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Dossier : Droit à la santé
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Bioéthique, les normes et le discernement


Resumé A l’occasion de la révision des lois de bioéthique, un questionnement sur le rôle de la norme, cadre essentiel mais qui ne doit pas tout prévoir.


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La réflexion éthique n’a pas pour but d’apporter des réponses, mais d’expliciter de façon méthodique les questions que nous nous posons, avec l’espoir de gagner ainsi davantage de discernement et de pertinence dans les décisions que nous prendrons.

Trois registres de questions

La médecine et la science ouvrent plusieurs registres de questionnements pour lesquels nous avons besoin d’une réflexion éthique : dans la relation au malade, des questions quant à notre responsabilité et à notre sollicitude ; dans notre conception du soin et notre combat contre la maladie, la question du progrès de la science et de l’humain ; enfin, en tant que pratique bénéficiant d’un financement socialisé, la médecine nous confronte à une concurrence entre d’une part la sollicitude pour autrui et d’autre part la protection du Bien commun.

De ces trois registres de questionnements médicaux, c’est le deuxième, celui de la relation au progrès scientifique, qui est l’objet de la réflexion à propos de la révision de la loi dite de « bioéthique » – un terme appliqué spécialement à la recherche des normes susceptibles de limiter l’autonomie de la recherche biomédicale.

Qu’y a-t-il de nouveau depuis cinq ans ? La perspective de la révision de la loi de 2004 impose certaines questions préalables :

- les arguments qui soutiennent l’interdiction du clonage et de la recherche sur l’embryon et les cellules embryonnaires sont-ils toujours considérés comme valides ? Il est probable que les principes qui ont guidé le législateur en 2004 n’ont pas substantiellement changé ;

- les arguments qui soutiendraient l’autorisation de la recherche ont-ils progressé ? De nouvelles questions nous sont posées par la recherche et le progrès médical.

Dans ce contexte, faut-il maintenir l’équilibre choisi par le législateur en 2004 entre, d’une part, la norme collective de l’interdiction et, d’autre part, la porte laissée ouverte au progrès de la recherche, grâce au régime de la dérogation dont la gestion a été confiée à l’Agence de Biomédecine ?

Bénéfice individuel ou bien commun ?

On a pu parfois présenter le débat sur l’interdiction du clonage comme un débat opposant d’un côté les tenants du Bien commun, exigeant un encadrement prudent de la science, et de l’autre les tenants du bénéfice individuel supérieur du patient, au nom duquel il faut tout tenter pour triompher de la maladie.

Ce débat opposant la logique du bénéfice individuel du malade à celle du bien commun traverse tout le champ de la santé (comme l’a bien montré Paul Ricœur dans sa préface au Code de déontologie médicale). Il est important lorsque la nécessité de protéger l’efficience du financement solidaire de notre système de santé est décrite comme contradictoire avec l’éthique individuelle de la relation soignant/soigné. Pourtant, cette contradiction, si souvent invoquée, n’est qu’apparente. La nécessité de soigner du mieux qu’il est possible et celle d’allouer de façon optimale les ressources sont deux impératifs d’égale pertinence au plan éthique. En effet, l’impératif de soigner est certes un impératif catégorique pour chacun d’entre nous, mais il serait immoral que les ressources allouées aux soins d’un malade entravent la possibilité d’en soigner dûment un autre, si ce choix n’était pas explicité et collectivement mûri. Ce débat éthique invite aujourd’hui à construire des raisonnements pour discerner la meilleure façon de concilier logique individuelle et logique collective.

Un discernement plus nuancé s’impose. Ainsi, dans le débat sur l’interdiction de la recherche sur les cellules embryonnaires, opposer le principe du meilleur soin individuel possible au principe de la protection prudente du Bien commun, c’est manquer de discernement. À un conflit de principes, il convient de préférer un discernement au cas par cas, comme l’a permis le législateur à travers le dispositif dérogatoire qu’il a mis en place.

Les faits et les normes

En médecine et en science, les pratiques devancent bien souvent les normes qui permettent de les juger. Deux débats corrélatifs sont restés dans les mémoires : le prélèvement d’organes pour des greffes et la définition médicale de la mort (cardiaque ou cérébrale). Entre 1963 et 1968, de nouvelles normes ont été reconnues puis adoptées par la loi pour la mise en œuvre de ces nouvelles pratiques.

Car une pratique nouvelle oblige la collectivité à réviser ses normes de jugement, dès lors que la perspective de pouvoir sauver autrui est en cause. Les frontières du droit évoluent de fait avec les progrès de la médecine. Et un principe semble émerger : « sauver autrui » est un devoir qui se place au-dessus des lois existantes. Le salut des patients serait la « loi suprême » (Cicéron, «  Salus populi suprema lex est »).

Cela signifie-t-il que l’on verse dans un relativisme utilitariste ? Faut-il considérer que la médecine et la science, dès lors qu’elles ont pour finalité la valeur suprême du salut d’autrui, sont au-dessus des lois morales et du droit positif qui protège le Bien commun ? Et faut-il déplacer l’interdit collectif au gré du possible scientifique et des bénéfices individuels qu’il promet ?

Pour certains, il serait possible de répondre « oui » à ces questions, au nom de l’intérêt supérieur du malade, et de juger qu’il « convient de tout tenter pour sauver autrui ». Un tel argument s’oppose à la volonté de fixer des interdits à la recherche thérapeutique. La noblesse de la finalité se communique ainsi aux moyens qu’elle mobilise : tout moyen mobilisé à la seule fin de sauver autrui devient justifié, fondé, moralement inattaquable. C’est la logique utilitariste : aucun principe n’est intangible et toute règle peut être sacrifiée sur l’autel de la perspective de produire un plus grand bonheur pour tous.

Or le législateur a clairement récusé cette logique. Il s’est fait en cela l’écho de notre société. Un certain nombre de principes ont été convoqués pour asseoir l’interdiction du clonage et de la recherche sur l’embryon. Ces arguments n’ont pas connu de modification substantielle à l’heure de la révision de la loi.

L’intérêt de la dérogation

En réalité, la spécificité de ce débat est que précisément il n’a pas à engager de réflexion opposant le principe de l’intérêt suprême du malade au principe de prudence humaniste collective que le législateur a entériné dans la loi. S’agit-il de sauver autrui, de tenter de le sauver, de rechercher ce qui permettrait de le sauver ?

En effet, le point le plus important dans ce débat est bien que rien ne prouve aujourd’hui que la liberté de la recherche sur les cellules embryonnaires est nécessaire au bénéfice suprême du malade. L’axiome selon lequel tout doit être fait pour triompher de la maladie n’a pas à être invoqué à propos d’une technique pour laquelle il n’existe aucune preuve qu’elle soit porteuse des promesses qu’on lui prête et – pire, qui pourrait en outre s’avérer porteuse de risques autant que de bienfaits !

On se trouve donc dans une situation différente de celle de la greffe d’organe, ou même de la redéfinition de la mort cérébrale qui ouvrait cette technique à un plus grand nombre de patients : la technique avait fait ses preuves même si elle n’était pas autant maîtrisée qu’aujourd’hui.

Si l’on considère que les normes morales peuvent évoluer avec le progrès scientifique, un dispositif juridique permet d’accompagner cette évolution sans fragiliser pour autant l’importance des valeurs communes : celui de la dérogation, tel que l’a choisi le législateur en 2004. Trois notions sont fondamentales pour la réflexion : la norme, l’autonomie, et le dialogue ou, mieux, la transparence. Notre modèle français consiste en effet à consacrer des normes par voie législative, tout en laissant une marge d’autonomie aux acteurs à travers la dérogation. II faut le reconnaître : le droit, les règles et les lois ne sauraient jamais tout prévoir, dans un monde en rapide mutation. Elles sont donc parfois soumises à dérogation pour rétablir du discernement lorsque les situations l’exigent.

La responsabilité confiée à l’Agence de la Biomédecine

C’est l’Agence de la Biomédecine qui permet en France de discuter des dérogations possibles et assume cette fonction de discernement pragmatique. Dotée d’un conseil d’orientation sociétal à côté de son conseil médical et scientifique, elle permet de réguler au quotidien l’articulation concrète entre les normes consacrées par la loi et les besoins constamment innovants du progrès scientifique. Elle favorise dans ce but le dialogue, à la fois au sein de ses instances mais aussi en préparant les États généraux. Elle garantit la transparence, récusant les promesses de guérison miraculeuse. Leurrer le citoyen serait une faute. À ce titre, la confusion due à la terminologie mérite d’être levée : on parle de clonage thérapeutique alors que le clonage n’est pas thérapeutique, on parle de médecine régénératrice alors qu’il s’agit d’une médecine réparatrice. Bien plus, à l’heure actuelle, on ne peut parler en ce domaine ni de médecine ni de soin, mais bien de connaissance.

Les normes ne sauraient se substituer aux qualités du discernement autonome, et il importe de veiller à ce qu’elles ne le stérilisent pas. Il importe de redonner une place à l’intelligence humaine, de ménager un espace pour l’autonomie de l’homme, articulé avec l’importance des normes et des valeurs partagées. Ces valeurs partagées doivent être débattues : l’organisation d’États généraux confiée à l’Agence de Biomédecine va dans ce sens, en favorisant la diffusion d’informations et de valeurs qui permettront d’affiner un discernement collectif.


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