ne décide de modifier ce nombre ». Aubaine juridique qui permet de ne pas faire revoter tous les membres de l’UE sur la question et qui peut donner une perspective à une Irlande assez désemparée. Saisira-t-elle cette bouée ?

Chatouilleuse sur ses droits nationaux, l’Irlande se verrait proposer un marché pour voter à nouveau : soit Lisbonne et un commissaire, soit les vaches maigres en matière de représentation avec le traité de Nice. Mais le risque de ces concessions de marchands de tapis est d’affaiblir un peu plus une Commission qui doit pourtant demeurer la mouche du coche face à la possible coagulation stérile des intérêts nationaux.

Quelques priorités

Malgré les ankyloses propres à la gestion complexe du dossier irlandais, la France est soucieuse de pousser les feux durant sa présidence, quitte à gommer quelques aspérités. Elle a défini des priorités pour son action durant ses six mois d’intervention. Mais elle est attentive aussi à ne pas les multiplier, car ce serait les banaliser toutes. Exercice difficile auquel s’applique avec compétence Jean-Pierre Jouyet. Selon lui, la France cherchera de nouvelles avancées en matière de politiques d’immigration et d’intégration, de sécurité énergétique et d’environnement. L’accent sera mis aussi sur l’Europe de la défense en coopération avec les Britanniques, malgré les réticences des pays de l’Est et les bouderies irlandaises. Dans ce domaine, il est urgent de trouver une articulation entre la participation à l’Otan et la nécessité de construire une politique européenne de défense pour éviter tout angélisme dans la mondialisation en cours.

La France veut se préparer à la réforme de la politique agricole commune où elle partage des intérêts communs avec l’Irlande. En politique étrangère, des sommets importants sont d’ores et déjà prévus avec l’Inde et la Corée, après celui avec l’Afrique du Sud en juillet. Mais la Russie vient d’inaugurer une nouvelle présidence, et les États-Unis vont élire en novembre le successeur de George W. Bush. Ce n’est donc qu’à la fin de ce semestre que l’on pourra bien mesurer l’ampleur des résultats de ce travail collectif.

Le moment le plus prometteur, pourtant passé largement inaperçu, a été la venue du Président français devant le Parlement européen réuni le 10 juillet à Strasbourg. Il y a parlé d’une Europe politique devenant capable d’assurer la sécurité des citoyens et apte à débattre avec eux. D’habitude, les responsables hexagonaux se montrent peu au Parlement européen ; le Président français a pris le temps de présenter aux eurodéputés son programme dans un style direct que tous les camps ont apprécié. Les députés ont prêté une oreille d’autant plus attentive à ses propos que le Parlement est l’institution la plus représentative et la plus menacée si le non irlandais devait conduire à la mise au rancart du traité de Lisbonne.

Une Europe tournée vers la Méditerranée ?

Un projet phare a été mis en route avec éclat dès le début de la présidence. C’est la création de l’Union pour la Méditerranée (UPM) qui regroupera plus de quarante-cinq pays. Ce nouveau pas en avant a pu se faire le 13 juillet sans véritable interférence avec la prise de distance irlandaise. Mais l’Élysée avait dû en rabattre de ses prétentions initiales. Le changement sémantique est important : on ne parle plus d’une « Union méditerranéenne »… Nos partenaires, en particulier l’Allemagne, ne voulaient pas être contournés ou mis à l’écart par cette approche méridionale. Certains redoutaient aussi qu’il y ait là une opération française de diversion par rapport à la pression turque. Il n’en demeure pas moins que les chances futures de l’Europe passent par la coopération avec les populations implantées sur les rives africaines de cette mare nostrum. Les projets ne manquent pas : dépollution de la mer commune ; autoroutes de la mer, acheminement d’électricité issue du solaire, universités communes… Le sud peut redonner de la vigueur à un nord européen dont la natalité s’est effondrée. Un habitant sur cinq de cette Europe qui ne renouvelle plus sa population a plus de 65 ans. Dans les pays du pourtour méditerranéen vivent 265 millions d’habitants dont un tiers a moins de 15 ans. Au-delà de ce premier sud, le continent africain atteindra le milliard d’habitants avant vingt ans. L’Europe resterait-elle immobile devant les grands changements qui s’annoncent ?

Les conditions du succès

Occupés par la crise irlandaise, les chefs d’État et de gouvernement ne pourront guère parler ensemble, dans une atmosphère apaisée, du choix des futurs responsables à trouver pour des tâches nouvelles, si le Traité de Lisbonne ne s’enfonce pas dans les limbes : le choix d’une femme ou d’un homme en vue d’une présidence longue à la tête de l’Europe, un nouveau président de la Commission et une équipe à réunir autour de lui à partir des ambitions nationales croisées, des élections européennes à rendre plus transnationales dans le choix des éligibles et des programmes partisans, un responsable pour une politique étrangère unique, de nouvelles prérogatives pour le Parlement, une Commission plus ramassée, la parole redonnée aux citoyens pour ouvrir de possibles recours. De toutes ces questions, il serait bon de délibérer démocratiquement. Pendant la présidence française, les échanges se feront davantage dans le huis clos des palais gouvernementaux que sur l’agora publique. Faute d’informations sur les enjeux, l’opinion publique et les médias pourront à bon droit se sentir frustrés du manque de délibérations. Mais il est urgent de faire sortir de l’ombre des 27 pays, et les responsables et les projets capables de répondre aux questions vitales pour le futur de notre continent.

1er août 2008


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