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La Mous de La Forestière


Resumé Joseph Berreby est directeur de la maîtrise d’œuvre urbaine et sociale (Mous) de La Forestière, à Clichy-sous-Bois, en Seine-Saint-Denis. Il témoigne ici du travail quotidien d’une équipe chargée d’accompagner des familles face à leurs problèmes de logement et de relogement.

Projet - Vous êtes directeur d’une maîtrise d’œuvre urbaine et sociale (Mous). En quoi cela consiste-t-il, et comment êtes-vous arrivé là?

Joseph Berreby - Pour le dire très brièvement, je suis aujourd’hui responsable d’une équipe de travailleurs

sociaux (une intervenante sociale, un agent de développement, des médiateurs locaux) qui soutiennent la population de la résidence « La Forestière » dans l’attente d’un relogement dans le cadre du projet de rénovation urbaine de Clichy-Montfermeil. Mais cette simplification est abusive et je vais vous expliquer comment La Forestière a eu besoin de l’intervention d’une Mous.

Pour ce qui me concerne, je ne travaille à Clichy-sous-Bois que depuis 2003. Auparavant, j’étais directeur du service enfance jeunesse de la mairie de Bondy et travaillais donc déjà dans des quartiers d’habitat social. Mais j’étais attiré par l’urbain comme tel, car il a une influence énorme sur la vie des habitants. Pour prendre des termes d’informatique, je travaillais dans le soft et je voulais m’attaquer au hard. En parallèle, je suis d’ailleurs des cours à l’Institut d’urbanisme de Paris. L’association départementale de sauvegarde de l’enfance et de l’adolescence (Adsea 93), en charge de la Mous de la Forestière depuis sa création, en 1999, offrait un poste fin 2002; cela correspondait à mon souhait de travailler avec les habitants sur leur lieu de vie. En ce sens, j’aime ce travail qui prend les problèmes dans leur globalité.

Projet - Décrivez-nous la Forestière, que nous venons de parcourir, un lotissement qui aurait pu être agréable et qui laisse une impression de décrépitude inhabituelle en France.

Joseph Berreby - La Forestière est une résidence en copropriété, située en bordure de la forêt de Bondy,

presque à la limite de Montfermeil. Construite entre 1973 et 1976, elle compte 509 logements, alors que près de 800 avaient été prévus. En mars 1980, la construction fut déclarée achevée et une dalle de béton nue témoigne qu’une tour supplémentaire aurait dû être bâtie.

Pourquoi cet inachèvement? Dès le départ, le promoteur a rencontré des difficultés pour vendre les lots, car l’abandon du projet de l’autoroute A87 a maintenu le lieu dans une certaine relégation géographique. Un bailleur institutionnel a gardé 90 appartements, mais sans payer les charges de copropriété. Jusqu’à il y a cinq ans, en raison de la dévalorisation de la résidence, il était possible d’acheter un logement aux enchères (lorsqu’il y avait adjudication) à des prix dérisoires (50000 francs!). Je vous laisse imaginer les pratiques de quelques marchands de sommeil peu scrupuleux. Car le problème, c’est la dette de la copropriété – neuf millions d’euros : cela explique le niveau des charges qui s’élève à plus de 300 € par mois. Ne payent les charges que les 110 propriétaires occupants. Et vous avez constaté vous-même l’état de délabrement terrible du bâti.

Les statuts d’occupation sont aujourd’hui très différents : la plupart des habitants sont là parce qu’ils ne peuvent pas avoir accès au logement social. Il s’agit donc de parcours résidentiels inversés. Des Turcs, des Africains, réfugiés politiques, sont arrivés avec quelques économies. Ils ont acheté un logement, mais ensuite ils ne peuvent ni payer les charges, ni partir. D’autres sont en location ou sous-location, avec bail ou sans bail… La Forestière est un symptôme très voyant de la crise du logement social.

Projet - Que signifie habiter à la Forestière?

Joseph Berreby - C’est un cercle vicieux. Quand vous achetez un appartement, vous achetez aussi un prorata des parties communes. Ici, ni le principal bailleur ni les marchands de sommeil ne payent leur part des charges de copropriété depuis vingt ans. Des propriétaires ont tenté de revendre très vite et le taux de rotation des habitants a augmenté. Certaines familles modestes rentrées dans ce processus se retrouvent aujourd’hui avec un capital dévalorisé dont elles n’ont payé que les intérêts.

Les propositions actuelles qui entendent favoriser l’accès à la propriété par des prêts à taux zéro et par l’allongement de la durée d’endettement sont un leurre, un discours démagogique vis-à-vis de populations incapables de faire face aux obligations de la propriété.

Quant aux locataires, arrivés souvent par nécessité, ils s’estiment en transit; ils n’ont pas choisi de vivre ici et sont captifs de leur situation et parfois prisonniers de situations mafieuses de sous-location. L’habitat indécent ne favorise pas le vivre ensemble. Quelques-uns ne se sentent pas responsables de l’espace : nous venons de nettoyer les lieux communs avec la régie de quartier et vous voyez dans quel état ils sont déjà.

Projet - Dans quel état était la résidence quand l’Adsea 93 y est arrivée?

Joseph Berreby - Un véritable béton-ville! Les infiltrations d’eau par les toits et les balcons sont constantes; tous les parkings souterrains avaient été condamnés sur décision judiciaire, de même que tous les ascenseurs (dans chacune des quatre tours, nous avons obtenu qu’on en remette un en service dès 2000). Les balcons servent de pièce supplémentaire et bien sûr de grenier. Nous avons arraché une réhabilitation de certains bâtiments pourtant voués à la démolition en montrant la corrosion des tuyaux de gaz. La copropriété avait été mise sous administration judiciaire en 1997 car il n’y avait plus eu de comptes, ni de syndic, depuis plusieurs années. L’eau était régulièrement coupée.

À la demande des habitants, une enquête, menée par une assistante sociale de l’Adsea 93 qui travaillait aux Bosquets (Montfermeil) depuis 1993, proposa à la mairie de créer une maîtrise d’œuvre urbaine et sociale (Mous 1). En mai 1999, elle en a confié la responsabilité à l’Adsea 93, afin de comprendre un peu mieux ce qui se passait dans ce lieu et faire un plan de sauvegarde. La Mous a commencé en distribuant le courrier (il n’y avait plus de boîtes aux lettres) : cela a permis de connaître les habitants, de les situer et de recréer un lien avec eux. Elle a mis en place un groupe de parole de mères, et un réseau de femmes pour aider les familles face aux problèmes de la scolarité. Parallèlement, les pouvoirs publics ont usé du droit de préemption pour commencer à racheter peu à peu les logements, car il n’était pas question pour eux de réhabiliter un parc privé. Les habitants ont été associés (en comités de sages, avec des représentants des différents bâtiments, etc.) au projet de réhabilitation.

Mais en 2003, la Mous a dû mettre un terme à son action d’accompagnement de la réhabilitation et changer son mode d’intervention : le projet était abandonné! Ce changement nous a plutôt désorientés. Les habitants eux-mêmes ne comprenaient absolument rien à la situation. Nous avons dû rebondir très vite pour conserver notre légitimité vis-à-vis d’eux. Les problèmes techniques nous ont servi de médiation : à côté des actions d’animation socioculturelle vis-à-vis des jeunes, par exemple, nous nous sommes occupés du tri sélectif des déchets, action très visible.

Projet - Pourquoi la réhabilitation avait-elle été abandonnée?

Joseph Berreby - A l’examen de la situation globale de la zone de Clichy sous Bois/Montfermeil, le ministre Jean-Louis Borloo a décidé de soutenir le plus gros « projet de rénovation urbaine » (Pru) de France, qui passait par la démolition de la Forestière et le relogement de ses habitants. La petite société d’économie mixte qui rachetait pour réhabiliter a cessé son action. La mairie et l’État ont confié à l’Agence foncière et technique de la région parisienne (Aftrp) l’expropriation et l’aménagement nouveau. Au point où nous en étions, je pense qu’il fallait davantage de moyens et la convention Anru les donne. Plus on intervient tard, plus les moyens financiers doivent être lourds. Mais nous sommes toujours dans l’attente, même si la première pierre de 50 nouveaux logements est posée cette semaine.

Projet - Que fait la Mous actuellement?

Joseph Berreby - Pour le moment, elle est surtout un outil de gestion de l’attente, à la fois pour faire exécuter des travaux d’urgence dans les bâtiments et pour soutenir la population qui ignore quand elle sera relogée. Car le processus doit durer en principe six ans.

Le dispositif Mous est en même temps très souple : à La Forestière, il est assuré par une équipe pluridisciplinaire mandatée par la mairie. Une Mous n’est pas un service supplémentaire, mais un service d’exception, un facilitateur du projet urbain, à l’intersection entre les habitants d’un quartier et les pouvoirs publics. La Mous utilise des outils très divers, sociaux, éducatifs, culturels et économiques. C’est une démarche à géométrie variable qui a (en principe) un début et une fin. La Mous de la Forestière a une durée exceptionnellement longue et est appelée à se transformer au fur et à mesure du projet, en évoluant avec lui.

Aujourd’hui, nous faisons pour l’essentiel de la médiation entre les commanditaires et les résidents, par une approche socio-éducative, et nous assurons une veille technique et sociale : il s’agit autant de régler, comme ce matin, le problème d’une inondation due à une fuite d’eau dans un appartement déjà exproprié et où les pompiers ne peuvent pas accéder, que d’identifier les problèmes sociaux graves de certaines familles pour les orienter vers les services adéquats. Les assistantes sociales du département, qui travaillent avec nous, sont submergées par la complexité des problèmes.

Il s’agit aussi d’accompagner les habitants dans l’apprentissage à la fois de techniques simples (bricoler chez soi, faire des économies d’énergie) et des règles de la vie collective dans un immeuble : par exemple, nous mettons chaque jour, aux heures de pointe, un médiateur de la Mous devant le seul ascenseur en service dans les quatre tours, sinon les pannes et les accidents se multiplieraient. Cette démarche socio-éducative permet aussi de garder un contact quotidien avec les habitants. Nous sommes le point de passage entre résidents et pouvoirs publics. À côté des relations interindividuelles, comme il n’existe plus de conseil syndical depuis longtemps, nous organisons des réunions communes : ainsi, nous avons réuni tous les habitants dans un préau d’école avec l’ancien bâtonnier de Bobigny qui leur a expliqué en plusieurs séances le droit de la copropriété. En ce moment, nous préparons une réunion de travail sur l’entretien des espaces collectifs et l’environnement. Et puis, depuis les émeutes de novembre 2005 que nous avons vécues de près, même s’il ne s’est rien passé de grave à la Forestière, nous avons été mis au-devant de l’actualité et il nous faut apprendre aujourd’hui à travailler avec les médias.

Projet - Comment définissez-vous votre place par rapport aux autres acteurs du projet?

Joseph Berreby - Certains habitants nous ont longtemps pris pour des gardiens, et même pour des facteurs! Faire comprendre aux gens quel était notre travail a été compliqué. Nous avons pu progressivement redonner sa place à la gardienne : elle était complètement dépassée à notre arrivée, or elle a un rôle très important. Notre position, médiane par rapport à la mairie, aux habitants, aux agents d’entretien de la régie de quartier et à l’aménageur, s’est construite avec le temps, et en partie grâce à notre permanence en équipe, notre proximité et notre disponibilité sur place. Mettre les habitants en lien avec les autres intervenants sociaux nous a conféré une sorte d’autorité civile vis-à-vis des habitants. Si je les écoutais, ils me demanderaient aussi de les marier!! Mais je ne suis ni un élu, ni un militant; je suis seulement un technicien engagé dans son travail de reconstruction du lien social. Aujourd’hui, la Mous est le relais des habitants, mais elle ne se prétend surtout pas leur porte-parole. Sa seule présence les rassure.

Projet- Que fera la Mous demain?

Joseph Berreby - Comme je l’ai dit, cette Mous est appelée à évoluer en même temps que le Pru. Telle qu’est notre équipe pour le moment, elle va continuer à évoluer selon la progression du projet et s’intégrer dans un dispositif d’accompagnement qui sera confié principalement à deux autres Mous. L’objectif, lors du relogement, sera d’éviter que se reproduise dans les nouveaux bâtiments le processus de dégradation. Mais cette opération de relogement ne va pas se faire du jour au lendemain, et de plus en plus d’appartements vont être condamnés. Il va donc nous falloir soutenir les habitants qui restent plus longtemps. Par ailleurs, quelques familles ne sont pas éligibles pour le relogement : sans papier, occupants sans titres… Cela concerne sans doute 15 % des familles et, après une enquête plus précise, la recherche de solutions devra se faire cas pas cas.

Reconstruire du logement et de la ville est le début d’une solution, mais ce n’est pas suffisant. Nous ne faisons pas de la promotion immobilière et l’urbain est au service du social. Après avoir construit les logements, il faut s’interroger sur comment on les peuple… La mixité sociale que cherche le Pru ne se décrète pas. Pour ce qui concerne la Forestière, le maire de Clichy se bat pour obtenir les moyens du désenclavement, c’est-à-dire des équipements publics et commerciaux, ainsi que les moyens de transport correspondants. Cela permettra en même temps d’améliorer l’image du quartier.

Avec 30 % de vacance dans les immeubles, on pourrait faire venir des gens d’ailleurs. Mais la plupart des habitants actuels sont attachés à La Forestière et ont plutôt envie d’être relogés tout près. La réserve foncière de la ville due à la non-construction de l’autoroute va permettre de construire à 200 mètres d’ici, et il y aura un programme immobilier ici même, après la démolition. Simplement, nul ne sait si le désenclavement réussira, si la densité souhaitée avec de petits immeubles sera vraiment plus appropriée à la population. Les 110 propriétaires-occupants actuels vont devoir devenir locataires, car ils ont trop de dettes pour pouvoir acheter dans les bâtiments à venir. Mais nous devons aussi surveiller les propriétaires bailleurs qui poussent le vice jusqu’à donner congé aujourd’hui à leurs locataires pour récupérer les appartements et demander à être eux-mêmes relogés. Il nous faire attention à ce qu’un appartement vidé ne soit pas à nouveau occupé.

Projet - Vis-à-vis de l’aménageur, votre position est-elle facile?

Joseph Berreby - Non bien sûr! L’Aftrp n’est pas dans une logique participative; il faut se rappeler qu’elle a

été créée par Paul Delouvrier dans les années 60 pour constituer des réserves foncières en vue d’aménager les grands ensembles urbains que l’on connaît aujourd’hui. Elle est donc dans une phase de transformation culturelle car le Pru comporte un volet social important et que l’Aftrp n’a pas été formée aux missions d’accompagnement social. Elle n’est pas décideur mais elle est pressée : plus elle pourra racheter et reloger vite, plus elle sera tranquille. Or elle se retrouve porteur de logements occupés et donc bailleur social à titre transitoire. En principe, c’est la ville qui est maître d’ouvrage et l’Aftrp n’est que son délégué. Mais la ville n’a pas les moyens financiers correspondant à ses projets, donc elle est tributaire de cet opérateur plus riche, proposé par l’Etat, avec qui elle doit coopérer. Dans les faits, l’argent vient de l’État, par le biais de l’Anru. Les aménageurs pensent en outre que la Mous est là pour défendre la veuve et l’orphelin alors que nous avons un vrai projet urbain, qui est un outil que nous mettons à leur service. D’où des difficultés de relations, complexes mais pas insurmontables, parce que les organisations, les façons de travailler sont différentes, voire antagonistes. Le Pru amène chacun des acteurs à s’interroger sur ses pratiques et sur leur nécessaire complémentarité. Nous avons également un rapport différent au temps.

C’est aussi le sens de mon travail ici que de contribuer à la réflexion sur le désenclavement, l’organisation de la ville et de ses quartiers, en travaillant avec les autres acteurs, institutionnels ou associatifs; il faut abandonner les recettes de saupoudrage de mesures. Il faut amplifier les moyens de l’accompagnement social de l’éducation. Lorsque l’on sait que le Pru de Clichy-Montfermeil va coûter 400 millions d’euros et que l’accompagnement social ne représente qu’autour de 1 % de ce budget, on mesure l’enjeu de notre mission.



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