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Le juge face au directeur


Resumé "Complet!" Combien de directeurs de prisons voudraient mettre ce panneau à la porte des maisons d'arrêt ! Pour prévenir la récidive, il faut une vraie prise en charge des personnes détenues. En particulier, une bonne collaboration - où chacun garde son rôle - avec le juge de l'application des peines.

Le juge de l’application des peines et le directeur d’établissement ne peuvent s’offrir le luxe d’une confrontation. Mais parfois, la pédagogie est nécessaire pour que les décisions du Jap soient comprises.

La réalité statistique de l’espace carcéral s’énonce en quelques chiffres 1 : au 1er novembre 2007, la France compte 64 461 détenus dont 44 415 en exécution de peine : les « autres » étant des prévenus détenus 2 ; à la même date, 12 631 détenus sont en surnombre alors qu’ils n’étaient « que » 9 780 au 1er janvier 2007. Dans ce contexte de surpopulation, 4 831 de l’ensemble des condamnés en cours d’exécution de leur peine bénéficient d’un aménagement 3 décidé par un juge de l’application des peines soit 10,3 % des détenus 4.

Obéir au Code de procédure pénale

Le juge de l’application des peines ne connaît que de situations individuelles et demeure indépendant de toute hiérarchie dans sa prise de décision. Les impératifs « gestionnaires » ne le lient pas même si, dans la réalité, il a le nez collé sur les statistiques de « son » établissement dont il prend le pouls en permanence. Aucun objectif de « rendement » ne peut contraindre le magistrat. Ses seuls « impératifs catégoriques » sont fixés par le code de procédure pénale 5 : éviter les sorties sèches et tenir compte de l’évolution du condamné, prévenir la récidive, prendre en compte les intérêts des victimes, assurer l’insertion des condamnés.

Le juge de l’application des peines ne peut pas s’opposer au transfert d’un détenu décidé par l’administration pénitentiaire même s’il estime que ce départ est préjudiciable à l’élaboration d’un projet d’aménagement ou, par exemple, à l’exécution d’une permission de sortir.

Les relations entre l’administration pénitentiaire et le juge de l’application des peines s’inscrivent au cœur de cette situation. Schématiquement, on retiendra que « l’administration pénitentiaire » recouvre l’établissement pénitentiaire et le service pénitentiaire d’insertion et de probation. Les liens avec les travailleurs sociaux du service pénitentiaire font l’objet d’une organisation assez détaillée 6. Si le magistrat n’est plus le supérieur hiérarchique des conseillers d’insertion et de probation, il lui appartient de donner des instructions particulières concernant le suivi d’un dossier ou encore de fixer des orientations générales, notamment en matière d’aménagement de peine. En revanche, les textes applicables aux rapports institutionnels avec le directeur d’établissement ne forment qu’un maillage assez lâche. La disposition, essentielle est celle qui fait du juge de l’application des peines le garant des conditions de détention 7 de l’établissement pénitentiaire qu’il doit visiter au moins une fois par mois en principe. De même, il doit, au moins une fois par an, examiner la situation des détenus ayant vocation à bénéficier d’une libération conditionnelle, en l’absence même de toute demande 8. A côté de ces obligations relevant de la vie de l’établissement en général, certains textes prévoient des « points de contact » plus spécifiques entre le juge et le directeur. Par exemple, lorsqu’un détenu bénéficiaire d’une mesure d’aménagement 9 vient à manquer à ses obligations, le directeur peut décider de le « retenir » à l’établissement : mais la procédure impose alors au juge de l’application des peines de statuer sur l’éventuel retrait de la mesure dans le délai de dix jours 10. Le directeur peut ainsi s’immiscer dans l’aménagement de la peine. Au quotidien, le lien demeure plus étroit, institutionnellement parlant, avec les services du procureur de la République, sollicités par l’établissement en cas de suicide, d’évasion ou de mouvements collectifs 11.

Au-delà de ces aspects formels, la qualité des relations entre le juge de l’application des peines et le directeur sera fonction – en dehors de la question de leurs personnalités respectives – de plusieurs paramètres :

− la Maison d'arrêt, sa surpopulation et la rotation des effectifs détenus pour de courtes périodes 12 n’appellent pas la même approche que la Maison centrale, son numerus clausus et ses condamnés à de longues peines 13;

− la « prison des villes » et la « prison des champs » imposent des contraintes différentes pour les familles (présence ou non de transports en commun), pour les perspectives d'aménagement (proximité ou éloignement des emplois, des centres de cure…) ;

− la région parisienne et le turn over rapide des surveillants ou des conseillers d’insertion n’entraînent pas les mêmes pratiques professionnelles que les établissements de « province » réellement choisis par les personnes qui y travaillent.

Un environnement commun

Le juge de l’application des peines et le directeur d’établissement ne peuvent s’offrir le luxe d’une confrontation. Leur parcours universitaire est similaire – le plus souvent juridique –, et ils partagent une même culture. D’ailleurs, la formation initiale des magistrats et naturellement celle des futurs juges de l’application des peines comportent de nombreuses passerelles vers le monde pénitentiaire 14. Finalement, chacun des acteurs intervient dans un univers commun sans heurts le plus souvent. En revanche, leur conception des enjeux est variable. A titre d’exemple, alors que le décret de grâce, dont la pratique a cessé en 2007, était accueilli avec soulagement par tout directeur d’établissement qui y trouvait le moyen de faire baisser la surpopulation carcérale, le juge de l’application des peines pouvait s’interroger sur cette mesure non différenciée, contraire au principe d’individualisation de la peine et susceptible même de mettre à mal une démarche d’aménagement de peine : à quoi bon fournir des efforts pour mériter une sortie anticipée obtenue de droit… ?

Mais c’est aussi l’environnement juridique commun au directeur et au juge qui est particulièrement changeant et il est parfois difficile de s’y retrouver. Ainsi, la dernière loi applicable en la matière, en date du 10 août 2007, a notablement élargi les hypothèses de recours obligatoire aux expertises psychiatriques pour la plupart des demandes d’aménagement de peine : en raison de la pénurie de praticiens de cette spécialité, les délais pour obtenir les rapports d’expertise ont entraîné, de fait, une réduction drastique de certaines mesures et notamment des permissions de sortir. Le décret du 16 novembre 2007 a, dans un mouvement inverse, réduit le caractère obligatoire du recours à ces mêmes expertises « afin que cette exigence ne constitue pas un frein injustifié à ces aménagements, et notamment aux permissions de sortir devant être accordées pour les fêtes de fin d’année » 15. Cette disposition permettra à nombre de détenus d’être présents en famille à Noël et, corrélativement, pourra faire baisser une éventuelle pression en détention. Il devient néanmoins complexe pour tous les acteurs en la matière mais aussi pour les détenus de comprendre pourquoi la situation d’un condamné, inchangée, nécessite une expertise obligatoire en août et plus en novembre…

Les échanges les plus importants, du point de vue du magistrat, entre le juge de l’application des peines et le directeur ont lieu à l’occasion de deux moments forts de la vie de l’établissement.

Tout d’abord, la Commission d’application des peines est chargée de donner un avis qui éclairera le juge de l’application des peines avant qu’il statue sur les réductions supplémentaires de peine, les permissions de sortir, les retraits de « crédit de peine » et les autorisations de sortie sous escorte. Auprès du juge de l’application des peines, le procureur de la République et le directeur de l’établissement sont membres de droit de cette commission. Mais nombre d’autres acteurs essentiels y sont conviés par le magistrat : les conseillers d’insertion, le chef de détention, le représentant du corps enseignant ou du secteur médical…

Les questions qui y sont débattues sont, pour certaines situations, l’occasion de voir se dessiner des logiques différentes.

− Le retrait du crédit de peine sanctionne le mauvais comportement d'une personne placée sous écrou, ce qui concerne les détenus au premier chef mais aussi les bénéficiaires d'une semi-liberté, d'un placement sous surveillance électronique ou d'un placement à l'extérieur. Le plus souvent, c'est le directeur qui saisit le juge de l'application des peines d'une demande de retrait total ou partiel de ce crédit. La discussion qui s'engage montre que ce qui est « grave » ne recouvre pas la même réalité selon que l'on est procureur de la République, directeur d'établissement ou conseiller d'insertion, selon qu’il s’agit d’un « simple » détenu ou du porteur d’un bracelet électronique…

− Les réductions supplémentaires de peine viennent, en principe, « récompenser » des efforts sérieux de réadaptation sociale : cette notion ne recouvre pas la même « légitimité » pour, schématiquement, un travailleur social attentif par exemple à la préparation d'un projet de sortie et pour le chef de la détention qui souhaite valoriser le travail du détenu.

− Les permissions de sortir font l’objet d’un même débat. Le souci de la « respiration » qu’elles apportent peut être plus important pour l’établissement que leur utilisation pour préparer la sortie.

Ces exemples montrent que si la décision du juge de l'application des peines n'a pas à être négociée, il arrive qu'une certaine pédagogie soit nécessaire.

Outre les décisions prises après avis de la Commission d'application des peines, les débats contradictoires sont l’occasion, dans certains établissements, pour le Directeur de donner l’avis du représentant de l'administration pénitentiaire sur la qualité d’un projet d’aménagement de peine. Cette procédure est particulièrement importante dans la vie du détenu puisqu’elle s’inscrit dans le processus à la suite duquel sera accordée ou rejetée la semi-liberté, la libération conditionnelle…

L'évolution juridique récente tend à transférer une partie des compétences du juge de l'application des peines vers l'administration pénitentiaire. Plusieurs pays ont d’ailleurs mis en place des mécanismes d'aménagement de peines sans juge. Il n'en reste pas moins, d'une part, que la présence du magistrat protège d’une approche purement gestionnaire de la peine et, d'autre part, que la redistribution des compétences en la matière constitue un retour en arrière 16.

Ainsi, en matière d’octroi de semi-liberté, la Cour de cassation a longtemps estimé que, quels que soient les moyens (et les difficultés) de l’administration pénitentiaire, force devait rester à la décision de justice : si un juge de l’application des peines estimait nécessaire de placer un condamné sous le régime de la semi-liberté, il appartenait à l’établissement de tout mettre en œuvre pour permettre à la décision judiciaire d’exister. Cette hypothèse – très rare en pratique – désignait la position du magistrat comme devant s’imposer à l’occasion d’un éventuel rapport de forces. Un avis du 21 novembre 2005 est revenu sur cette position. Au nom d’un principe de réalité, le juge de l’application des peines doit désormais s’adapter et, à la limite, si tous les quartiers ou centres de semi-liberté venaient à fermer, plus aucune mesure de ce type ne pourrait exister. Dans le même ordre d’idées, le récent décret du 16 novembre 2007 (publié un dimanche et d’application immédiate dès le lundi) est venu offrir au juge de l’application des peines la possibilité de déposer entre les mains de l’administration pénitentiaire certaines de ses compétences en matière de permission de sortir : désormais, dans quelques hypothèses encore limitées, le magistrat peut fixer le principe de la permission de sortir et laisser au directeur du service pénitentiaire d’insertion et de probation avec l’avis du directeur d’établissement le soin d’en fixer les modalités concrètes. Rien n’est dit du régime de responsabilité si survient un incident pendant lesdites « modalités concrètes » (on peut penser par exemple à l’absence d’interdiction pour l’auteur des faits de rencontrer sa victime).

Symptômatique de ce renversement de tendance, un prochain colloque sur « les nouvelles figures de la dangerosité » 17, suscité notamment par « les exemples très médiatisés de crimes commis par des délinquants récidivistes remis en liberté » sera organisé par l’Ecole nationale de l’administration pénitentiaire – dont l’excellence ne saurait être discutée –, et non par l’Ecole nationale de la magistrature, pourtant intéressée au premier chef par un tel sujet dès lors que, d’un point de vue médiatique, ces événements entraînent toujours la remise en question des jugements des magistrats et ignorent l’environnement dans lequel leurs décisions s’inscrivent…

Finalement, quel est l’avenir de la relation du juge de l’application des peines avec le directeur d’établissement ? Après avoir atteint un certain équilibre, des choix politiques récents semblent imposer une redéfinition de l’activité de chacun. En effet, la seule application des peines planchers amènera plus d’incarcérations de longues peines : la surpopulation pénale ne peut que s’en aggraver. Dans le même temps – contradictoirement diraient certains –, le gouvernement a le souci de favoriser les aménagements de peine : paraphrasant un slogan récent, il faut incarcérer plus pour aménager plus. Comment faire ? Faut-il assurer aux juges de l’application des peines les moyens de l’individualisation de chaque peine ou poursuivre une démarche essentiellement quantitative reposant sur l’administration pénitentiaire ? La prochaine loi pénitentiaire devrait donner des éléments de réponse.



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1 / Les données chiffrées sont issues de Arpenter le champ pénal, n°64 19/11/07 – Lettre d’information sur les questions pénales et criminologiques, sous la direction de Pierre V. Tournier.

2 / En attente d’un premier jugement ou ayant exercé un recours contre une condamnation.

3 / Placement à l’extérieur, semi-liberté et placement sous surveillance électronique à l’exception de la libération conditionnelle.

4 / Les « prévenus », non condamnés pour simplifier, ne peuvent en bénéficier.

5 / Article 707 du Code de procédure pénale.

6 / Article D.576 et suivants du Code de procédure pénale.

7 / Article D.176 du Code de procédure pénale.

8 / Article D.523 du Code de procédure pénale.

9 / Hors libération conditionnelle.

10 / Article D. 124 du Code de procédure pénale.

11 / En pratique, le juge de l’application des peines est tenu informé de toutes ces situations.

12 / La durée de la peine en Maison d’arrêt est de quatre à six mois.

13 / Y compris de réclusion criminelle à perpétuité.

14 / Pour ma part, ce parcours s’est traduit par une semaine au service pénitentiaire d’insertion et de probation de Nanterre, deux semaines au sein de la maison centrale de Poissy, la découverte de l’Unité de Malades difficiles de Cadillac, une journée d’échanges à l’Ecole nationale de l’administration pénitentiaire à Agen…

15 / Circulaire Crim-07-15/E8-20.11.07 du 20 novembre 2007.

16 / En effet, depuis la loi du 15 juin 2000, la plupart des réformes allaient dans le sens du renforcement de la présence judiciaire.

17 / « Les nouvelles figures de la dangerosité », colloque 15, 16 et 17 janvier 2008, Enap.


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