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Dossier : Fécondité : un enjeu pour la planète ?

Sahel : coincé par le poids de la tradition

Le marché à Mopti, Mali ©Emilio Labrador
Le marché à Mopti, Mali ©Emilio Labrador
Au Sahel, on compte entre 6 à 7 enfants par femme. Soit le taux le plus élevé de fécondité au monde. Et les traditions tant culturelles, économiques que religieuses empêchent toute discussion. Face aux pressions de certains religieux et à l'absence de volonté politique, seule l'éducation semble apporter une solution. À condition qu'elle ne soit pas réservée qu'à une élite.

Le Sahel comprend une dizaine de pays, incluant, pour certains, tous les territoires bordant le Sahara : il y a donc un Sahel septentrional et un Sahel méridional. Ce vaste territoire, désertique dans sa majorité, est confronté à de nombreux problèmes d’insécurité, dont la montée des groupes terroristes djihadistes, des problèmes de gouvernance, de santé, d’éducation, de pauvreté… mais il dispose aussi du taux le plus élevé de fécondité au monde.

Au Mali, le taux de croissance démographique annuelle est de 3 % ­ soit un doublement de la population tous les vingt-quatre ans.

Selon les statistiques, le Sahel oscille entre 6 et 7 enfants par femme. Au Mali, le taux de croissance démographique annuelle est de 3 % ­– il est plus élevé que celui d’il y a vingt ou trente ans, car la mortalité infantile a un peu reculé – soit un doublement de la population tous les vingt-quatre ans. Une femme y donne naissance, en moyenne, à 6,5 enfants. Les chiffres sont les mêmes au Niger, au Burkina Faso, au Tchad ; un peu en deçà au Sénégal. Ce taux baisse à mesure qu’on approche du golfe de Guinée. Selon les projections des Nations unies, les six pays sahéliens sont sur une trajectoire qui verra leur population passer de 89 millions en 2015 à 240 millions en 2050, puis à 540 millions en 2100. À cet horizon, le Niger abriterait, à lui seul, plus de 200 millions de personnes, contre 15 aujourd’hui. Et le Mali, qui compte 17 millions d’habitants aujourd’hui, devrait passer à 42 millions en 2050. Pourquoi une telle fécondité ?

Des raisons culturelles et économiques. Les populations sahéliennes vivent de l’agriculture, de l’élevage, de la pêche et du commerce. L’agriculture, peu mécanisée, a besoin de plus de bras pour le labour des champs. Faire plus d’enfants signifie plus de bras valides, sans penser aux conséquences. Traditionnellement, le couple avec le plus d’enfants est considéré comme plus riche. Certaines communautés, par exemple les Haoussas ou les Dogons, encouragent la procréation. Lors d’un entretien, une sage haoussa estimait que si la jeune fille portait des slips en bas âge jugés trop serrés, cela contribuerait à diminuer sa sensibilité sexuelle et elle ne pourrait pas avoir beaucoup d’enfants. Chez les Peuls, le bénéfice du mariage est l’enfant.

Certains religieux disent que chaque goutte de sang versée pendant l’accouchement sera récompensée par Dieu, le jour du Jugement dernier.

Des raisons spirituelles. Il s’agit d’une forte population croyante qui voit dans l’enfant une bénédiction divine. Quand une femme peut avoir un enfant, il faut l’accepter et remercier le Seigneur. « Mariez-vous et multipliez-vous », dit le Coran. Certains religieux disent que chaque goutte de sang versée pendant l’accouchement sera récompensée par Dieu, le jour du Jugement dernier. Ce poids de la religion encourage à ne pas prendre de dispositions pour une fécondité modérée.

S’ajoutent des raisons qui tiennent au niveau d’éducation : dans les familles lettrées, le taux de fécondité est moins élevé que dans les familles illettrées. Beaucoup de cadres se rendent compte que réguler les naissances est une bonne chose pour la famille afin d’assurer une bonne éducation, une bonne santé, un bon avenir pour leurs enfants.

Malheureusement, cette question de fécondité ne fait pas débat dans les pays sahéliens, à majorité musulmane.

Plusieurs gouvernements, encouragés par des organisations internationales, ont pris conscience du problème et en parlent timidement, malgré tous les problèmes de santé, d’éducation et de sécurité auxquels ils sont confrontés. Il est d’ailleurs plus facile de faire avancer les choses, au niveau ministériel, quand le ministre est impliqué.

Au Mali, un ministère dédié à la population et à la prospective a été créé, alors que, pendant longtemps, c’est le ministère de la santé qui s’en occupait. Mais tout ce qui touche à la reproduction demeure tabou. Les jeunes filles en âge de procréer ne bénéficient d’aucune éducation à la sexualité, ce qui expose à tous les dangers. Elles apprennent sur le tas et ignorent tout des méthodes de planning familial. Celles-ci sont d’ailleurs considérées par certains comme contraires aux préceptes religieux.

Certes, des organisations internationales se mobilisent, mais surtout dans les grandes villes. Et leurs actions demeurent insuffisantes, pour une vraie sensibilisation des populations. Quant aux associations nationales, elles ont peu de moyens et le poids religieux n’encourage pas leur engagement.

Les questions de fécondité restent finalement très sensibles, certains étant prompts à accuser les politiques de se mettre en travers de la volonté divine. La volonté politique, pour inverser la tendance, elle, tarde à se manifester.

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