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Dossier : L’éducation a-t-elle un genre ?

Parlons du genre !

© istockphoto.com/JackF
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Faire des études supérieures, choisir sa profession, percevoir un salaire, ouvrir un compte bancaire… Autant d’actions que les Françaises ne pouvaient accomplir sans l’autorisation de leur mari il y a quatre-vingts ans. En droit, l’égalité hommes/femmes a énormément progressé. Dans les faits, nombre d’inégalités persistent. Si les filles réussissent en moyenne mieux à l’école que les garçons, elles sont moins nombreuses à s’orienter vers des professions socialement et financièrement valorisées. Les garçons et les filles seraient-ils éduqués différemment ? L’éducation aurait-elle un genre ?

Depuis l’annonce, en 2012, du dispositif éducatif des « ABCD de l’égalité », la notion de genre a suscité de fortes craintes, notamment au sein des familles, de la communauté éducative et de l’Église catholique. Certains y ont vu la disparition des identités masculine et féminine, la remise en cause, voire la destruction, de la famille. Cet épisode a mis au jour le fait que tout le monde ne conçoit pas de la même façon l’égalité femmes/hommes (cf. M. Salle). Selon une approche différentialiste, il existe deux manières, complémentaires, d’être au monde (cf. T. Derville). Les inégalités ainsi créées peuvent être compensées par des droits ajustés à chaque sexe. Selon une approche universaliste, femmes et hommes sont strictement égaux, sans différence de qualité ni de valeur. Tous peuvent prétendre aux mêmes postes, aux mêmes salaires et doivent avoir les mêmes droits. Dans ce cas, il est question d’égalité. Dans le précédent, il s’agit d’équité.

Pour débattre sereinement du genre, il importe d’accepter que se confrontent des visions différentes de ce que faire société veut dire. C’est ce que nous avons voulu faire avec ce numéro. Parler du genre, c’est envisager, de manière politique, la place de chacune et chacun. Or le genre, tel qu’il est mobilisé par les sciences sociales, permet de révéler ce qui est de l’ordre du construit socioculturel dans les rôles assignés aux femmes ou aux hommes (cf. M. Duru-Bellat). Il invite à reconsidérer des hiérarchies anciennes. Il aide à penser les inégalités. Mais le genre touche aussi à l’intime : il interroge le rapport de chacun à son propre corps et les représentations inscrites dans la transmission entre les générations.

Revenir sur l’histoire de cette notion permet d’en comprendre les enjeux, de voir qui s’en est saisi et avec quel projet de société (cf. B. Saintôt). Malgré une école mixte, il existe encore des métiers occupés majoritairement par des femmes ou par des hommes. Or l’égalité passe par la mixité des filières et des carrières et celle-ci est largement freinée par les stéréotypes véhiculés, souvent malgré eux, par les parents ou professionnels de l’éducation et par l’autocensure des élèves (cf. I. Collet et F. Vouillot).

Comment, dès lors, éduquer à la liberté intérieure et permettre d’entrer en relation avec l’autre de manière apaisée ? Tel est l’un des enjeux de l’éducation affective, relationnelle et sexuelle, au programme au collège et au lycée (cf. C. Behaghel et Dr Kpote). Mais cela requiert, de la part des adultes, de pouvoir débattre de sujets tabous et de se réconcilier avec leur propre histoire (cf. J. Brunet, M. Challan-Belval, J. Hamy).

Certes, la famille est aussi l’« espace-temps d’une institution du masculin et du féminin » (cf. J.-P. Pierron). On y apprend une certaine manière d’être femme ou homme, père ou mère – des rôles qui évoluent dans la pratique (cf. E. Lucas). Mais c’est aussi la société tout entière qui forge les femmes et les hommes de demain. Comme le souligne un proverbe arabe : « Les hommes ressemblent plus à leur temps qu’à leurs pères.1 »

Le défi de l’éducation est d’apprendre à vivre ensemble, dans une société plurielle. D’éduquer à la liberté dans le respect de la différence. D’accompagner les jeunes dans la découverte de leur identité, dans un champ des possibles ouvert. Au-delà du genre, permettre à chacun de découvrir sa singularité est ainsi, dans une large mesure, un enjeu démocratique (cf. C. Picard). Surtout, aider les jeunes à se construire requiert de leur faire pleinement confiance (cf. F. Le Clère). Confiance dans ce qu’ils et elles feront de ce qui leur est transmis. Les identités ne sont pas figées. C’est une bonne nouvelle.

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1 Cité par l’historien Marc Bloch dans Apologie pour l’histoire ou Métier d’historien, Quarto Gallimard, 2006 [1949], p. 873 et 877.


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