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Aides au logement : « Mieux accompagner »

© Pil/Flickr/CC
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Les aides à la rénovation existent. Cependant, le reste à charge est dissuasif et faire un emprunt, impossible pour certains propriétaires. D’autres ignorent l’existence même de ces dispositifs ou s’en méfient. Comment rendre ces aides plus efficaces ? L’accompagnement, l’information et la formation offrent quelques pistes.

Existe-t-il actuellement un véritable droit à la rénovation ? Si oui, comment est-il mis en œuvre ?

Gérard Dechy – Militant de l’autoréhabilitation accompagnée, j’aimerais, avant de parler de droit, souligner que la rénovation du bâtiment est avant tout une chance. Elle est un levier important pour l’économie, la création d’emploi et d’activité locale. Pour se saisir de cette chance, il est nécessaire que les personnes ne soient pas considérées comme des charges mais comme des ressources, qu’elles soient accompagnées et que l’on veille à faire avec elles. Or, aujourd’hui, les réponses apportées sont univoques : les personnes en difficulté sont perçues comme des charges et les fournisseurs de travaux comme les seuls en capacité d’apporter des réponses. Mais le savoir-faire ne dépend pas uniquement de la fortune. Et dans une situation où le faire soi-même se développe pour améliorer son logement, il est important de garantir la qualité des travaux réalisés. Pour dépasser cette logique du « tout ou rien », nous préconisons de proposer des heures d’aide à la maîtrise d’ouvrage privée. L’idée est de confier les travaux non exécutés par les maîtres d’ouvrage aux entreprises, en particulier aux artisans présents sur le territoire. Cependant, pour éviter un conflit d’intérêt, il serait préférable que l’accompagnement ne soit pas le fait de ces mêmes artisans. Nous sommes plutôt favorables à la création du métier d’assistant à maîtrise d’ouvrage. Leur rôle serait, d’une part, d’accompagner les personnes dans la réalisation de leurs travaux et, d’autre part, d’assurer la signature d’un contrat tripartite entre le maître d’ouvrage, l’assistant et les entreprises, avant le démarrage du chantier.

Michel Pelenc – En effet, les travaux engendrés par la nécessité de cette rénovation massive sont un des leviers d’emplois non délocalisables. Mais pour que les chiffres prévus soient au rendez-vous (sortir de la précarité 30 000 ménages/an pour 12 000 seulement aujourd’hui), il faut accentuer le volet accompagnement, mieux faire connaître le programme « Habiter mieux »1, mettre l’accent sur le rural, où les personnes, souvent sollicitées (par des vendeurs de fenêtres ou autres) et éloignées des points de conseil, sont plus sceptiques. D’autant qu’il y a eu une augmentation importante du volume d’aides dédiées à la rénovation et du nombre de personnes éligibles. Pour une meilleure information en monde rural, nous avons mis en place, dans certains départements, des bus « Au bon logement » qui vont au devant de ces personnes, sur les marchés, les foires et les places de villages.

Pour sortir de la précarité 30 000 ménages par an, il faut accentuer le volet accompagnement, mieux faire connaître le programme « Habiter mieux », mettre l’accent sur le rural, où les personnes, souvent sollicitées et éloignées des points de conseil, sont plus sceptiques.

B. Lapostolet – Les réponses apportées pour la rénovation thermique ne sont pas encore suffisamment adaptées aux ménages les plus précaires ! En raison, d’abord, de la complexité des aides et parce que ces ménages doivent souvent avancer la trésorerie. Nous avons découvert collectivement avec la précarité énergétique la situation des propriétaires occupants pauvres jusque-là ignorée : ils forment la majorité des ménages en précarité énergétique et sont invisibles pour les guichets sociaux. Ils ne les connaissent pas, ou craignent d’être stigmatisés en s’adressant à eux. La seconde phase du programme « Habiter mieux » doit permettre de mieux prendre en compte cette population, mais les moyens d’accompagnement mis en place sont insuffisants.


Malgré les aides, le reste à charge est encore très important ?

M. Pelenc – Le but des nouveaux dispositifs est d’arriver à financer la totalité ou la quasi-totalité des travaux. L’Anah a doublé ses aides et les a ouvertes aux propriétaires bailleurs. La dimension d’accompagnement a aussi été davantage prise en compte. De nombreuses initiatives se sont mises en place pour compléter les aides du programme « Habiter mieux » (les comités locaux de développement par exemple) ; on cherche à aller au devant des personnes pour les informer des solutions existantes pour réduire, voire supprimer, ce reste à charge. À l’inverse, des outils, comme la mission sociale du Crédit immobilier de France, qui octroyait des prêts modestes à taux zéro avec un remboursement en fonction des revenus, ont été supprimés.

G. Dechy – Les aides financières existent, c’est vrai, et elles ont été augmentées. Mais pour nous, il manque toujours le soutien à l’autoréhabilitation, afin que les personnes puissent être parties prenantes des travaux. On en reste à la réponse du « tout ou rien ». Si l’on veut changer d’échelle, l’autoréhabilitation doit aussi être soutenue, ce que l’Anah refuse actuellement. Ce soutien permettrait d’aller au-delà de quelques opérations d’autoréhabilitation ponctuelles et locales pour encourager une politique à l’échelle régionale avec une capacité de transfert des compétences, une capitalisation des savoir-faire (autant des artisans que des propriétaires), ce qui contribuerait à renforcer l’économie locale.

B. Lapostolet – Au-delà de la question du reste à charge, nous alertons sur le risque d’éviction des plus précaires par le choix qui a été fait de relever les plafonds de revenus, sans augmenter en proportion le nombre de rénovations annuelles. À partir du 1er juin 2013, les plafonds de ressources pour être aidés se situeront au niveau du revenu médian. Si les objectifs de rénovation n’augmentent pas à l’échelle de celle des plafonds, le risque est que les plus précaires soient repoussés. Ce risque est important. D’autant qu’il faut « faire du chiffre » pour démontrer le bien fondé de ce programme et ne pas perdre l’argent octroyé, incomplètement utilisé jusqu’ici.

Observe-t-on des disparités fortes locales ? Voit-on, aussi, des exemples d’initiatives à souligner ?

G. Dechy – Oui, il y a des disparités importantes dans les aides attribuées par les collectivités territoriales, au-delà des aides nationales. On manque d’une vue d’ensemble sur les diverses initiatives prises par les agglomérations pour encourager les propriétaires bailleurs à rénover leurs logements. Certains dispositifs sont orientés en direction de publics précis et s’appuient sur les caisses d’allocations familiales ou les caisses de retraites. Pour citer un exemple, la région Nord-Pas-de-Calais prend en charge le diagnostic énergétique et détermine les rénovations qui sont à effectuer pour passer d’un bâtiment de classe G à un bâtiment de classe C (plus économe). Quant au soutien à l’autoréhabilitation, des réponses disséminées se mettent en place (les Compagnons bâtisseurs, par exemple), mais sans qu’on puisse parler de généralisation sur l’ensemble d’un territoire.

B. Lapostolet – Je pense que l’on a voulu aller un peu vite et que, dans certains cas, on a négligé la concertation locale. Celle-ci aurait permis de cibler l’échelon le plus adapté en fonction de l’aménagement du territoire. Par ailleurs, le montage des dossiers Anah est complexe et trop peu de visites à domicile ont été réalisées. Des nouveaux acteurs doivent être sollicités pour permettre aux ménages d’avoir accès à la rénovation thermique.

M. Pelenc – La « compétence pierre »2 est désormais passée aux régions. Mais, même si il y a un socle commun d’aide de l’État, toutes les régions n’ont pas les mêmes capacités financières, d’où de réelles disparités. Cette régionalisation a mobilisé un nombre important d’acteurs, mais cela peut rendre plus complexe la connaissance de tous ces leviers. Nous avons d’ailleurs mis en ligne3 plus d’un millier de fiches d’aide à l’habitat local.


Vous insistez sur l’accompagnement. Que représente-t-il dans la réussite de la lutte contre la précarité énergétique ? Faut-il mieux former les travailleurs sociaux ?

G. Dechy – Les personnes qui vivent dans une précarité globale et doivent être soutenues ne sont pas dans des réponses en termes d’investissement à dix ou quinze ans, mais dans une gestion au jour le jour de leur budget. Comment sortir de l’assistanat et s’engager dans l’accompagnement d’une démarche, comment passer d’un raisonnement de court terme (d’urgence) à un raisonnement de long terme (de prévention) ? Cet accompagnement, nécessaire, est un vrai métier, mais il est trop mal reconnu.

M. Pelenc – L’ingénierie de l’accompagnement, ou encore l’assistance à maîtrise d’ouvrage, est aujourd’hui un peu plus reconnue par l’Anah (500 euros sont reversés aux associations qui réalisent le suivi d’un dossier, contre 130 euros précédemment). Ce travail doit permettre d’entrer en contact avec les ménages par différents canaux (associations, services sociaux, etc.) et grâce à d’autres initiatives (des bus qui vont présenter les aides sur les marchés…). Il s’agit aussi d’optimiser le financement en précisant quelle est la solvabilité totale des ménages, en pesant sur les coûts des intervenants et des fabricants. L’enjeu, enfin, est d’accompagner les personnes pour un bon usage de l’énergie dans leurs logements. Il s’agit de créer un climat de confiance entre le conseiller énergie, le conseiller économique et social et le ménage, d’envisager avec lui les travaux jugés les plus efficaces pour son logement, de monter le plan de financement, de l’aider dans le choix des entreprises… Il faut aussi expliquer les gestes simples pour faire des économies d’énergie. Il est en effet nécessaire de mieux former les travailleurs sociaux à ce rôle d’accompagnement, mais leur charge de travail, extrêmement élevée, ne leur permet pas toujours de dégager du temps pour cela.

B. Lapostolet – Aujourd’hui, les travailleurs sociaux ne vont quasiment plus à domicile. Or il est important de reconnaître le temps passé au repérage par l’ensemble des acteurs (sociaux ou associatifs). Si les « ambassadeurs », emplois d’avenir, constituent un début de réponse pour le repérage, il existe une confusion entre ce travail (les visites à domicile initiales) et celui d’accompagnement. Le programme « Habiter mieux » initial finance insuffisamment cette ingénierie d’accompagnement, ce qui joue considérablement sur le taux de réalisation (de l’ordre de un dossier abouti pour 8 engagés). Il est impératif d’améliorer encore le financement de l’accompagnement. Ne pas le faire, c’est risquer de ne pas pouvoir engager les moyens d’investissement disponibles – ce qui serait un comble en cette période de pénurie budgétaire – et aussi, je le répète, risquer de ne pas atteindre la cible des plus précaires. Les visites qui n’aboutissent pas sur un dossier sont aussi à prendre en compte ! Et l’accompagnement doit être modulé en fonction de la situation des ménages, les plus en difficulté nécessitant un temps de d’accompagnement bien plus important.

Propos recueillis par Bertrand Cassaigne et Camille Tournebœuf



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1 Programme d’aide à la rénovation thermique des logements pilotés par l’Agence nationale pour l’habitat (Anah) à la demande de l’État. Il a pour objectif d’aider 300 000 propriétaires occupants (sous condition de ressources) à financer les travaux de rénovations thermiques de leur logement.

2 Les régions sont maintenant automne dans la gestion de la construction du bâti, ainsi que dans la répartition des aides pour la rénovation [NDLR].

3 Sur le site www.ameliorer-mon-logement.fr.


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