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Dossier : Sauvés par la révolution numérique ?

Peur sur le salariat

Quelle sera l'incidence du numérique et de la robotique sur l'emploi en France ? Faut-il vraiment craindre pour la moitié des emplois ? L'économiste Xavier Timbeau pointe davantage le risque d'une dualisation croissante du marché du travail et d'une fragilisation du statut protecteur lié au salariat.

En France comme dans la plupart des pays développés, le salariat est aujourd’hui plus que jamais le mode dominant d’activité. L’oisiveté ou la dépendance ne sont plus des options et l’émancipation des individus se fait au travers du travail, et, principalement, de l’emploi salarié. Comme l’a défendu Robert Castel1, la généralisation du statut de salarié ne peut se faire qu’en définissant des droits et devoirs qui font de l’emploi salarié autre chose qu’une mise à disposition de son temps de travail moyennant un salaire.

Mais le monde change. L'évolution est bien sûr technologique, mais aussi institutionnelle, et les équilibres anciens du monde du travail sont remis en cause. La crise actuelle rejoue la grande scène du changement en suscitant une peur nouvelle sur le salariat. Peut-il subsister tel quel, associé aux mêmes activités, aux mêmes rémunérations qu’autrefois ? Ne faut-il pas se préparer à des basculements plus qu’à des évolutions graduelles – la résistance ne faisant qu’accroître la violence du changement ? Ne faut-il pas déjà renoncer à des acquis fragiles et se résoudre à embrasser une nouvelle réalité à venir ? Il est impossible de répondre définitivement à ces questions. Les poser et jauger les faits et les arguments est cependant essentiel dans un univers imprévisible.

L’apogée du salariat

En 1949, d’après l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee), un emploi sur trois en France était non salarié. Aujourd’hui, ce sont neuf emplois sur dix qui sont salariés (89,9 % en équivalent temps plein en 2014). Le pic de salarisation a été atteint en 2003 (91,3 %). Dans les secteurs traditionnellement non-salariés, comme l’agriculture, le commerce ou la restauration, le salariat s’est développé de façon importante. En outre, l’économie s’est déformée vers des secteurs massivement salariés comme les services ou le secteur non marchand. Depuis 2003, le nombre de non-salariés progresse à nouveau (+449 000 non-salariés contre +586 000 salariés), bien qu’il continue de diminuer dans l’agriculture. Il progresse très faiblement dans les secteurs industriels (de l’ordre de 1 000 emplois non salarié par an), le commerce, le transport, l’enseignement et les activités spécialisées, scientifiques et techniques. Le développement du statut d’autoentrepreneur comme le niveau du chômage n’y sont sans doute pas étrangers.

Pourtant, du côté des revenus d’activité, le non-salariat perd du terrain. Alors que les revenus salariés représentaient 62 % des revenus d’activité en 1949, segmentant la France du travail en deux parts du même ordre de grandeur, aujourd’hui seulement 9,6 % des revenus d’activité sont des revenus de non-salariés. Et les salariés ont désormais un revenu par tête plus élevé, après une longue période inverse. Le salariat est également devenu la norme de vie des femmes. Leur taux d’activité est ainsi supérieur à 70 % en France (il dépasse 80 % pour les générations récentes2). Elles n’étaient certes pas oisives auparavant, mais la médiation de leur activité passait plus souvent par la famille, c’est-à-dire le travail domestique ou le travail non rémunéré (non couvert par la protection sociale) dans les entreprises ou les exploitations familiales3.

Polarisation de l’emploi

Parallèlement, la distribution de l’emploi est de plus en plus polarisée, à la fois vers le haut (l’encadrement, les professions intellectuelles) et vers le bas (les métiers peu qualifiés), conduisant à une réduction relative des emplois qualifiés intermédiaires. Ce sont surtout les emplois de l’industrie et de l’agriculture qui disparaissent. Or ces emplois, au moins dans l’industrie, sont plutôt qualifiés. Le graphique 1 détaille ces évolutions en distinguant la sphère « productive » de la sphère « présentielle », selon le critère qui gouverne les choix de localisation. Les activités de la sphère « présentielle » se localisent en fonction des populations présentes sur les territoires. L'implantation des activités de la sphère « productive » répond à d’autres critères, comme les ressources disponibles, l’accès aux transports ou les effets d’agglomération dans les chaînes de valeur. La polarisation n’est pas grand-chose d’autre, pour l’heure, que la contraction de l’emploi agricole et industriel, liée aux gains de productivité et aux délocalisations des activités manufacturières. Cette contraction s’accompagne d’une évolution notable de la géographie des activités. La sphère « présentielle » (2/3 des emplois en 2011) concentre l’emploi dans les zones qui concentrent la population. Il y a une circularité, puisque l’emploi attire la population qui localise l’emploi, et ce sont les régions de l’Ouest, du Sud et de l’Île-de-France qui concentrent ces emplois au détriment des régions anciennement industrielles et agricoles.

Graphique 1 : Évolution de l’emploi en France, 1982-2011, par fonction et sphère

Source : R. Reunard & P. Vialette, « Trente ans de mutations fonctionnelles de l’emploi dans les territoires », Insee Première, n° 1538, février 2015, à partir du recensement de l’Insee.

Les vingt dernières années confirment ces évolutions avec quelques nuances. La part de l’industrie et de l’agriculture continue de se réduire. L’emploi non marchand (le secteur public ou administré) est stable : si l’emploi dans le domaine de la santé et de l’hébergement social (maisons de retraite, …) augmente, la part de l’emploi dans l’éducation et dans l’administration publique diminue (contrairement à une idée reçue). Les services comme les commerces et la restauration sont assez dynamiques, mais moins que les services juridiques et administratifs privés, qui sont les principaux secteurs de progression. La France s’engage donc dans un modèle post-industriel avec une montée en charge des services aux personnes dépendantes (que l’on appelle parfois la silver economy).

Flexibilisation

Associée à ces évolutions, la nature du contrat de travail a largement évolué. La précarisation et la flexibilité se sont généralisées, avec des conséquences assez surprenantes (voir encadré).

Précarisation
En 2014, d’après Eurostat, la part de salariés en poste depuis plus d’un an s’est accrue (pour atteindre 87,6 %), une part en augmentation depuis le milieu des années 1990. La stabilité dans l’emploi est généralement associée à un contrat à durée indéterminée (CDI), dont la part dans l’emploi salarié est relativement stable et à un niveau élevé. Pourtant, on sait que les contrats courts constituent une proportion très majoritaire des nouveaux contrats. Comment peut-on concilier ces deux aspects ? Les contrats courts deviennent une forme d’emploi très flexible dans certains secteurs et sont de plus en plus courts : pour la dernière année observée, sur 23 millions de contrats de travail signés en France, 20 millions sont à durée déterminée et 16 sont des contrats de moins d’un mois. Mais les contrats d’un mois peuvent être signés plusieurs fois pour le même salarié (on peut signer 52 contrats d’une semaine par an). La flexibilité extrême conduit à une grande rotation sur peu de postes. En outre, les contrats courts sont devenus le moyen d’entrer dans l’emploi. Pour les 15-24 ans, la part des CDI est passée de presque 80 % au début des années 1980 à moins de 45 % en 2014. Le cursus d’entrée sur un marché du travail beaucoup plus flexible a des conséquences sur les acquisitions de compétences et les relations des jeunes générations aux entreprises. Ce parcours plus incertain d’entrée des jeunes dans la vie active est distinct de la dualisation que l’on observe dans certains secteurs où des formes d’emploi sans relation contractuelle longue se développent, projetant un fonctionnement du marché du travail hyper flexible en partie soutenu par l’assurance chômage4 – un cauchemar néolibéral sous perfusion de l’aide sociale, en quelque sorte.

C’est cependant dans l’extension du chômage et des antichambres de l’emploi que se trouve toute l’ambiguïté du développement de l’emploi salarié comme norme de socialisation. Depuis 2003, on peut mesurer non seulement le chômage tel que le définit le Bureau international du travail (personnes sans emploi, qui en recherchent un et sont disponibles), mais aussi le sous-emploi (principalement des personnes employées à temps partiel mais souhaitant un temps plein), les découragés du marché du travail, ou encore le halo du chômage, c’est-à-dire les personnes n’effectuant pas de recherche active ou indisponibles à court terme. Près d’un tiers des actifs potentiels sont ainsi en situation d’insatisfaction vis-à-vis du marché du travail (graphique 2). Ces situations sont diverses et ne sont pas toutes associées à une souffrance. Le chômage est en partie indemnisé, les découragés peuvent être dans une situation économique et familiale assumée (par exemple les femmes au foyer) et avoir une production non monétisée (le travail domestique). Mais ce chiffre reste impressionnant, puisqu’il indique que l’accès au salariat, devenu la norme dominante, est loin d’être garanti à la hauteur des espérances.

L'accès au salariat, devenu la norme dominante, est loin d’être garanti à la hauteur des espérances.

Plus frappant encore, la crise amorcée en 2008 a conduit à une augmentation de la part des insatisfaits, qui est passée de 25 % de la population active potentielle à 31 % en 2015. Et trois quarts des individus en sous-emploi sont des femmes (contre 55 % dans le halo et 45 % au chômage au sens du BIT). Pour plus d’un million de femmes, l’emploi est une situation de travailleur secondaire à revenu faible, sans accès à l’indépendance, sinon par la solidarité de la protection sociale. On doit ajouter à cette description du salariat la question de la santé au travail, la montée des accidents du travail et celle des « nouveaux » syndromes d’épuisement5.

Graphique 2 : Sous-emploi, chômage, halo du chômage, 2003-2015.

Source : Insee, Enquête emploi, séries longues de la publication chômage au sens du BIT

Chômage ou inégalités

La France se distingue aussi des autres pays développés quant à l’évolution des salaires. Un déversement se produit en lien avec la polarisation et la course à l’éducation (les qualifications nécessaires n’étant pas « produites » en quantité suffisante par l’éducation, les éduqués bénéficient d’un sursalaire). Il y a abondance de faible qualification et ceux qui disposent de qualifications obsolètes ou surabondantes se résignent à la sous-qualification. Ce déversement pèse sur les rémunérations les plus faibles et contribue aux inégalités. Pourtant, l’évolution des salaires en France au cours des dernières décennies attire l’attention. Les premiers déciles de la distribution des salaires nets connaissent une progression rapide, portés par les allègements de cotisations sur les bas salaires et la dynamique du Salaire minimum interprofessionnel de croissance (Smic). Au contraire, l’alourdissement des cotisations et sans doute des normes salariales très spécifiques ont limité les évolutions du plus haut décile. Le contraste est saisissant avec le marché du travail des États-Unis où les plus hauts salaires ont considérablement augmenté, accréditant l’idée d’un progrès technologique en faveur des compétences et d’une course à l’éducation. En France Aux États-Unis[MSOffice1] , c’est le milieu de la distribution des salaires qui a connu une décroissance quand les plus bas salaires se sont maintenus. Les inégalités salariales se sont ainsi réduites en France et ont augmenté aux États-Unis. Catherine, Landier et Thesmar6 en concluent que l’ajustement qui ne s’est pas produit sur les salaires (les prix) s’est reporté sur le chômage (les quantités). Relevons que les inégalités provoquées par la hausse du chômage ne sont pas comparables à celles qui ont été évitées par les évolutions de la distribution des salaires. Le modèle français a ici une caractéristique très enviable, qui ne dénote pas une supposée « préférence pour le chômage ».

Perspectives de l’emploi : péril en la demeure ?

Périodiquement, la Direction de l'animation de la recherche, des études et des statistiques (DARES) et France Stratégie (l’ancien Commissariat général au Plan) se livrent à un exercice de prospective afin d’identifier les besoins en main-d’œuvre et de piloter, entre autres, l’offre éducative. Leur dernière analyse7 souligne la part toujours plus importante des services. Les besoins liés à la dépendance impliquent un dynamisme fort de l’emploi non marchand, tandis que les perspectives de productivité dans l’industrie ou dans l’agriculture conduisent à une baisse de l’emploi. Les besoins induits par la transition énergétique se traduisent, si ce n’est par un boom de l’emploi dans la construction, du moins par une hausse des qualifications nécessaires pour maîtriser la rénovation énergétique. Les qualifications nécessaires dans l’économie française sont toujours plus grandes. Sur les 2 millions d’emplois supplémentaires d’ici à 2022, plus de 80% seront qualifiés. Plus d’un quart de l’emploi concernera des cadres. La dénomination perd d’ailleurs de sa pertinence, puisqu’il ne s’agit pas pour eux d’encadrer, mais au contraire de plus en plus de produire directement en mettant en œuvre des compétences élevées.

Cette analyse presque rassurante masque un débat plus inquiétant sur l’avenir du travail, débat qui fait rage outre-Atlantique. Celui-ci articule des arguments qui rappellent le luddisme8 du début du XIXe siècle et pointe les conséquences potentielles des évolutions technologiques en cours9. L’avènement de robots plus flexibles, les progrès dans la capacité des ordinateurs à analyser leur environnement, la capacité de traiter de larges quantités de données et de faire du « machine learning » ouvrent de nouvelles possibilités de substitution des machines aux hommes. Les premières phases de la révolution industrielle ont permis de remplacer la force mécanique humaine par des machines toujours plus puissantes et plus sophistiquées. Ce que les machines d’aujourd’hui vont remplacer, ce ne sont plus seulement des tâches demandant de la force, mais des missions mobilisant des capacités cognitives suffisamment simples (répondre à une demande d’assistance d’un utilisateur dans un centre d’appel, traiter des documents administratifs pour en produire une comptabilité ou une analyse juridique, conduire un véhicule dans un environnement ouvert…). Les prodiges réalisés effraient, puisqu’une grande partie des emplois d’aujourd’hui pourraient être remplis par des machines, éventuellement assistées d’opérateurs qualifiés qui, comme les meilleurs joueurs d’échec, superviseraient les actions des machines ou des robots afin d’adapter leur fonctionnement aux circonstances. Frey et Osborne10 ont analysé quels sont les emplois suffisamment routiniers pour pouvoir être traités par des machines, à partir d’une description des tâches impliquées dans chaque métier. Presque 50 % des emplois actuels aux États-Unis seraient potentiellement remplacés par des ordinateurs. La perspective, aisément transposable à l’Europe, est effrayante. On ne sait pas trop à quels coûts et avec quelle efficacité, mais une vague de substitution par des technologies, existantes ou prochaines, pourrait survenir très vite. Par le passé, de nombreuses prédictions de la fin du travail (avec l’avènement de l’informatique ou des technologies de communication) ont été faites et démenties11. En effet, l’on extrapole vite des fantasmes bâtis sur des observations parcellaires sans comprendre à la fois les limites et les enjeux des transformations en cours. L’informatisation n’a pas plus tué l’emploi que la mécanisation du métier à tisser. Elle a cependant changé les rapports de subordination dans le travail (et la possibilité de contrôle, de supervision ou d’évaluation), la nature des services rendus aux clients (plus impatients, plus exigeants), quand elle ne génère pas ses propres poisons d’inefficacité (l’avalanche de mails). Le changement technologique laisse bien une empreinte et l’annonce de la disparition du travail humain est symptomatique d’une crainte face à l’inconnu. Mais un discours cynique alimente ces peurs pour mieux soumettre, par une stratégie du choc12, et remettre en cause les acquis et les régulations du travail.

Au-delà de la délocalisation des activités, c’est la frontière de l’entreprise qui est remise en cause.

Parallèlement à la substitution de la force de travail, les technologies de la communication ouvrent une autre brèche dans le fonctionnement de l’entreprise et donc du salariat. De plus en plus d’activités et d’emplois, jusque-là préservés des effets de la globalisation, connaissent un phénomène d'off-shoring13. Des moyens de communication peu coûteux et très rapides permettent en particulier, lorsque la communication peut être explicitée14, de ne plus reposer sur l’internalisation dans l’entreprise des procédures d’encadrement et de coordination des tâches. C’est alors un nouveau pan d’emplois qui peut être externalisé. Au-delà de la délocalisation des activités, c’est la frontière de l’entreprise qui est remise en cause et à laquelle on peut substituer un processus concurrentiel. C’est la base de la disruption observée dans le développement d’Uber ou d’Airbnb. En faisant émerger des marchés proches de l’idéal libertarien, réussissant même le tour de force de contourner des institutions comme la monnaie, on dissout à la fois la notion d’emploi (Airbnb ne rémunère que le capital, le travail associé est strictement annexe) et les institutions régulant le rapport de subordination du salarié à l’entreprise et le « désir infini »15, jusqu’au caprice, du consommateur.

Un monde nouveau s’esquisse

Alors que le salariat a atteint son apogée, que les institutions qui le régulent ont maturé pendant deux siècles de révolution industrielle et sociale, tout semble pointer son effondrement. Clairement, l’emploi comme un droit accessible à tous pour s’insérer dans la société reste une utopie. La réalité est autre, duale : elle permet à certains de combiner sécurité, revenu, émancipation voire accomplissement personnel, tandis que d’autres font face à un dilemme entre soumission et désaffiliation. Après une crise profonde et un chômage en hausse, doit-on conclure que la société du salariat est un échec ? Il faudrait pour cela être sûr qu’une autre utopie produirait un monde réellement meilleur. Mais au moment où le salariat paraît à son maximum de sa capacité à organiser la société par l’équilibre entre droit et subordination, le futur nous annonce un assaut formidable sur les droits. Le code du travail, qui fonde en partie ceux-ci, suppose en effet pour fonctionner que le périmètre de l’entreprise reste invariant.

Alors que le salariat a atteint son apogée, tout semble pointer son effondrement.

Disruption, globalisation, numérisation ou substitution par des machines dessinent les contours d’un nouvel empire de la subordination. Le travailleur faiblement qualifié de demain, non salarié d’entreprises qui externalisent la plupart de leurs fonctions, sera en concurrence avec des machines coûteuses mais de plus en plus flexibles. Son salaire sera laminé par les rendements croissants et les rentes de ceux qui mèneront les ordinateurs. Le vertige qui nous prend est celui que l’on a déjà connu au début de la révolution industrielle et les peurs sont étrangement similaires. Pourtant, le travail n’a pas disparu et le processus social et politique a permis, au prix d’une histoire agitée, l’émergence à la fois du salariat et des institutions assurant le fonctionnement de l’État social. Les robots et autres machines fabuleuses permettront peut-être un jour de nous épargner la soumission au labeur en réalisant le vieux rêve de Keynes. Encore faut-il que dans ce monde sans travail, les richesses produites par les machines soient mises à disposition de tous, au travers par exemple d’un revenu universel. En attendant, la technologie ne devrait pas tuer le travail humain16, celui-ci restant la norme de socialisation, le principal vecteur de distribution des richesses produites et le socle des devoirs et des droits17. Mais le changement qui se profile peut remettre en cause toute la construction sociale arrachée à la révolution industrielle. Le progrès des techniques n’est pas nécessairement un progrès moral ou social. Il peut en être le fossoyeur et, à la veille d’une grande transformation possible, tout reste à refaire.



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1 Robert Castel, Les métamorphoses de la question sociale : une chronique du salariat, Fayard, 1995, 494 p.

2 Cédric Afsa et Sophie Buffeteau, « L’activité féminine en France : quelles évolutions récentes, quelles tendances pour l’avenir ? », Économie et Statistique n° 398-399, 2007, p. 85-98.

3 Hélène Périvier, « Une lecture genrée de la Sécurité sociale, soixante-dix ans après sa fondation : quel bilan pour l’égalité des femmes et des hommes ? », Informations sociales, n° 189, mai-juin 2015.

4 Pierre Cahuc et Corinne Prost, « Améliorer l’assurance chômage pour limiter l’instabilité de l’emploi », Note du Conseil d’analyse économique n° 24, septembre 2015.

5 Philippe Askenazy, Les désordres du travail, enquête sur le nouveau productivisme, La république des idées / Seuil, 2004, 96 p.

6 Sylvain Catherine, Augustin Landier et David Thesmar, « Marché du travail : la grande fracture », Institut Montaigne, février 2015.

7 DARES et France Stratégie, Les métiers en 2022. Rapport du groupe Prospective des métiers et qualifications, avril 2015, 411 p.

8 Le luddisme est le nom donné à un conflit industriel mené, au début de la première révolution industrielle, par les artisans qui percevaient comme une menace l’usage des machines (métiers à tisser par exemple) dans le travail du tissu. Le terme est parfois utilisé aujourd’hui pour évoquer l’opposition aux nouvelles technologies [Ndlr].

9 Frank Levy, Richard Murnane, The new division of labor, Princeton University Press, 2005. David Autor, Frank Levy, Richard Murnane, The Skill Content of Recent Technological Change: an empirical exploration. Quarterly Journal of Economics, 118(4), 2003, pp.1279–1333.

10 Carl Benedikt Frey, Michael Osborne, The future of employment : how susceptible are jobs to computerisation ? sept. 2013, pp. 1-72.

11 Jean Gadrey, « Le mythe de la robotisation détruisant des emplois par millions (1) », blog de l'auteur pour Alternatives économiques, 2015.

12 Naomi Klein, La stratégie du choc, la montée d’un capitalisme du désastre, Actes sud, 2008, 590 p.

13 Alan S. Blinder & Alan B. Krueger, « Measuring Offshorability : A Survey Approach », CEPS Working Paper, n°190, Princeton University, 2009.

14 Paul Leonardi & Diane Bailey, « Transformational Technologies and the Creation of New Work Practices : Making Implicit Knowledge Explicit in Task-based Offshoring », MIS Quarterly, 32(2), 2008, pp. 411-436.

15 Cf. Daniel Cohen, Le monde est clos et le désir infini, Albin Michel, 2015, 224 p.

16 Malgré les imaginations fertiles des technophiles, des domaines restent le privilège des humains. Par ailleurs, comme le souligne David Autor, les machines seront utilisées pour étendre les possibilités humaines plutôt que s’y substituer.

17 Il est difficile de construire une société proposant un revenu universel décent et qui demande par ailleurs la participation de chacun au travail. Pour ne pas désinciter au travail, le revenu universel doit être faible ; pour être décent, il doit être élevé. Il faudra donc la fin du travail pour une (grande) majorité pour que le revenu universel puisse fonctionner et ne pas saper la base de son financement. Il restera aussi à convaincre les quelques-uns qui travaillent ou possèdent le capital productif de cette redistribution.


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