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Conditions du travail à Madagascar


Chaque société entretient avec la sphère du travail un rapport particulier qui dépend d’abord de sa culture et de son histoire, ensuite de son niveau de développement économique et social. L’exemple de Madagascar relève d’une situation globalement partagée par la plupart des pays africains subsahariens – sauf l’Afrique du Sud. Ces pays ont en commun la prédominance de la tradition et de l’oralité, et l’expérience de la domination coloniale. Et ils connaissent aujourd’hui des changements sociaux rapides et profonds.

Victimes tout à la fois de l’échange inégal entre Nord et Sud, de leur difficulté à dépasser la culture traditionnelle, des carences de leurs classes dirigeantes, les populations de l’Afrique subsaharienne et de Madagascar vivent de l’autosubsistance dans les campagnes et du secteur informel dans les villes. Le rapport au travail salarié et à l’économie monétaire est une expérience récente pour les entrepreneurs comme pour les travailleurs africains et malgaches. Les conditions du travail s’en ressentent…

Pour en avoir un aperçu satisfaisant, il ne suffit pas de connaître le cadre juridique et ses limites. Il faut réfléchir à la signification du travail dans la société, et à son évolution au cours des dernières années. On pourra alors dresser un premier bilan et dégager quelques orientations.

Un arsenal juridique complet

À s’en tenir aux textes, l’État malgache dispose d’une législation du travail convenable. L’actuel Code du travail du 28 juillet 2004 est complété par un Code maritime et un Statut des fonctionnaires, l’ensemble régissant le cadre du travail et le statut des travailleurs 1. Ainsi, la durée de travail hebdomadaire est de 40 heures (42,6 heures dans les entreprises agricoles) et les congés annuels sont de 30 jours. Des dispositions particulières se préoccupent du travail des femmes, des enfants et des personnes handicapées. Les relations avec l’employeur sont définies (délégués du personnel, comité d’entreprise), et les conflits du travail pris en compte. Les organisations des travailleurs et des employeurs se voient reconnues dans leur spécificité et leur autonomie, y compris la liberté syndicale. Enfin, le « tripartisme » – les relations entre État, patronat et ouvriers – est institutionnalisé dans le cadre d’un Conseil national du Travail.

En apparence, toutes les normes sont respectées : le travail a son Ministère, son Code et ses inspecteurs ; le salaire minimum est rituellement revalorisé par le Président de la République en début d’année ; tout travailleur est censé être déclaré à la Caisse nationale de Prévoyance sociale et à une organisation d’assurance-maladie ; les conditions d’embauche et de travail sont réglementées ; et le taux de chômage officiel, l’un des plus bas au monde, est régulièrement publié.

Des réalités moins reluisantes

Dans la pratique, il en va tout autrement. D’abord parce que cette législation concerne moins d’un actif sur dix, les neuf autres n’étant pas salariés. En l’absence de données officielles fiables, on peut estimer la population malgache à 18 millions, la population active à 7 ou 8 millions et le nombre de salariés à 750 000. « Officiellement, l’Organisation internationale du Travail évalue à 45,5 % le taux de sous-emploi à Madagascar ; les professionnels de la formation et de l’emploi estiment que le taux est largement au-dessus, proche de 80 % selon eux. La statistique officielle montre que les aides ménagères représentent 52,3 % des travailleurs. Viennent ensuite les indépendants qui représentent 34,2 %. Les travailleurs ruraux et informels constituent la grande majorité de ces indépendants » 2.

Si le taux de sous-emploi – qui désigne en réalité tous ceux qui n’ont pas un emploi salarié – est bien de l’ordre de 80 %, les 20 % restant se répartiraient ainsi : une moitié de salariés « légaux » (environ 750 000), dont 150 000 dans le secteur public et 600 000 dans le privé ; et l’autre moitié, celle des salariés « illégaux » – travailleurs ruraux, aides ménagères et informels. Tous ces chiffres sont à prendre avec une extrême prudence. Des sources différentes indiquent par exemple que « Madagascar enregistre actuellement un taux alarmant de chômage, dont 483 000 chômeurs et 3 millions de sous employés » 3 … ce qui donnerait un taux de chômage aussi précis que ridiculement faible !

Dans leur immense majorité, les travailleurs sont acculés à la survie : pour eux, ni assurance maladie ni indemnités de chômage, ni allocations familiales ni caisse de retraite. Dans les entreprises, la situation n’est pas plus brillante, à commencer par celles situées en zones franches, théoriquement le secteur le plus moderne et le plus attractif. Localisées pour la plupart autour de la capitale, elles sont au nombre de 185, et emploient 120 000 personnes (l’âge moyen est de 29,6 ans et l’on compte 50,5 % de femmes 4). On ne fait pas carrière dans les entreprises franches. Les conditions de travail déplorables et la faiblesse des salaires en font un pis-aller auquel on renonce dès que possible.

Les autres entreprises n’offrent pas un meilleur visage. Les conditions de travail y sont rudes, et les salaires tellement faibles que nombre d’employés complètent par le vol (de matériel, d’outils ou de produits finis) ce qui leur manque pour survivre. Quant aux écarts de rémunération avec les ouvriers, ils vont aisément de 1 à 50 pour les cadres et de 1 à 100 pour les patrons. Le dialogue interne aux entreprises est particulièrement difficile, quand il n’est pas inexistant. Des chefs d’entreprise n’osent pas parler de leurs problèmes avec leurs plus proches collaborateurs, de peur que ceux-ci n’en profitent pour les déstabiliser, voire ne cherchent à prendre leur place. La jalousie est, avec la peur, le handicap social le plus répandu à Madagascar.

Les ouvriers ne sont pas mieux nantis. Les grèves, malaisées à organiser en raison de l’hostilité des autorités et des entrepreneurs ainsi que de la méfiance entre ouvriers, n’éclatent souvent que sous forme « sauvage », et sont donc mal gérées. Car la culture malgache ne supporte pas le discours d’affrontement : s’opposer, surtout à son chef, est socialement inacceptable. D’où les difficultés rencontrées par des syndicats peu représentatifs pour durer, et pour tenir un langage revendicatif acceptable. Relativement forts sous la colonisation, ils n’ont cessé de dépérir depuis, le coup de grâce ayant été leur absorption au sein du « pouvoir révolutionnaire » de Didier Ratsiraka, entre 1975 et 1990. Il en reste surtout des bureaux nationaux, de tendance marxiste ou chrétienne. Aujourd’hui, l’orientation ultra-libérale de la politique nationale leur est ouvertement hostile, et les tentatives de grèves ont toutes avorté.

Le travail des femmes pose un grave problème, indissociable de celui de la condition féminine dans le pays. Ainsi, dans la carrière d’Ambatomaro, dans le Ve arrondissement de la capitale, la main-d’œuvre féminine représente 60 % des 1 000 casseurs de pierres. La plupart d’entre elles, de 18 à 60 ans, sont veuves ou abandonnées par leurs maris. Elles travaillent 11 heures par jour, de 7 heures du matin à 18 heures, pour un salaire variant de 1 800 à 3 600 Ariary (0,7 à 1,40 €) selon la quantité des produits travaillés 5. Le sort des employées de maison est pire encore : enlevées très jeunes à leur famille campagnarde sous prétexte d’une prise en charge par de lointains parents de la ville, elles subissent souvent un véritable esclavage, y compris sexuel parfois. Sept jours sur sept, elles se lèvent avant l’aube pour préparer le riz du matin et se couchent après tout le monde, se nourrissant des restes du repas familial et dormant dans la cuisine ou sous l’escalier. Leur seule « détente » est de pouvoir assister au culte ou à la messe, le dimanche. Et dans la plupart des cas, c’est la famille de la campagne et non l’employée elle-même, qui empoche la dérisoire indemnité promise aux parents.

La condition des enfants est encore plus scandaleuse. « Selon le Bureau international du Travail (Programme international pour la lutte contre le travail des enfants), 1 377 800 enfants de 7 à 17 ans sur un total de 4 204 000, sont des travailleurs à Madagascar. Entre 7 et 17 ans, un enfant sur trois travaille. Un grand nombre d’enfants malgaches contribuent à la production dans différents secteurs, dont les mines. Ils sont dans les carrières à Tana 6 ou dans les provinces » 7. Le secteur minier affiche le taux le plus élevé d’enfants travailleurs non scolarisés, notamment dans la région d’Andilamena. Ailleurs, ils sont victimes des coutumes traditionnelles (mariages précoces), ou soumis à l’exploitation sexuelle de touristes.

Les accidents du travail étaient officiellement chiffrés à 4 777 cas en 2007, dont 3 518 dans l’ex-province d’Antananarivo. Dans la seule capitale, 70 % des déclarations d’accidents proviennent du secteur privé, et pour la plupart, ils se produisent dans les zones franches 8. Cela confirme le fait que la région de la capitale abrite l’essentiel des industries et des services du pays. Seuls les salariés sont assurés, et le montant des indemnisations pour invalidité ou des rentes en cas de décès est proportionnel aux salaires ; il ne permet pas d’en vivre.

Reste l’alibi de l’inspection du travail, qui devrait intervenir pour mettre un terme aux situations inacceptables. Mais, « sur les 110 contrôleurs et inspecteurs du travail que compte le pays, 50 % résident et travaillent dans la capitale. Parmi ces 50 %, la moitié est en fonction dans les ministères, occupant toutes sortes de postes. Seule l’autre moitié est théoriquement disponible pour exercer réellement ses fonctions sur le terrain, dans les entreprises et autres ateliers » 9. Les apparences sont sauves, mais les responsabilités ne sont pas assumées.

Ces situations d’injustice ou d’exploitation résultent pour une large part de l’absence de recours de la part des travailleurs. Reconnu par la Constitution, l’exercice du droit syndical est problématique. La culture nationale n’aime pas le recours à l’affrontement, alors que l’action syndicale est revendicative et contestataire. Et les contrôles sont quasi inexistants : outre que leurs effectifs sont squelettiques, il est difficile aux inspecteurs du travail de rappeler les chefs d’entreprise à leurs responsabilités. Il en va de même pour les médecins du travail, dont la vénalité est dénoncée. Et la corruption existe aussi dans le monde judiciaire : syndicats et ouvriers savent que les recours devant les tribunaux n’ont guère de chances d’aboutir.

Evolution rapide du concept de travail

Dans la société traditionnelle, le travail n’avait qu’une importance relative et saisonnière. Outre les corvées dues au roi, les tâches pénibles étaient réservées aux hommes : préparer les rizières et moissonner, construire les habitations en terre ou en bois, garder les bœufs et assurer la défense du village. Aux femmes revenaient le repiquage du riz, le soin des enfants et les tâches domestiques (préparer les repas, chercher l’eau et le bois pour la cuisine, tisser et laver les vêtements). Tous ces travaux laissaient le temps de gérer les responsabilités et obligations sociales, nombreuses et absorbantes : fêtes familiales et rituelles – circoncision, mariage, enterrement, famadihana –, visites, maladies, réception des autorités, etc.

La colonisation (1896-1960) entraîna un changement brutal. Les échanges monétaires et l’économie de marché furent imposés, la construction de routes et de voies ferrées permettant d’atteindre les régions de production agricole et d’exploitation minière. Mais le travail obligatoire ( foloandro, « dix jours » par an – voire parfois jusqu’à trente jours, telopolo andro) fut maintenu jusqu’en 1946, officiellement pour des travaux d’intérêt collectif, trop souvent pour le profit personnel de certains colons. Pour autant, l’idée d’une maîtrise de la nature, le souci de l’efficacité et de la productivité ne se sont pas généralisés, de même que la civilisation du travail et l’idéologie du progrès ne se sont pas implantées, en attendant la société de consommation et des loisirs !

La communauté traditionnelle pratiquait l’autosubsistance, le surplus faisant l’objet de troc. Aujourd’hui, toutes les institutions financières d’un pays moderne sont érigées : Ministère, Banque centrale, banques primaires, cartes de crédits, billets et pièces de la nouvelle unité monétaire, l’Ariary. Les membres de la classe aisée et, pour une part, les survivants de la classe moyenne sont des « accros » de la consommation, tout comme certaines professions libérales florissantes ; mais la plus grande partie de la population reste en dehors de la logique et de la pratique monétaires.

Car l’argent servi en contrepartie du travail est notoirement insuffisant. Avec son salaire minimum, un travailleur devrait subvenir aux besoins de sa famille et assurer l’avenir de ses enfants ; mais comment imaginer qu’un salaire de 63 519 Ariary par mois (25 euros) y suffise ? Ces salaires de misère, il est vrai, sont parfois complétés par de maigres avantages en nature : repas de midi pour les ouvriers agricoles, personnel domestique « nourri et logé », prises en charge diverses des innombrables « aides » (aide chauffeur, maçon, garagiste, menuisier, peintre,…). Mais le complément indispensable à la survie ne peut être obtenu que grâce au vol (systématique dans les entreprises), à l’endettement (l’argent emprunté n’est pas fait pour être remboursé) et aux jeux de hasard (qui enrichissent moins les joueurs que les organisateurs)…

Le travail lui-même en subit une profonde dévalorisation sociale. Aujourd’hui, près des trois quarts de la population vivent en dessous d’un seuil de pauvreté fixé à deux dollars par jour, soit 3 670 Ariary ; et le salaire minimum mensuel de 63 519 Ariary fournit à chaque travailleur 2 110 Ariary par jour, soit un peu plus qu’un dollar US. Plus grave, « 63 % de la population malgache sont victimes de l’insécurité alimentaire et 48 % des enfants de moins de cinq ans sont malnutris » 10.

Dans un pays où le riz est l’aliment quotidien et indispensable, deux chiffres éclairent l’évolution de la rémunération du travail – et donc l’intérêt que la population porte au travail lui-même : dans les années 60, après l’indépendance, une heure de travail au salaire minimum permettait d’acheter un kilo de riz (payé entre 20 et 30 Fmg, à l’époque) Aujourd’hui, il faut près de trois heures de travail pour obtenir le même kilo de riz qui coûte plus de 1 000 Ariary (5 000 Fmg). Or une famille moyenne, qui compte entre 4 et 6 enfants, consomme facilement deux kilos de riz par jour. Que reste-t-il pour les autres dépenses ?

Enfin, si les citadins sont légalement astreints à 173,3 heures de travail par mois, les paysans, eux, doivent travailler 183,3 heures pour prétendre au même salaire. En d’autres termes, l’heure de travail est rémunérée à 366 Ariary en ville, contre 346 à la campagne. Cet écart renforce le traditionnel mépris pour le travail manuel, celui des paysans, autrefois réservé aux esclaves. En revanche, le « travail » de bureau, lui, est socialement valorisé.

Difficile maîtrise du temps et de l’argent

Plus profondément, une autre limite à la valorisation du travail tient à la difficile maîtrise du temps par les Malgaches. Les zones franches, fer de lance de la stratégie économique du pays, en sont l’illustration : leurs exportations sont d’autant plus juteuses que les coûts salariaux sont maintenus le plus bas possible, et les salariés sont soumis à une exploitation maximale. La plupart d’entre eux se plient bon gré mal gré à toutes les exigences, y compris celle d’horaires démentiels, et donc du temps maîtrisé. Mais l’impressionnante rotation du personnel témoigne d’un rejet sans appel : les jeunes se soumettent le temps de se constituer un petit pécule pour se marier, ou aider leur famille, et s’en vont dès qu’ils le peuvent. Et avec le travail salarié, ils rejettent aussi la maîtrise du temps…

En d’autres termes, le monde traditionnel s’approprie les apparences du moderne, le récupère par le mimétisme, tout en le vidant de son contenu. Il en résulte une illusion de développement. Chacun utilise la maîtrise du temps de manière sélective, en fonction de ses intérêts personnels et des exigences présumées de l’interlocuteur : respectée dans la relation à l’étranger ou au détenteur d’un pouvoir, elle est rejetée ailleurs. Et chacun se plie à la discipline de l’organisation pour autant que l’autre l’exige (l’investisseur des zones franches, par exemple), mais il s’y refuse dans la vie de tous les jours.

C’est dire que le temps nouveau de la modernité n’a pas pris la relève du temps perdu de la société traditionnelle : rendez-vous non honorés, ou seulement des heures, voire des jours plus tard ! À l’homogénéité du temps passé, se substitue un comportement dichotomique : un temps pour l’étranger ( fotoam-bazaha, le rendez-vous avec le Blanc), un temps pour le concitoyen ( fotoam-gasy, le rendez-vous à la malgache, qui implique le fait d’être en retard). Faut-il s’y résigner, et en conclure que « dans la tradition malgache, on n’est pas prêt à se conformer à la ponctualité et à la régularité exigées par la nouvelle technologie ? Les modes traditionnels de travail, fondés sur le temps événementiel et laissant de la place aux habitudes et caprices personnels, ne sont tout simplement pas compatibles avec les exigences de la technologie moderne » 11  ?

De même, dans une société moderne, l’argent est la contrepartie indirecte du travail en donnant accès aux biens de consommation ; dans une société d’autosubsistance par contre, ces biens étaient le fruit direct du travail (culture de la rizière, construction de la maison, tissage des vêtements, etc.). S’il était possible alors de partager le logement et les habits, le riz et le manioc, l’argent, lui, n’a pas de substitut – et les limites de l’endettement sont rapidement atteintes. Du coup, l’édifice de la solidarité traditionnelle s’effondre. Mais les mentalités, elles, n’ont pas intégré l’économie marchande : en politique, en affaires ou dans le quotidien, l’argent ne se gagne pas, il se prend. On en est encore à l’économie de cueillette…

Au-delà du temps et de l’argent, se pose alors la question du développement lui-même. Les sociétés européennes ont mis des siècles à se développer. Aujourd’hui, la mondialisation impose aux autres un « rattrapage » qui ne laisse pas le temps nécessaire aux changements mentaux et sociaux. Si l’Asie et l’Amérique latine font preuve d’une forte capacité d’adaptation, l’Afrique et Madagascar restent à la traîne, en raison sans doute de blocages culturels et de l’absence de toute expérience historique de l’État.

L’implication des Églises

Comment, dans la société malgache d’aujourd’hui et de demain, valoriser l’homme et son travail ? Si les cadres juridiques existent, les structures de mobilisation et de conscientisation sont inexistantes. Comment promouvoir le travailleur et son travail avec des syndicats déliquescents ? Et comment lutter contre l’exploitation du travail humain par les structures étatiques ou privées, ecclésiales ou domestiques, lorsque la solidarité traditionnelle se rétrécit jusqu’à devenir un alibi et dégénère en parasitisme ? Chacun le sait mais personne ne le reconnaît, la pratique archaïque et intéressée du fihavanana (solidarité, relations sociales sur le mode familial) empêche les personnes et les familles de devenir autonomes par leur seul travail. Les changements culturels sont au cœur de l’évolution de la société malgache, et c’est sur eux qu’il faudra faire porter l’effort.

D’où l’interpellation des Églises chrétiennes, face à la carence de l’État, des corps intermédiaires et de la société civile. Elles ont l’influence et la crédibilité pour sauver les valeurs traditionnelles en déshérence, et pour les adapter au monde moderne. Sur le plan personnel, cela implique d’abord de se prendre en charge soi-même et d’acquérir son autonomie dans le groupe ; permettre l’accès à plus d’éducation, de santé et d’hygiène ; favoriser la revalorisation du travail, la maîtrise du temps et le maniement de l’argent ; et aboutir enfin au respect de la parole donnée et à une meilleure confiance en l’autre.

Sur le plan collectif, la société de demain se forge déjà dans les quartiers périphériques des villes, où s’entassent ceux qui ont choisi l’exode rural pour une vie meilleure. Estimé aujourd’hui à 30 %, le taux d’urbanisation à Madagascar devrait doubler d’ici une trentaine d’années : des millions de personnes seront-elles indéfiniment condamnées à survivre au jour le jour, dans la précarité du « secteur informel » et dans l’insécurité des bidonvilles ? Autant de défis qui ne seront relevés ni par les investissements étrangers, ni par la compassion des humanitaires. Mais par un lent remodelage des mentalités, qui sera bénéfique à condition que de nouvelles valeurs rénovent et dynamisent celles que la tradition est en train de perdre. Accompagner cette mutation est par excellence une tâche ecclésiale. Cela suppose des Églises proches de la population et lucides sur l’évolution sociale.

Les conditions du travail à Madagascar seront lentes et difficiles à améliorer. Raison de plus pour ne pas se tromper de combat et s’y consacrer dès à présent.



1 /  Voir Fehezan-dalana meifehy ny asa - Code du Travail, Antananarivo, Foi et Justice, 2005, 128 pages. Et Statut général des fonctionnaires, 2004, 40 pages.
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2 /   Madagascar Tribune, 4 juin 2008.

3 /   Idem, 25 mars 2005.

4 /   Idem, 1 er juillet 2008.

5 /   Madagascar Tribune, 8 mars 2008.

6 /  Abréviation usuelle de Antananarivo.

7 /   Madagascar Tribune, 2 février 2008.

8 /   Madagascar Tribune, 9 septembre 2008.

9 /   Madagascar Tribune, 24 octobre 2008.

10 /   Madagascar Tribune, 17 octobre 2007.

11 /  Øyvind Dahl Signes et signification à Madagascar. Des cas de communication interculturelle, Présence africaine, 2006, p. 103 .


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