Do not follow this hidden link or you will be blocked from this website !
Logo du site

Conditions de l'autonomie


Resumé Les universités aussi veulent être plus compétitives ! Mais la vraie compétitivité suppose des choix assumés de domaines d’excellences : dans la pédagogie, dans des filières précises de recherche, etc.

La loi ne fera pas tout ! Aux universités de repenser la gestion de leurs ressources humaines, leur pédagogie, leurs niches d’expertise, les initiatives porteuses d’avenir pour leurs étudiants…

La loi relative aux « Libertés et responsabilités des universités » votée en juillet 2007 renforce l’autonomie des universités. Elle est considérée unanimement comme un progrès pour améliorer le pilotage du système d’enseignement supérieur et de recherche français. Mais toutes les parties prenantes à sa mise en œuvre s’accordent aussi pour dire qu’elle est une simple étape pour restaurer la compétitivité des universités françaises. Elle ne dispensera pas l’État et les collectivités locales de leur allouer des ressources financières comparables à celles dont bénéficient leurs concurrentes étrangères.

Rappelons les modifications les plus importantes. Elles concernent la constitution des conseils d’administration, le renforcement des responsabilités des présidents et de leurs CA en matière budgétaire et de recrutement de personnel, l’allongement possible du mandat du président, qui passe d’une fois cinq ans à deux fois quatre ans.

Le problème crucial de la sélection des étudiants a été évacué de la loi. Il sera évidemment essentiel de l’aborder un jour mais cela ne pourra se faire que lorsque la société civile partagera un constat lucide sur les causes de l’échec scolaire massif et des remèdes à y apporter. On pourrait aussi évoquer l’intérêt de quelques ouvertures supplémentaires qui n’ont pas été retenues comme la possibilité de choisir un président qui ne soit pas issu de l’établissement et qui ne soit pas forcément un universitaire.

Pour le débat actuel sur le devenir des universités en France, il nous paraît plus intéressant d’approfondir ce qu’est une université pour caractériser certaines conditions de son autonomie qui ne relèveront jamais de la loi. Pour cela, osons nous interroger sur ce que la société civile attend d’une université de plein exercice en France.

On voudrait qu’elle soit un établissement d’enseignement supérieur pluridisciplinaire compétitif au niveau international dans le domaine de la formation (sollicité par de bons étudiants étrangers en formation initiale et par des salariés en quête de possibilités de formation continue) et qui produise une recherche fondamentale de qualité tout en étant capable d’être un partenaire des entreprises pour des recherches industrielles finalisées.

À partir de cette définition, il est possible d’évaluer si une université est vraiment une université de plein exercice ou si son rôle est plus limité. Force est de constater qu’il y a sans doute abus de langage en qualifiant du terme d’université certains établissements qui ne remplissent pas ces critères. Certains n’attirent pas d’étudiants européens et se contentent d’accueillir comme étudiants étrangers des jeunes originaires de pays émergents. D’autres ont une activité de formation continue faible. D’autres encore ont une production scientifique restreinte. Certains ont un volume de contrats de recherche avec le secteur productif limité à la portion congrue. Enfin, les établissements auxquels des décisions politiques ont donné comme objectif prioritaire d’accueillir des jeunes issus de leur environnement régional ont du mal à être plus que des universités de proximité qu’il vaudrait mieux appeler collèges universitaires à vocation régionale. Mentionnons aussi, pour être exhaustifs, les soi disantes universités d’entreprises qui se sont parées abusivement de ce qualificatif alors qu’elles sont en fait des écoles internes spécialisées dans la formation continue.

Gérer les ressources humaines

Si une université est compétitive, fréquentée tant pour ses formations que ses activités de recherche, une bonne partie de sa compétitivité est liée à la qualité et l’efficacité de ses enseignants-chercheurs. Cette qualité et cette efficacité sont le fruit de la qualité des procédures mises en œuvre pour leur recrutement. Mais elles sont tout autant le résultat des méthodes de gestion qui existent pour suivre leurs activités. Quitte à repenser de fond en comble la sacro-sainte autonomie de l’universitaire, ceci implique que chacun soit obligé non seulement de rendre compte du partage effectif de son temps de travail entre les différentes activités qu’il assure, mais aussi de fournir des prévisions sérieuses sur celles à venir pour affiner les efforts de prévision budgétaire.

C’est dire qu’une université compétitive se doit d’avoir une gestion exemplaire de ses ressources humaines. Beaucoup d’efforts ont été faits récemment. Ils butent cependant sur deux aberrations administratives.

D’abord, il faut rapidement tordre le cou au principe selon lequel tout enseignant-chercheur consacre 50 % de son temps à la formation et 50 % à la recherche. Avec la mise en place dans l’établissement d’une comptabilité analytique, il devient possible d’évaluer le coût complet du temps de travail de chacun puis d’en exiger le financement au juste prix par tous les opérateurs qui font appel à l’université.

Ensuite, pour avoir une gestion des ressources humaines digne de ce nom, il faudra pouvoir, au niveau de l’établissement, apprécier la totalité des activités des enseignants et des chercheurs par un système d’évaluation qui permette de promouvoir au mérite les meilleurs au sein de l’établissement : le souhaiter, c’est demander que le système d’évaluation actuel, fondé uniquement au niveau national sur les résultats de recherche académique estimés en nombre de publications, soit revu en proposant des procédures radicalement nouvelles de gestion des carrières.

Il est en effet tragique que l’excellence de la pédagogie d’un enseignant-chercheur ne soit pratiquement pas un facteur important de sa promotion et que, dès lors, la qualité des formations d’une université ne soit pas un facteur essentiel dans l’évaluation de ses performances ! C’est ainsi que les divers classements publiés des meilleures universités dans le monde ne se fondent pratiquement que sur des critères de recherche (nombre de prix Nobel dans le corps enseignant, nombre de publications scientifiques, etc.). Or le premier service que le citoyen attend d’une université est qu’elle forme du mieux possible les étudiants qu’elle accueille !

Autonomie dans les choix de formation

Quelles sont aujourd’hui les caractéristiques essentielles d’une formation réussie ? C’est d’abord une production à cycle de vie très long : il s’agit de former à l’âge de 20 ans un étudiant qui devra acquérir suffisamment de capacités d’adaptation pour, vingt ans après, au milieu de sa vie professionnelle, avoir encore un emploi intéressant jusqu’à sa retraite à 65 ans. Les choix pédagogiques d’aujourd’hui requièrent d’être posés en fonction de la vision que nous avons de l’emploi dans vingt ans, voire quarante ans. Quel sera-t-il ?

Dans la perspective d’une concurrence mondiale à venir pour les emplois entre nos jeunes français et les étudiants chinois, indiens ou brésiliens du même âge, il est probable que les activités qui seront, de facto, protégées pour nos jeunes compatriotes seront soit des activités qui demandent une proximité forte avec des clients au sens large – avant, pendant ou après des actes de vente –, soit des emplois qui supposent une capacité de création ou d’innovation.

Si on adhère à cette vision, il importe d’imprégner toutes nos formations présentes d’initiatives pédagogiques tendant à développer des compétences de savoir être en termes soit de capacités d’adaptation au client d’ordre linguistique, culturel et psychologique, soit de créativité et de gestion de projet. Ceci implique de mettre l’accent sur des formations par projet, demandant aux étudiants à la fois travail coopératif en groupe, initiative et création originale.

Parler de compétences, c’est insister sur le fait que les nouveaux programmes doivent être pensés en termes de compétences à acquérir et non plus de connaissances à transmettre. Une telle approche est devenue absolument nécessaire pour la mise en place de la validation des acquis de l’expérience en formation continue comme pour les reconnaissances d’équivalence de cursus à l’échelon européen. Mais au-delà, la formation d’un étudiant doit tenir compte du fait qu’à 20 ans, de plus en plus de jeunes ont un comportement d’adolescent prolongé, incapable de se projeter dans le futur avec un projet personnel et un projet professionnel clairs. En plus de formations professionnalisantes, des universités commencent à mettre en place des tutorats, si possible individualisés, pour accompagner les étudiants immatures dans la genèse d’un projet personnel et professionnel.

Il existe enfin un dernier espace d’autonomie dans le domaine de la formation qui est celui des usages possibles des technologies de l’information et de la communication en enseignement (Tice). De plus en plus d’étudiants ont à leur disposition un ordinateur portable, grâce auquel ils ont accès au web et aux bases de données scientifiques ou pédagogiques de l’établissement. Mais l’ordinateur portable n’est pas la seule prothèse électronique avec laquelle vivent les étudiants. Entre la radio, la télévision, le iPod, le téléphone mobile et tous les usages personnels de l’ordinateur, ils baignent dans un environnement de plus en plus dense de sollicitations numériques audiovisuelles entre lesquelles il leur est difficile de faire le tri. Dans cet environnement, leurs capacités d’attention, de mémorisation et de raisonnement sont transformées et ne correspondent plus à celles de leurs aînés que sont leurs enseignants. Il va devenir souhaitable que l’établissement universitaire fasse un véritable effort collectif pour observer clairement les avantages mais aussi les subversions mentales que toutes ces prothèses font naître de façon silencieuse mais très perverse.

La puissance publique peut encourager la recherche sur les véritables impacts de ces technologies numériques en tout genre pour ne pas laisser les établissements seuls face à la nécessité de faire ce bilan. Les modalités pédagogiques qui découleraient de ces observations pourraient avoir une influence profonde sur l’efficacité de leurs enseignements.

Autonomie pour chercher et innover

La recherche ! Voilà un terme plein d’ambiguïté qui entretient de graves malentendus. L’ambiguïté a été spécialement cultivée par le mouvement « Sauvons la recherche ! » qui s’est bruyamment manifesté durant les deux ans qui ont précédé la loi sur l’autonomie des universités. Son argumentation centrale peut se résumer ainsi. « Pour développer la richesse collective, l’emploi et le pouvoir d’achat de la population, il faut stimuler l’innovation qui aura de plus en plus d’importance demain dans la conception des biens et des services nouveaux produits par nos entreprises. Or l’innovation est le fruit de la recherche. Il faut donc augmenter les ressources financières consacrées à la recherche ! »

Cette argumentation vise bien sûr une augmentation des crédits des laboratoires publics mais elle repose sur l’ambivalence du mot « recherche ». Entre une recherche des universitaires, dont l’objectif est de produire des publications dans des revues savantes et des colloques scientifiques, et la recherche des entreprises dont le but explicite est de mettre au point des produits ou services innovants, il y a peu de points communs. L’innovation n’est pas forcément le fruit de la recherche mais le résultat d’efforts pour inventer, avec des technologies existantes ou à mettre au point, des biens ou des services qui répondent d’une manière originale à des besoins connus ou émergents de la société civile. Rappelons seulement que les bases de l’Internet ont été inventées non par des chercheurs en informatique mais par des physiciens du Cern qui avaient des besoins nouveaux de communication et d’archivage de leurs données expérimentales.

Cette distinction entre recherche universitaire et recherche finalisée industrielle doit être posée et maintenue dans la culture de l’université pour que soient clairs les objectifs d’innovation auxquels toute université doit consacrer une part significative de ses ressources. L’autonomie de l’université est de doser entre les multiples possibilités qu’elle peut avoir dans ce domaine. Mentionnons quelques initiatives qui se développent aujourd’hui :

l’importance accordée à une expérience industrielle comme critère de sélection des enseignants-chercheurs recrutés ;

l’existence dans l’organisation de l’université, à côté des laboratoires de recherche, d’» unités d’innovation » ayant leurs propres critères d’évaluation de performance ;

la création, sur des thématiques précises, de « laboratoires mixtes université-entreprises » comme certains établissements l’ont fait avec le concours du Cnrs ;

la mise en place, dans l’environnement de l’université, de moyens pour encourager la création de start-up par ses enseignants ou ses étudiants : capital d’amorçage grâce à des fonds d’investissement de proximité, pépinière d’entreprise, hôtel de projet, échange de personnel pour une durée limitée entre l’université et de grandes entreprises. La mise en place dans la loi de finances de 2008 du statut fiscal de « jeune entreprise universitaire » va dans ce sens ;

la participation active à la création puis à l’animation de pôles de compétitivité.

L’autre espace d’autonomie est relatif au choix des quelques domaines de compétence en recherche et en innovation dans lesquels l’université vise à l’excellence internationale. Dans la concurrence universitaire mondiale, la plupart de nos universités sont petites par les ressources financières et humaines dont elles disposent. Il leur faut donc faire un choix très difficile en identifiant les niches d’expertise pour lesquelles elles veulent être compétitives et auxquelles elles devront consacrer l’essentiel de leurs moyens en négligeant volontairement les autres domaines dans lesquelles elles pensent ne pas pouvoir concourir avec succès.

Pour assumer explicitement ce choix difficile des domaines d’excellence, l’équipe de direction doit affronter deux obstacles :

- La pression généralisée des collègues enseignants, qui considèrent tous que leur domaine de spécialité est essentiel. Pour répondre à cette pression, l’enjeu est de monter des projets de recherche ou d’innovation auxquels puissent participer le plus possible de représentants des différentes spécialités présentes dans l’établissement. La capacité à constituer des projets pluridisciplinaires relève de l’art du bouquet !

- La pression des grandes agences de recherche nationales et internationales qui publient des programmes-cadres indiquant leurs priorités thématiques. Par ces publications, ces organismes engendrent des phénomènes de grégarité, instituant des modes intellectuelles que la communauté universitaire essaye de suivre par opportunisme. Des domaines comme les technologies de l’information, les nanotechnologies ou les biotechnologies du génome ont le vent en poupe aujourd’hui et bon nombre d’universitaires sont tentés, pour trouver des crédits de recherche, de répondre aux appels d’offres richement dotés qui sont lancés dans ces domaines. Mais ils sous-estiment gravement que, ce faisant, ils s’introduisent sur un marché de la connaissance où règne une concurrence exacerbée à laquelle ne survivent que les meilleurs. Il vaut mieux proposer, après une analyse prospective autonome, des domaines de progrès qui semblent porteurs d’avenir, même s’ils sont ignorés des experts. Cela passe par la construction et la validation d’hypothèses d’évolution de la société civile et de ses déséquilibres dont personne ne parle aujourd’hui mais auxquels il faudra remédier demain quand ils seront avérés. Cette capacité d’anticipation se cultive patiemment.

Rechercher la qualité

Repenser les processus d’éducation pour former des jeunes capables de trouver et garder un emploi dans la durée, imaginer des domaines de recherche et de formation qui sortent des sentiers battus, ce sont finalement deux modalités complémentaires d’expression d’une stratégie que toute équipe de direction d’une université est appelée à construire. Stratégie signifie à la fois une vision à très long terme de la société civile à laquelle l’université se doit de rendre le service attendu d’elle, et aussi l’élaboration de méthodes, de projets et de processus qui permettent d’aller dans la direction de cette perspective.

Pour cela, il est une règle de conduite essentielle qui ne sera jamais codée dans la loi : dire ce que l’université veut faire et faire ce qu’elle a dit qu’elle fera. C’est la base même d’une recherche de la qualité dans la conduite de toute organisation humaine. Aussi est-il intéressant d’évaluer la capacité d’une université à honorer, dans les années à venir, l’autonomie qu’elle revendique à sa volonté manifestée en actes de développer une certification qualité aussi bien de ses processus de formation, de ses laboratoires de recherche comme de ses projets d’innovation en partenariat avec des entreprises.


Les plus lus

Les Marocains dans le monde

En ce qui concerne les Marocains, peut-on parler de diaspora ?On assiste à une mondialisation de plus en plus importante de la migration marocaine. On compte plus de 1,8 million de Marocains inscrits dans des consulats à l’étranger. Ils résident tout d’abord dans les pays autrefois liés avec le Maroc par des accords de main-d’œuvre (la France, la Belgique, les Pays-Bas), mais désormais aussi, dans les pays pétroliers, dans les nouveaux pays d’immigration de la façade méditerranéenne (Italie et ...

L’homme et Dieu face à la violence dans la Bible

Faut-il expurger la Bible ou y lire l'histoire d'une Alliance qui ne passe pas à côté de la violence des hommes ? Les chrétiens sont souvent gênés par les pages violentes des deux Testaments de la Bible. Regardons la Bible telle qu’elle est : un livre à l’image de la vie, plein de contradictions et d’inconséquences, d’avancées et de reflux, plein de violence aussi, qui semble prendre un malin plaisir à multiplier les images de Dieu, sans craindre de le mêler à la violence des...

Un héritage tentaculaire

Depuis les années 1970 et plus encore depuis la vague #MeToo, il est scruté, dénoncé et combattu. Mais serait-il en voie de dépassement, ce patriarcat aux contours flottants selon les sociétés ? En s’emparant du thème pour la première fois, la Revue Projet n’ignore pas l’ampleur de la question.Car le patriarcat ne se limite pas à des comportements prédateurs des hommes envers les femmes. Il constitue, bien plus, une structuration de l’humanité où pouvoir, propriété et force s’assimilent à une i...

Vous devez être connecté pour commenter cet article
Aucun commentaire, soyez le premier à réagir !
* Champs requis
Séparé les destinataires par des points virgules