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Évacuer les campements roms… et après ?

©Trace/Wikipedia/CC
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Une circulaire d'août 2012 réaffirme la nécessité de procéder à des évacuations, pour des raisons sanitaires ou de sécurité, mais aussi l'indispensable accès au droit commun des personnes qui habitent dans ces campements. Quel bilan ? Représentants de l’État, parlementaires et responsables associatifs apportent ici leur réponse.

Les évacuations forcées des Roms étrangers1 durant l’année 2013 atteignaient le chiffre de 21 5372 en France, soit davantage que la totalité de la population habitant en bidonvilles ou en squats. Autrement dit, l’ensemble de la population rom vivant en bidonvilles et squats en France aurait été expulsée au moins une fois durant l’année 2013.

C’est dans ce contexte que s’est tenue à l’Assemblée nationale, voici un an (le 27 septembre 2013), une « Journée nationale d’échanges » organisée par la délégation interministérielle à l’hébergement et à l’accès au logement des personnes sans-abri ou mal logées (Dihal). La même semaine, Manuel Valls, alors ministre de l’Intérieur, avait jugé « illusoire de penser qu’on réglera le problème des populations roms uniquement à travers l’insertion3 », considérant qu’une majorité n’ont pas la volonté de s’intégrer.

Si le sujet des Roms et de leurs campements était d’une actualité brûlante fin septembre 2013, la journée s’inscrivait aussi dans un temps plus long, celui de l’action administrative et de l’action associative. Il s’agissait de dresser le bilan, un an après, de la mise en œuvre de la circulaire du 26 août 2012 relative à « l’anticipation et l’accompagnement des opérations d’évacuation des campements illicites ». Cette circulaire, signée par sept ministres, réaffirme la nécessité de procéder aux évacuations, en particulier quand la situation sanitaire ou la sécurité l’exigent, tout en favorisant l’accès au droit commun des personnes qui habitent dans ces campements, en vue de leur insertion.

Les questions soulevées par cette circulaire, hélas, restent entières. C’est pourquoi la Revue Projet a choisi de publier une sélection des réponses apportées alors par des représentants de l’État, des parlementaires et des responsables associatifs, en prenant appui sur les contextes différents rencontrés à Strasbourg, dans les Bouches-du-Rhône et en Seine-Saint-Denis.

Alain Régnier, alors délégué interministériel pour l’hébergement et l’accès au logement des personnes sans abri ou mal logées

Nous menons une approche globale afin d’améliorer la situation sur les différentes thématiques visées par la circulaire : le logement, l’emploi, l’éducation, la santé et l’accès aux droits. (…) Cette mission « campement » est à replacer dans la mission générale que m’a confiée le Premier ministre. Ce poste de délégué interministériel s’ancre dans une approche basée sur le droit commun et les enjeux du mal logement dont les bidonvilles représentent la forme extrême et non acceptable dans des démocraties et des pays développés. La République française n’a pas de préfet rom, mais un préfet délégué interministériel en charge du mal-logement, qui s’occupe des bidonvilles où vivent essentiellement des ressortissants d’Europe de l’Est.

Pour en revenir à la question du bilan de notre action, après un an de travail interministériel, j’ai acquis la conviction que les difficultés rencontrées peuvent être surmontées. La principale difficulté concerne la compatibilité de deux temps : le court terme et le moyen et long termes. Le temps court des décisions de justice et des situations sanitaires inacceptables doit être concilié avec le temps de l’insertion, de l’éducation et de l’intégration, mais aussi le temps de la coopération entre les États et les collectivités. Il convient de s’insérer dans un triangle qui regroupe les pays dans lesquels les migrations s’opèrent, l’Union européenne avec ses politiques transnationales et les pays d’origine de ces personnes en migration dans l’espace européen. Ce triangle doit fonctionner de la manière la plus synchrone possible. Sans cela, nous ne réussirons pas. La politique est centralisée mais aussi décentralisée, reposant sur des agglomérations et des territoires. Au-delà des tensions et des difficultés, la circulaire du 26 août 2012 doit être appliquée. Le président de la République a indiqué la semaine dernière aux associations qu’elle devait être appliquée de manière homogène dans tous les départements de la République. C’est ma mission, difficile, mais pas impossible. Lutter contre le racisme, contre les formes de discrimination est un combat quotidien. J’espère que nous nous retrouverons dans un an pour dresser le bilan de cette seconde année et que cette politique des petits pas sera reconnue comme une politique publique apportant des réponses concrètes, puisque notre rôle n’a de sens que pour les personnes qui se trouvent dans les situations les plus fragiles. La loi vise à protéger les plus faibles, et les fonctionnaires, ainsi que les agents publics, doivent s’assurer de l’exécution des lois qui garantissent les droits fondamentaux de chacun dans notre société. (…)

« Lutter contre le racisme, contre les formes de discrimination est un combat quotidien. » A. Régnier

Je vous confirme que les moyens exceptionnels que j’avais demandés au Premier ministre seront reconduits pendant toute la durée du quinquennat. Les 4 millions d’euros sont inscrits dans le plan précarité pauvreté jusqu’en 2017. Nous pourrons toujours financer les équipes projets territoriales, encourager les actions de médiations et poursuivre les diagnostics sur le terrain. Nous nous trouvons dans de très grosses turbulences qui risquent d’être durables dans toutes les sociétés européennes. Les élus locaux se trouvent parfois dans des situations inextricables. Je ne porterai donc pas de jugement sur mes collègues ou sur l’ensemble de la société. Il nous appartient de porter le débat et d’affronter nos concitoyens dans des réunions publiques pour débattre et déconstruire certaines idées. J’ai déposé auprès de la Commission européenne une demande de financement pour des actions de lutte contre les discriminations, afin de changer le regard porté sur ces habitants des bidonvilles, majoritairement roms. Le message est brouillé puisque de nombreuses contrevérités ont été dites, par exemple sur Schengen. Il est de notre responsabilité d’éclairer les Français, d’écouter chacun et d’expliquer, en produisant un débat de qualité.

Laurent El-Ghozi

Je suis fondateur de l’Association pour l’accueil des voyageurs, cofondateur du comité national droits de l’homme Romeurope, président de la FNASAT Gens du voyage [Fédération nationale des associations solidaires d’action avec les Tsiganes et les Gens du voyage] et élu local à Nanterre. J’interviens au nom du comité technique Romeurope et de tous les militants et associations confrontés aux difficultés de vie des personnes, à l’indignité des bidonvilles et aux propos racistes. La tentation était grande et les motivations légitimes de ne pas être présents aujourd’hui, tant les déceptions peuvent conduire à la résignation. Après réflexion collective, nous avons décidé de participer à cette journée dont l’objectif est de favoriser le rassemblement pour combattre la misère dans laquelle sont confinées moins de 20 000 personnes, contraintes par nos politiques de vivre dans des bidonvilles en France.

La question se pose d’une confiance rompue entre ces acteurs, qui agissent au quotidien pour apporter aux habitants des bidonvilles une vie plus digne, et le gouvernement. Il n’y a pas de place en République pour des politiques publiques qui ciblent une catégorie de personnes appréhendées selon des origines ethniques, réelles ou supposées. C’est en ce sens que les déclarations du ministre de l’Intérieur réclament une clarification sans ambiguïté et sans délai.

Oui, la France compte 400 bidonvilles, qui constituent une problématique légitime pour certains élus locaux et qu’il faut évidemment supprimer. Il est de la responsabilité de nos élus de travailler à la cohésion sociale plutôt que d’attiser les tensions. Il est de la responsabilité de tous de condamner les propos racistes, d’où qu’ils viennent. N’inversons pas les responsabilités : personne ne souhaite vivre en bidonville, personne ne se résigne à la misère dans laquelle sont cantonnées ces personnes.

« Il est de la responsabilité de nos élus de travailler à la cohésion sociale plutôt que d’attiser les tensions. » L. El-Ghozi

L’actuel déchaînement politico-médiatique doit cesser avant que toutes les barrières morales ne cèdent : la raison et le droit doivent s’imposer. Qui peut penser que 20 000 personnes, dont 40 % d’enfants, menacent la République ? Qui peut penser que cela pose, même dans un contexte de crise économique et sociale, un problème insurmontable ? Nul ne peut renvoyer la responsabilité aux pays d’origine dans une Europe qui a choisi la libre circulation et la libre installation, réaffirmées par Viviane Reding [commissaire européenne à la justice, aux droits fondamentaux et à la citoyenneté].

L’intégration de populations étrangères et la résorption des bidonvilles sont constitutives de l’histoire française, avec notre capacité d’intégration, respectueuse des différences. Une autre politique est possible, respectueuse des principes et des hommes, si pouvoirs publics, élus locaux, médias et population cessent de jeter de l’huile sur le feu du racisme et se mettent réellement au travail pour que l’intégration, inscrite dans la circulaire du 26 août, soit enfin appliquée également et partout : rien que la circulaire, mais toute la circulaire. C’est à la construction de ce vivre ensemble solidaire que cette journée doit tenter de contribuer.

Je citerai Sénèque : « Ce n’est pas parce que les choses sont difficiles que nous n’osons pas, c’est parce que nous n’osons pas qu’elles sont difficiles. » Alors, osons ! Osons dire que la circulaire n’est pas appliquée, faute d’objectifs univoques : éradication des bidonvilles et/ou intégration. L’éradication ne peut, pour nous, qu’être la conséquence de l’intégration et non l’inverse. Osons croire que la France en est capable. Osons dire que, sans une volonté et un discours politique clair et partagé, ces objectifs ne pourront pas être atteints.

Strasbourg

Marie-Dominique Dreysse, adjointe chargée de la solidarité et de la santé auprès du maire de Strasbourg

Je vous présenterai l’expérience de Strasbourg, sachant que nous travaillons avec la Dihal depuis longtemps. En préambule, je souhaite dire qu’aucun campement n’a jamais été, dans le Bas-Rhin, évacué par la force. Toutes les fermetures de site sont toujours intervenues grâce à la négociation, en général pour améliorer les conditions de vie des personnes.

La circulaire du 26 août 2012 a été bien accueillie à Strasbourg car elle marquait un vrai changement de position gouvernementale et exprimait la volonté d’apporter des réponses individualisées et territorialisées et de mettre fin aux conditions de vie indignes, ce qui correspondait à nos objectifs locaux. Depuis 2008, nous nous étions engagés dans une politique de petits pas, reprenant les termes de la circulaire en ce qui concerne les axes de travail prioritaires et la manière de les déployer avec les acteurs de terrain, les personnes et les collectivités locales. Cette circulaire nous dotait donc d’un cadre sur lequel nous appuyer pour renforcer l’action locale.

En 2008, Strasbourg comptait des bidonvilles de pauvres, migrants, à la rue, souvent roms et souvent roumains. Ces bidonvilles étaient des zones de non-droit, privatives de fait puisque les seules interventions étaient celles de Médecins du monde ou de la police municipale. Les seuls contacts avec les services de la ville étaient établis par les services sociaux et la PMI [protection maternelle infantile]. Nous avons décidé de changer de regard pour aborder ces problématiques, passant d’un regard de sécurité publique à un regard de solidarité, d’accès à la dignité et aux droits essentiels. Strasbourg portait une responsabilité à trois niveaux. En premier lieu, Strasbourg portait une politique de solidarité et de lutte contre les inégalités sociales. En second lieu, la ville porte depuis longtemps de larges politiques sociales, ce qui nous permet de travailler de manière élargie. Ainsi, la ville pilote l’action sociale, la PMI et un service de protection des mineurs. Enfin, Strasbourg est le siège d’institutions européennes et il semblait inconcevable que des citoyens européens vivent ainsi sur notre territoire. Nous avons donc adopté une démarche pragmatique, considérant que la situation était complexe et que nous devions nécessairement passer par des dialogues, des passerelles et des partenariats pour construire. Nous avions l’habitude du partenariat et voulions faire participer les habitants de la ville, dont font partie ces citoyens à la rue, en construisant les politiques avec les personnes concernées.

En janvier 2009, un premier site est fermé, avec un droit d’hébergement et un droit au séjour pour tous, grâce à la collaboration étroite des services de l’État, de Médecins du monde et d’acteurs de l’hébergement d’urgence. La DDASS [direction départementale des affaires sanitaires et sociales] a soutenu la ville pour réaliser un travail de médiation pendant un an, ce qui constituait le premier partenariat avec un comité de pilotage entre les services de l’État, des acteurs sociaux, des acteurs de terrain, des acteurs de l’hébergement et la collectivité.

En septembre 2010, les réflexions aboutissent à un projet d’espace temporaire d’insertion pour héberger, accompagner et permettre l’accès au droit sur les quatre axes de la circulaire. Ce projet a vu le jour en novembre 2011. Il concernait 100 personnes (150 aujourd’hui). Cet espace temporaire d’insertion, « l’espace 16 », était situé à proximité du centre-ville et des transports. Il était doté d’un conseil de vie sociale permettant, régulièrement, aux résidents du site d’avoir un espace d’échange et de dialogue transversal. Ce premier partenariat a permis un rapprochement avec le Conseil de l’Europe qui a abouti à la mise à disposition d’un médiateur pendant six mois, aujourd’hui recruté par la ville de Strasbourg.

Un contrat précisant les objectifs d’insertion et les règles de fonctionnement de l’espace a été signé par les familles bénéficiaires. Le bilan de l’opération étant positif, la municipalité peut se consacrer à l’extinction des campements illicites disséminés sur le territoire.

Le 26 août 2012, nous avons initié un autre partenariat qui revêt trois formes, la première consistant en la création d’une mission rom, pilotée par la direction générale et trois adjoints de la ville de Strasbourg (celui de la solidarité, celui des affaires européennes et celui de la sécurité). Cette mission instaure une action en transversalité avec un travail sur l’école, sur la santé, sur la sécurité, sur les relations de voisinage par le biais de la territorialité dans les quartiers et sur les questions de propreté. Les services de la construction concourent à la mise en œuvre de ces actions. L’autre pôle de partenariat entre la ville de Strasbourg et l’État (piloté par le préfet Couret et moi-même) instaure une coordination des actions entre les services de la ville et a abouti à la mise en place d’une Mous [maîtrise d’œuvre urbaine et sociale, dispositif d’accompagnement au logement], sur un financement de la Dihal, à une simplification de la procédure du statut de la personne avec l’arrivée d’un contrat en CUI [contrat unique d’insertion, constituant un accompagnement dans l’emploi] (avec cinq contrats signés), et à la mutualisation de la connaissance. Le troisième pôle et celui d’une plateforme avec les associations et les acteurs de terrain, que nous pilotons, dans les secteurs de l’insertion professionnelle (50 partenaires se réunissent chaque trimestre), de la scolarisation (avec un travail entre les enseignants, l’inspection académique et les parents, sur dix établissements scolaires), du logement dans le but de trouver des solutions pérennes, de la culture et du socioculturel avec les artistes pour déconstruire les clichés, le Conseil de l’Europe et les associations de quartier concernées.

George Pau-Langevin, ministre déléguée auprès du ministre de l’Éducation nationale, chargée de la Réussite éducative

La question de la scolarisation des enfants roms est un enjeu pour leur vie future et pour l’inclusion des familles. La scolarisation est une condition sine qua non de l’insertion. Ce postulat vaut tant pour l’État que pour les familles. La circulaire interministérielle souligne la responsabilité de la puissance publique vis-à-vis des enfants roms. Conformément à son esprit, j’ai impulsé la publication de trois circulaires, au ministère de l’Éducation nationale, sur la scolarisation effective des enfants allophones arrivant, des enfants issus de familles itinérantes et de familles sédentarisées depuis peu. La scolarisation des enfants roms se situe souvent à l’intersection de ces trois situations. L’accès à l’école est un droit fondamental de tout enfant, y compris les Roms. Les particularismes sociaux et culturels ne sauraient justifier le non-respect de nos principes fondamentaux et de nos engagements internationaux, notamment ceux contenus dans la convention internationale des droits de l’enfant. La République est responsable de la scolarisation de tous les enfants qui se trouvent sur son sol.

« L’accès à l’école est un droit fondamental de tout enfant, y compris les Roms. » G. Pau-Langevin

Notre pays a su intégrer des populations variées, au fil du temps, souvent marquées à leur arrivée par la précarité et la marginalité. Nul n’a oublié les bidonvilles de Nanterre, de Champigny ou de Villeneuve-Saint-Georges. Ce défi est considérable, mais il n’est pas insurmontable.

Seine-Saint-Denis

Aline Archimbaud, sénatrice de la Seine-Saint-Denis

Pour rompre avec les fantasmes et l’irrationnel, il faut rappeler que, depuis des siècles, les Roms ont été persécutés. Il convient donc de dénoncer les propos racistes et de se montrer très fermes. Les Roms sont, pour la plupart, des migrants économiques, précaires, persécutés dans leur pays. J’avais initié une proposition de résolution au Sénat afin de lever les mesures transitoires qui perdurent – et devraient être levées fin 2013 – limitant l’accès au travail légal des citoyens roumains et bulgares qui sont pourtant nos concitoyens européens. Ces conditions particulières continuent à rejeter dans la marginalité et le travail illégal des personnes qui ne le souhaitent pas.

Je suis réconfortée d’avoir entendu la ministre rappeler la position du gouvernement. Les propos de divers responsables politiques qui stigmatisent les populations et affirment que les Roms ne veulent pas s’intégrer sont faux. Une déclaration indiquant que la seule solution est que ces populations quittent la France ne correspond pas à la ligne du gouvernement. Ces positions sont inadmissibles et irresponsables quand elles émanent de personnalités qui ont une influence sur les citoyens.

« Les Roms représentent une chance pour notre pays : si nous acceptons de la saisir, elle peut nous aider à penser la ville et l’habitat et nous apporter beaucoup sur le plan culturel. » A. Archimbaud

Tout enfant doit être scolarisé en France : c’est une obligation légale des communes. Le maire qui refuse se met hors-la-loi. Vous pouvez exercer un recours devant la loi ou vous adresser aux parlementaires et nous relaierons auprès du gouvernement pour faire appliquer la loi. En Seine-Saint-Denis, les réseaux et les associations se sentent désarmés car ils ont du mal à trouver des relais auprès de certains maires. À contre-courant de ce qui peut être dit, je pense que les Roms représentent une chance pour notre pays : si nous acceptons de la saisir, elle peut nous aider à penser la ville et l’habitat et nous apporter beaucoup sur le plan culturel. Le fait d’avoir une société de métissage, ouverte aux autres cultures, constitue une richesse. Je souhaite que davantage de moyens soient consacrés à des projets concrets. Les maires qui montent des structures de dix à douze logements doivent être soutenus.

Jean-Yves Lesage, Ligue des droits de l’homme, Saint-Denis

Strasbourg constitue un exemple rare. Le problème rencontré en Seine-Saint-Denis n’est pas d’améliorer la situation, mais de débuter ! Il n’existe aucun comité de pilotage : ni localement, ni au niveau du département, ni avec le préfet, ni avec le Conseil général. Seule la police intervient pour chasser, camp après camp. Les diagnostics sociaux consistent en de vagues recensements de la population, sans aucun projet. Certains maires, même socialistes et communistes, font de leur mieux pour que les enfants ne soient pas scolarisés. Telle est la réalité de notre département, où seule la police intervient pour effrayer aux gens en leur annonçant une expulsion – fictive – pour le lendemain, dans l’espoir que les familles se déplacent jusqu’à la commune voisine. Les villes jouent au ping-pong avec ces Roms pourtant installés depuis plusieurs années sur notre territoire. Certains enfants scolarisés ont connu sept expulsions de camp et ils font parfois des kilomètres tous les matins pour se rendre à l’école où ils sont scolarisés. Le fait que le département compte davantage de Roms que les autres ne constitue pas une excuse : si les communes se partageaient l’effort social, elles n’assumeraient chacune qu’une petite dizaine de familles.

Marie Lajus, préfète déléguée pour l’égalité des chances auprès du préfet des Bouches-du-Rhône

Le département des Bouches-du-Rhône est un département compliqué du point de vue de l’accueil des populations migrantes en général et de la communauté rom en particulier. Les préfets ont une légitimité, en tant que représentants de l’État, et offrent en outre le gage d’une certaine équité de traitement sur l’ensemble des sujets opérationnels qu’ils traitent. Le problème des Roms est un de ces sujets. Dans le département, nous avons cherché à mettre en place un partenariat entre les collectivités territoriales et les associations et nous avons constaté que les postures évoluaient progressivement. Nous observons ainsi que, même lorsque les élus portent des discours extrêmes, les services techniques sont prêts à travailler. Si le préfet contacte un responsable de la voirie ou de la propreté pour lui demander de faire tel effort à tel endroit, ce dernier le fait. Certaines communes ont installé des toilettes sèches dans les camps. Certaines collectivités territoriales n’auraient peut-être pas osé prendre des initiatives ou créer des dispositifs mais ont accepté de travailler avec l’État ou de contribuer financièrement à la mise en place de projets. Ces projets avancent dès lors que l’État prend le leadership.

Il semble toutefois difficile de créer, dans ce département, des villages d’insertion, qui requièrent un engagement et un affichage forts. Il n’en est pas moins possible de progresser par l’insertion dans le logement, à travers du logement diffus.

Propos recueillis par Grégoire Lefèvre.



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1 Ce texte reprend de larges extraits des interventions prononcées lors des Journées nationales d’échanges de la Dihal, « L’anticipation et l’accompagnement des opérations d’évacuation des campements illicites : point d’étape »,  à Paris, le 27 septembre 2013.

2 D’après un communiqué commun de la Ligue des droits de l’Homme (LDH) et du European Roma Rights Centre (ERRC) du 14 janvier 2014.

3 Propos tenus sur France Inter, le 24/09/2013.


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