Do not follow this hidden link or you will be blocked from this website !
Logo du site
Dossier : Fécondité : un enjeu pour la planète ?

Iran : une transition démographique express

Book vs Nuts, Téhéran, 2009 ©Hamid Najafi
Book vs Nuts, Téhéran, 2009 ©Hamid Najafi
L’Iran a connu l’une des baisses de fécondité les plus rapides de l’histoire ( moins 70 % entre 1986 et 2000). Tout l’inverse de ce que prônait le régime théocratique… Comment l’expliquer ?

Dans les années 1960 et 1970, en raison du développement tardif du pays et des traditions patriarcales prédominantes, la fécondité des Iraniennes était particulièrement élevée et baissait très lentement ; à la veille de la Révolution de 1979, chaque femme mettait encore au monde, en moyenne, sept enfants1. Sitôt parvenus au pouvoir, les dirigeants islamistes ont aboli la loi qui légalisait l’avortement et mis fin aux programmes de planification familiale – en particulier, aux campagnes publicitaires de contrôle des naissances. En réislamisant les lois et en adoptant des politiques discriminatoires à l’égard des femmes, l’État théocratique cherchait à maintenir le modèle traditionnel de la famille. Or, contre toute attente, la fécondité a commencé à reculer dès 1986 à vive allure. Elle est passée de 6,4 enfants en 1986 à 2 enfants en 20002, soit une baisse de 70 % en l’espace de quinze ans3, qui fait de la transition démographique iranienne l’une des plus rapides de l’histoire.

Âge au premier mariage et contraceptions

Quels sont donc les facteurs qui ont pu faire évoluer la société et, avec elle, la fécondité, en déjouant l’effet de l’idéologie de l’État théocratique ? Pour répondre à cette question, il nous faut examiner, pour autant que les statistiques existantes le permettent, les deux facteurs les plus significatifs pour la fécondité : l’âge au premier mariage des femmes et leur pratique contraceptive.

Malgré la loi qui, dès mars 1979, a fixé l’âge pubertaire comme minimum légal au mariage – afin de favoriser les unions aux âges précoces –, l’âge moyen au premier mariage des femmes n’a cessé d’augmenter en raison de l’allongement des études et de la modernisation des aspirations familiales des Iraniennes. De 19,7 ans en 1976, il est passé à 24,0 ans en 2011.

L’âge moyen au premier mariage des femmes n’a cessé d’augmenter en raison de l’allongement des études et de la modernisation des aspirations familiales des Iraniennes.

Concernant la pratique contraceptive, 11% seulement des femmes mariées âgées de 15 à 45 ans avaient recours à des moyens contraceptifs en 1978. Après la Révolution et en dépit de l’absence des campagnes de limitation des naissances, 50% des femmes de 15-44 ans utilisaient un moyen de contraception, selon une enquête réalisée par le ministère de la Santé en 1989, avant la reprise de la planification familiale par l’État théocratique4. Cette fréquence des pratiques contraceptives souligne combien le déclin de la fécondité durant ces années était le fait des femmes. Une motivation à maîtriser sa fécondité qui n’a cessé de se renforcer : en 2000, 74% des femmes de 15-49 ans recouraient à un moyen contraceptif.

Quand la Révolution aide les femmes à prendre confiance

La clé de cette révolution sociale se trouve certainement dans le progrès de l’instruction scolaire des jeunes générations de femmes depuis les années 1980. En 1976, seulement 28 % des femmes de 15-49 ans, contre 54 % des hommes des mêmes classes d’âges, étaient alphabétisées. Après la Révolution, pour répondre aux attentes exprimées lors des journées révolutionnaires, l’État théocratique a dû redynamiser et étendre le système scolaire. L’ouverture massive de l’école a été particulièrement bénéfique aux femmes, dont l’accès au savoir a progressé à une cadence accélérée. Ainsi, en 2011, la proportion des femmes alphabétisées de 15-49 ans s’élevait à 89,8 % (93,7 % chez les hommes). Plus notoire encore : le taux d’alphabétisation des jeunes femmes âgées de 15 à 29 ans (95,5 %) avoisine celui des hommes des mêmes générations (96 %).

Précisons que ces évolutions rapides résultaient elles-mêmes de la Révolution de 1979 et de ses conséquences imperceptibles. La participation massive et active des femmes aux journées révolutionnaires a été déterminante pour les inciter à prendre confiance dans leur capacité à sortir de la soumission traditionnelle pour peser sur leur destin. Leur lutte contre les injonctions religieuses et le modèle traditionnel de la famille s’est alors engagée dans la plus profonde intimité de leur corps. On peut même penser qu’avec la maîtrise de leur fécondité, les femmes ont continué leur révolution.

On peut penser qu’avec la maîtrise de leur fécondité, les femmes ont continué leur révolution.

Ainsi, le processus révolutionnaire et le processus transitionnel ont conduit à une mise en cause des traditions patriarcales au sein de la famille et à la modernisation rapide de la société iranienne. Il s’agit d’un événement majeur qui montre bien la capacité de la société iranienne à inventer sa modernité en dépit de la volonté d’un État théocratique islamique.



J'achète Le numéro !
Fécondité : un enjeu pour la planète ?
Je m'abonne dès 3.90 € / mois
Abonnez vous pour avoir accès au numéro
Les plus lus

Les Marocains dans le monde

En ce qui concerne les Marocains, peut-on parler de diaspora ?On assiste à une mondialisation de plus en plus importante de la migration marocaine. On compte plus de 1,8 million de Marocains inscrits dans des consulats à l’étranger. Ils résident tout d’abord dans les pays autrefois liés avec le Maroc par des accords de main-d’œuvre (la France, la Belgique, les Pays-Bas), mais désormais aussi, dans les pays pétroliers, dans les nouveaux pays d’immigration de la façade méditerranéenne (Italie et ...

L’homme et Dieu face à la violence dans la Bible

Faut-il expurger la Bible ou y lire l'histoire d'une Alliance qui ne passe pas à côté de la violence des hommes ? Les chrétiens sont souvent gênés par les pages violentes des deux Testaments de la Bible. Regardons la Bible telle qu’elle est : un livre à l’image de la vie, plein de contradictions et d’inconséquences, d’avancées et de reflux, plein de violence aussi, qui semble prendre un malin plaisir à multiplier les images de Dieu, sans craindre de le mêler à la violence des...

Un héritage tentaculaire

Depuis les années 1970 et plus encore depuis la vague #MeToo, il est scruté, dénoncé et combattu. Mais serait-il en voie de dépassement, ce patriarcat aux contours flottants selon les sociétés ? En s’emparant du thème pour la première fois, la Revue Projet n’ignore pas l’ampleur de la question.Car le patriarcat ne se limite pas à des comportements prédateurs des hommes envers les femmes. Il constitue, bien plus, une structuration de l’humanité où pouvoir, propriété et force s’assimilent à une i...

Du même dossier

À la poursuite des ressources ou l’épopée humaine

Pourquoi la planète est-elle peuplée de façon si hétérogène ? Au fil de leur histoire, les humains se sont principalement déplacés en fonction de la disponibilité des ressources. La révolution industrielle et la mondialisation ont changé la donne, sans freiner la mobilité humaine. Pourquoi la Chine et l’Inde sont-elles si peuplées ? Pourquoi l’Europe l’est-elle aussi, alors que les Amériques apparaissent, globalement, vastes et relativement vides, tout comme la Russie ? Pourquoi, en Afrique, des...

Bangladesh : de la résilience à l'adaptation

Au Bangladesh, le gouvernement et la population subissent déjà, de plein fouet, le réchauffement de la planète. Mais l’inventivité et la résilience dont fait preuve ce pays pourraient servir d’exemples à de nombreux autres États pour les années à venir. Notre planète est menacée par des changements climatiques déjà observables dans des régions du monde qui sont aussi souvent les plus pauvres et les plus peuplées. En témoigne le delta du Bengale, régulièrement frappé par des cyclones et des inond...

La danse macabre du néo-malthusianisme

Pauvreté, cohésion sociale, environnement… Sur chaque enjeu, on voit poindre l’argument démographique. Il serait si commode de tout expliquer par une variable ! Pour l’Indien Mohan Rao, le néo-malthusianisme sert avant tout à dépolitiser le débat public. La politique démographique est un domaine où l’examen rationnel et historique des faits est souvent voilé, occulté, voire totalement opaque1. À l’instar des avatars de Vishnou, les arguments néo-malthusiens sont vraiment protéiformes. Ils affirm...

1 M. Ladier-Fouladi, « La transition de la fécondité en Iran », Population n° 6, 1996.

2 Elle est de 1,9 enfant en 2014.

3 M. Ladier-Fouladi, Iran : un monde de paradoxes, L’Atalante / Comme un accordéon, 2009.

4 Il faut peut-être rappeler que l’islam n’interdit pas la contraception.


Vous devez être connecté pour commenter cet article
Aucun commentaire, soyez le premier à réagir !
* Champs requis
Séparé les destinataires par des points virgules