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Dossier : Justice : la prison vaut-elle la peine ?

Prison : préparer la sortie


Réintégrer la société quand on a passé des mois, voire des années, derrière les barreaux n’est pas chose facile. Le Spip (Service pénitentiaire d'insertion et de probation) de Paris a tenté une expérience pour accompagner les détenus vers la liberté.

À leur sortie de prison, les personnes détenues se heurtent à de multiples obstacles. Aussi bien, le Conseil de l’Europe a fait de la préparation à la sortie un enjeu majeur de la réinsertion1. En France, cette thématique a été abordée par la conférence de consensus de 2013 sur la prévention de la récidive. Le rapport qui en est issu2 évoque la nécessité de développer les aménagements de peine afin de « réduire les effets néfastes d’une ‘sortie sèche’ sans suivi ni contrôle ». Mais cette exigence implique une remise en cause de la conception usuelle de l’aménagement de peine – considéré comme « une faveur octroyée aux détenus les plus ‘méritants’, tant par le comportement adopté en détention que par la solidité du projet présenté au juge d’application des peines ». Dans cette acception traditionnelle, « les détenus les plus fragiles socialement et économiquement sont les premiers à être exclus de la mesure de libération sous conditions car indemniser ses éventuelles victimes, disposer d’un logement, bénéficier d’appuis familiaux, être capable de trouver un travail, sont bien souvent un préalable à l’octroi de la mesure3 ». Dès lors, il s’agit de changer de paradigme, de ne plus considérer l’aménagement de peine comme une faveur, mais comme un processus inhérent à l’exécution de la peine d’emprisonnement, favorisant la préparation à la sortie et permettant de systématiser la transition entre la détention et l’extérieur4.

Le quartier des arrivants

Engagée depuis 2010, une expérience menée en Val-de-Marne révèle l’ampleur des changements qu’une telle politique entraînerait. Elle débute presque par hasard, à l’occasion d’une visite du centre pénitentiaire de Fresnes par le service de l’application des peines du Tribunal de grande instance (TGI) de Créteil. Les professionnels rencontrés (conseillers d’insertion et chef de détention notamment) témoignent des effets préjudiciables des très courtes peines : en raison de leur durée, elles n’offrent pas de prise en charge adaptée à l’intérieur des murs et ne sont pratiquement jamais aménagées. Ce constat amène les juges de l’application des peines de Créteil à repenser leur pratique. L’objectif est d’intervenir le plus rapidement possible sur la situation de certains condamnés qui entrent en détention. L’évolution se matérialise par l’importance croissante du quartier des arrivants (augmentation du nombre de cellules), l’allongement corrélatif de la durée de la période d’observation et la plus grande attention portée à la période cruciale de l’arrivée en prison. Autant d’éléments visant à assurer une présence structurée de l’autorité judiciaire.

Au sein du service d’application des peines, un juge référent est désigné pour le quartier arrivants. Il s’agit d’examiner des possibilités d’aménagement de peine dès l’entrée en détention. Ce sont les conseillers du Service pénitentiaire d’insertion et de probation (Spip) qui mènent les entretiens au quartier arrivants et saisissent le juge, auquel ils adressent un rapport qui rassemble les éléments et justificatifs de la situation socio-professionnelle du condamné. La personne est entendue par le juge dans les jours qui suivent. Le dossier est ensuite communiqué au Parquet, pour un accord sur un aménagement de peine (dans ce cas, il n’est pas nécessaire de tenir une audience).

Une nouvelle visite du service de l’application des peines du TGI de Créteil, en juin 2013, valide ce dispositif. À de rares exceptions, les personnes détenues pour moins de six mois ne déposaient pas de demande d’aménagement de peine. Les délais d’audiencement, dans un contexte de surpopulation carcérale, les en dissuadaient : entre avril et juin 2013,  sur 211 demandes examinées en audience par les juges de l’application des peines intervenant au centre pénitentiaire de Fresnes, seules neuf émanaient de détenus qui avaient à effectuer une période de détention inférieure à six mois. Sur la même période, les jugements rendus par le juge en charge du quartier arrivants traduisent un résultat diamétralement opposé : 73 % des demandes d’aménagement provenaient de détenus pour moins de six mois.

La possibilité d’aménager des courtes peines est une avancée importante. Mais dans la majorité des cas, le dispositif a servi à préserver des situations qui, sur le plan professionnel, familial ou de l’hébergement, préexistaient à l’incarcération. Il n’a pas permis de jeter les bases d’un projet d’insertion pour les plus fragiles. Ce constat oblige à repenser la place et le sens des aménagements de peine. Dans cette nouvelle acception, les premières démarches seraient initiées dès le stade du quartier arrivants, pour identifier les problématiques de la personne et son adhésion au processus de prise en charge à venir. Elles conduiraient au prononcé de l’aménagement de peine. Le projet d’insertion serait concrètement élaboré dans un second temps, en milieu libre.

De la prison au droit commun

Un outil instauré au sein du Spip de Paris offre une perspective qui mériterait d’être étendue. Le dispositif s’est progressivement étoffé au sein des locaux du Spip, avec la fermeture provisoire de la maison d’arrêt de la Santé. Les personnes placées sous main de justice rencontrent de nombreuses difficultés pour bénéficier des moyens d’insertion de droit commun – difficultés tenant tant à leur personnalité et à leur parcours qu’au rejet dont elles font parfois l’objet. Devant ce constat, le Spip mobilise, sous forme de permanences, des partenaires institutionnels et associatifs : caisse d’allocations familiales, caisse primaire d’assurance maladie, point d’accès au droit, centre de soins, d’accompagnement et de prévention en addictologie, Pôle emploi, mission locale, associations d’aide à l’insertion professionnelle5 et ville de Paris.

Un sas est ainsi créé : il permet d’évaluer les besoins de la personne (insertion, accès à l’hébergement et à la santé…) afin de favoriser le recours aux dispositifs de droit commun. Actuellement, c’est le Spip de Paris qui oriente les personnes vers ces services, qu’elles soient suivies dans le cadre d’une peine de probation (contrainte pénale, sursis avec mise à l’épreuve…) ou qu’il s’agisse de sortants de prison dans le cadre d’un aménagement de peine ou d’une libération sous contrainte. Depuis début 2015, la mission locale intervient au sein du Spip à raison d’une journée par semaine. Son intervention, limitée initialement aux sortants de prison, concerne désormais quiconque a moins de 26 ans et réside à Paris. Depuis 2016, des conseillers de Pôle emploi interviennent au même rythme, pour orienter des personnes placées sous main de justice et pour renseigner les conseillers d’insertion et de probation sur les services de Pôle emploi. Une assistante sociale de la ville de Paris, présente tous les jours, évalue les besoins des personnes qu’on lui envoie et fait le lien avec les services compétents.

Avec la réouverture prochaine de la maison d’arrêt de la Santé, ce recours aux permanences du plateau technique du Spip aurait vocation à s’inscrire dans la prise en charge des personnes incarcérées pour de courtes peines fermes et admises à une mesure d’aménagement de peine. Les bénéficiaires s’engageraient à procéder à l’évaluation de leurs besoins et à leur orientation future. Ce plateau trouverait également tout son sens dans la mise en œuvre, au sein de la Santé, de la procédure de libération sous contrainte. Conçue comme une étape de l’exécution d’une peine, la mesure nécessite une prise en charge immédiate (dès la levée de l’incarcération), notamment des rendez-vous en milieu ouvert, afin de cibler les besoins de la personne et de l’orienter dans ses démarches. Si la concrétisation de tels projets est encore incertaine, leur aboutissement est un enjeu important. Il consacrerait un processus d’aménagement de peine souple et rapide, inscrit dans une perspective de prise en charge globale, engagée en détention et se déclinant progressivement à l’extérieur.



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1 Dans une première recommandation adoptée en 2003 et relative à la libération conditionnelle, le Conseil de l’Europe insiste sur la nécessité d’une préparation à la libération pour toutes les personnes condamnées, valorisant le rôle de la libération conditionnelle (Rec(2003) du comité des ministres aux États membres sur la libération conditionnelle). Dans sa recommandation Rec(2006)2 du comité des ministres aux États membres sur les règles pénitentiaires européennes, il précise que les détenus doivent être aidés, avant leur libération, par des procédures et des programmes spécialement conçus pour leur permettre de faire la transition entre la vie carcérale et une vie respectueuse du droit interne au sein de la collectivité. Ce but, selon le Conseil de l’Europe, peut être atteint grâce à un programme de préparation à la libération, ou à une libération conditionnelle sous contrôle, assortie d’une assistance sociale efficace. Dans la recommandation CM/Rec (2010)1 du comité des ministres aux États membres sur les règles du Conseil de l’Europe relatives à la probation, la préparation à la sortie est spécifiquement considérée comme une mission des services de probation : ceux-ci doivent coopérer avec les autorités pénitentiaires, les auteurs, leur famille et la collectivité afin de préparer la libération des détenus et leur réinsertion dans la société. À cette fin, il est explicitement précisé qu’ils doivent disposer de tous les accès nécessaires aux détenus afin de pouvoir les aider à préparer leur libération et à organiser leur réinsertion – et ce, « dans le but d’assurer la continuité d’une prise en charge fondée sur tout travail constructif entrepris pendant leur détention ».

2 « Conférence de consensus. Pour une nouvelle politique publique de prévention de la récidive. Principes d’action et méthodes », rapport du jury de consensus remis au Premier ministre, 20/02/2013.

3 « Conférence de consensus », op. cit., p. 24. Comme le relève la Cour des comptes en 2010, « les plus fragiles ‘socialement’ et ‘criminologiquement’ se trouvent alors naturellement guidés vers le mode de sortie de prison qui induit le plus grand risque de récidive ».

4 Pour plus de développements, se reporter aux travaux de Pierre-Victor Tournier, « Les systèmes de libération sous condition dans les États membres du Conseil de l’Europe », Champ pénal/Penalfield [en ligne], vol. I, 2004.

5 Solidarité et jalons pour le travail, Association pour le soutien et l’insertion professionnelle, Justice deuxième chance, Cultures du cœur.


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