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Quand la loi fait participer les plus précaires


Associer les personnes à la conception, la mise en œuvre et l’évaluation des politiques publiques dont elles sont destinataires permet de mieux adapter ces politiques à leurs besoins et de leur donner une place en tant qu’acteurs de leur parcours d’insertion. L’Agence nouvelle des solidarités actives peut en témoigner. Mais à quelles conditions ?

Jusque-là, les démarches de participation des personnes en précarité aux dispositifs et politiques qui les concernent étaient surtout portées par des associations de lutte contre la pauvreté et les exclusions. Mais les évolutions réglementaires et législatives des dernières années leur ont donné une nouvelle dimension, intégrant les acteurs publics et les administrations et bousculant leurs pratiques. Nous détaillons ici deux dynamiques de participation : la participation des allocataires du revenu de solidarité active (RSA) à la définition, la conduite et l’évaluation de la politique d’insertion et l’expérimentation et la pérennisation, au sein du Collège national des politiques de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale (CNLE), du « collège des personnes en situation de pauvreté et de précarité », dit « 8e collège ». Dans le cadre du CNLE, il s’agissait d’intégrer les personnes dans une instance existante, avec son cadre et sa réglementation déjà définis. Pour le RSA, il a fallu construire une dynamique nouvelle. Et celle-ci a pris des formes variées : au-delà d’une participation aux équipes pluridisciplinaires qui discutent des situations individuelles des allocataires du RSA, certains départements ont mis en place des groupes d’allocataires pour qu’ils participent au diagnostic des besoins, à l’évolution et l’évaluation des dispositifs d’insertion du territoire.

Dans les deux cas, l’objectif est le même : partir de l’expérience vécue des personnes, expérience des situations de précarité et des dispositifs, pour alimenter la réflexion et les débats, souvent confisqués par les élus, professionnels, experts et techniciens ; permettre, avec ce regard de terrain, de conforter, d’orienter différemment, d’interpeller les politiques publiques et finalement, de les adapter et de les rendre plus efficaces.

Participation et RSA : inventer une dynamique

Concernant le RSA, l’impulsion est venue de l’institution : le département. Définie au départ par une obligation légale (loi du 1er décembre 2008), la participation des allocataires a finalement fourni l’occasion de questionner l’organisation et la lisibilité des politiques sociales. Les personnes en précarité font parfois état de leurs difficultés, de leurs besoins et de propositions de manière globale, sans trier ce qui relève du champ de compétences de telle ou telle institution. Leurs retours peuvent concerner l’ensemble de l’accès aux droits, contribuant ainsi à l’améliorer. Les allocataires font aussi des recommandations en matière de politique d’insertion (freins à l’emploi, accompagnement par Pôle emploi…), d’aides financières (commune, région, département, Caf…) ou d’accès à la culture. Les administrations sont-elles capables de prendre en compte les personnes dans leur globalité et de relayer cette parole auprès des acteurs compétents ? Tel est aujourd’hui l’enjeu !

Dans certains départements, la tendance est d’élargir les groupes d’allocataires du RSA à d’autres publics en précarité, voire aux habitants, et à renforcer les liens entre différentes actions de participation, favorisant ainsi le décloisonnement et la déstigmatisation des publics

L’exemple du CNLE

La participation des personnes en précarité dans le cadre d’une instance formelle est souvent pensée dans le sens de « comment les personnes vont-elles s’adapter à l’instance et à son fonctionnement ? » plutôt que « comment l’instance peut-elle s’adapter à la présence de non-professionnels pour favoriser leur expression pleine et entière » ?

Le Collège national des politiques de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale (CNLE) a adopté une organisation spécifique pour faire venir les personnes et leur donner les moyens de participer (moyens matériels, accompagnement local et national). Pour autant, l’instance elle-même, dans son fonctionnement en plénière, n’a pas évolué. Le cadre reste formel et certaines interventions sont très techniques, fondées sur des rapports complexes, et portent sur des sujets éloignés du vécu des personnes, ce qui ne permet pas toujours une expression partant de leurs propres savoirs d’expérience. Lorsque les plénières ou les groupes de travail sont centrés sur une seule thématique globale (par exemple, les jeunes), il leur est plus aisé de l’approfondir et de la relier à leur expérience ou à des savoirs de vie, d’appuyer la réflexion et d’émettre des propositions d’évolution. L’ancrage et l’appui sur un groupe de pairs, la possibilité de partager les points de vue et de faire remonter la parole d’autres personnes, permettent aussi de donner plus de poids à leur participation.

Le constat qui ressort de l’évaluation faite à l’issue de douze mois d’expérimentation est celui d’un enrichissement des débats et des productions du CNLE, concomitant à l’installation du 8e collège en son sein. L’engagement et l’investissement de tous au service du succès de l’expérimentation sont à souligner et méritent d’être salués.

Conditions de la participation

En capitalisant sur des retours d’expériences, l’Ansa, en lien avec des professionnels des collectivités et des services déconcentrés de l’État, des représentants d’associations et des personnes en précarité, a conçu un « Kit de la participation citoyenne aux politiques de solidarité ». Car des conditions sont requises pour limiter les freins et les mises en échec de la participation : adaptation des institutions et des instances et prise en compte des personnes en tant que citoyen (et non en tant qu’usager ou allocataire d’une prestation ou d’une politique), préparation et identification des rôles attendus selon les lieux où les personnes peuvent donner leur avis, pour suivre et valoriser leurs prises de positions, formation et accompagnement selon les besoins et circuit de remontée de la parole et  des aspects logistiques… Avant d’aborder les aspects organisationnels, il convient d’interroger la capacité de l’institution à accueillir cette parole. Et ce n’est pas de s’adapter à la présence de non-professionnels ! Ils apportent leur avis sur des sujets variés et interrogent les modalités décisionnelles et la place des professionnels, porteurs jusque-là de la vision des personnes destinataires.

Ce kit est destiné à tout type d’acteur qui souhaite mettre en place une démarche de participation des personnes en situation de précarité. Il se décline en 12 fiches, classées en trois phases (préparation, suivi, évaluation), avec des exemples d’outils et de pratiques inspirantes. Au-delà d’un rappel des enjeux et des objectifs de la participation, il propose des éléments de réponse, avec des exemples concrets, face aux réticences et aux freins rencontrés, et une « manière de faire ». Certes imparfait, ce kit a le mérite de fournir un outil opérationnel et pratique, utilisé et apprécié.

Ainsi l’inscription dans les textes de la participation des personnes concernées a-t-elle permis d’impulser des dynamiques nouvelles. Les acteurs qui s’en sont saisi ont joué le jeu d’interroger leur propre fonctionnement et les modalités de la construction d’un savoir partagé et de dispositifs adaptés. Cette institutionnalisation fait bouger les lignes, en questionnant en permanence les logiques de pouvoir, autour du faire-ensemble ou du faire avec, plutôt que faire pour. Cela peut être un véritable atout pour construire des politiques publiques plus innovantes, adaptées aux besoins… À condition qu’elles-mêmes soient en capacité de s’adapter et de garder la souplesse nécessaire à l’accueil et à la prise en compte effective de cette parole.

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