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Depuis une trentaine d’années, les travaux statistiques sur l’insertion en France ne font plus ressortir un schéma unique d’entrée dans la vie active, mais des trajectoires complexes, de moins en moins linéaires. La phase d’insertion se matérialise par une succession de plusieurs états : chômage, stages, formation, emplois précaires, emplois stables… Cette séquence, particulière pour chaque jeune, résulte de phénomènes d’interactions entre son comportement, sa stratégie individuelle et son environnement (le marché du travail, les formes d’emplois proposées, les modes de gestion de la main-d’œuvre des firmes, les dispositifs publics d’aides à l’insertion…). L’observation de ces itinéraires professionnels permet de décrire de manière factuelle le résultat de ces interactions.
Elle révèle à la fois de fortes similarités et une importante segmentation entre les différents parcours. Une partie des individus s’insère « bien », accède très vite à un emploi stable et le conserve. À l’autre extrémité, on trouve des jeunes qui n’ont pratiquement jamais accédé à un tel emploi ou ne l’ont conservé que pendant une période très brève.
Afin de mieux saisir la nature longitudinale du processus d’insertion, l’Observatoire national des entrées dans la vie active créé par le Centre d’études et de recherches sur les qualifications en 1976 a privilégié dès sa création des enquêtes rétrospectives sur des sortants du système éducatif. Il s’agit de comparer les premières années de vie active de jeunes de différents diplômes mais entrant au même moment et avec la même conjoncture sur le marché du travail. Ainsi, au printemps 2004, un échantillon de 25000 jeunes de tous les niveaux de formation a été interrogé parmi les 762000 sortis pour la première fois de formation initiale en 2001. L’enquête « Génération 2001 » fait suite aux enquêtes « Génération 92 » (auprès de 27000 jeunes), et « Génération 98 » (auprès de 55000 jeunes). L’objectif est toujours le même : analyser les cheminements sur le marché du travail de jeunes de tous niveaux de formation.
L’enquête recense mois par mois la situation de chaque jeune : emploi, chômage, inactivité, formations (principalement des stages) ou reprises d’études. Elle permet ainsi de retracer à partir des calendriers individuels, le parcours de l’ensemble de la génération tout au long des trois années qui suivent la sortie du système éducatif. En se basant sur l’exploitation des calendriers professionnels de chaque jeune de la « Génération 2001 », la première partie de l’article permettra d’identifier les principales trajectoires d’entrée dans la vie active pour cette génération, arrivant sur un marché du travail très dynamique, mais qui s’est progressivement dégradé de 2001 à 2004. La seconde partie mettra en évidence l’influence des caractéristiques initiales des jeunes dans l’accès à ces différents parcours.
À partir de ces calendriers professionnels, il est possible d’identifier six grands types de parcours qui résument l’ensemble des itinéraires1 des 762000 jeunes entrés en 2001 sur le marché du travail. Le premier, largement majoritaire est une trajectoire d’accès rapide et durable à l’emploi. Le second correspond à un décrochage de l’emploi après un an de vie professionnelle alors que pour la troisième trajectoire, ce basculement se réalise après plus de deux ans de vie professionnelle. Les quatrième et cinquième parcours se caractérisent par une longue période respectivement de chômage et d’inactivité en début de vie active, puis un accès très progressif à l’emploi. Enfin, un sixième parcours rassemble des jeunes ayant repris des études en établissement scolaire ou universitaire.
68 % des jeunes ont accédé à l’emploi presque immédiatement à la sortie du système éducatif et s’y sont maintenus tout au long de leurs trois premières années de vie professionnelle. Ils ont en général passé moins de trois mois au chômage et plus de trente mois en emploi entre juin 2001 et mars 2004. Cet accès n’est pas nécessairement synonyme de CDI ou de maintien chez le même employeur. Pour plus de la moitié, ces jeunes connaissent au moins deux emplois. Lors du premier, seulement un tiers obtient directement un CDI et 2 % sont indépendants. Après trois ans de vie professionnelle, les deux tiers accèdent à un CDI et 4 % sont indépendants.
15 % de jeunes sont dans une des deux trajectoires de décrochage de l’emploi après un premier accès au monde du travail pourtant rapide. La principalement différence entre ces types de trajectoires porte sur la date de ce décrochage. 6 % des jeunes décrochent de l’emploi en janvier 2003, dix-huit mois après la sortie sur le marché du travail. Ces jeunes ont mis en moyenne trois mois pour accéder à leur premier emploi mais un an et demi plus tard plus de 90 % d’entre eux ne sont plus en emploi. Pour plus d’un tiers, ce décrochage n’est pas rédhibitoire : ces jeunes retrouvent progressivement un emploi.
9 % des jeunes perdent leur emploi en janvier 2004, après avoir passé pour la majorité d’entre eux plus de deux ans en emploi sans aucune interruption. À la différence de la trajectoire précédente, la durée passée au chômage est courte mais intervient à la fin de la période d’observation. De ce fait, plus de 80 % de ces jeunes ne sont pas en emploi en mars 2004, c’est pourquoi nous parlons de basculement.
11 % des jeunes accèdent très progressivement à l’emploi après une longue période de chômage. La moitié d’entre eux a connu plus de 20 mois de chômage, concentrés sur leurs deux premières années de vie active. Mais cet éloignement de l’emploi ne semble pas irréversible : plus de trois quarts ont accédé à l’emploi tout au long de ces trois années de vie active et en mars 2004, un jeune sur deux se trouve en emploi.
3 % des jeunes ont traversé une longue période d’inactivité avant d’accéder à l’emploi après leur sortie du système éducatif. Ils ont passé en moyenne deux ans en inactivité, mais à partir de juin 2002 où 95 % d’entre eux étaient en inactivité, cette dernière commence à diminuer. En mars 2004, près d’un tiers se trouvent en emploi.
3 % reprennent des études, un an après avoir quitté le système éducatif. Durant cette interruption des études, 60 % ont travaillé alors que les autres sont restés au chômage ou inactivité. Pour un tiers de ces jeunes, ce retour en formation dure moins de deux ans : en mars 2004, plus de 30 % se trouvent sur le marché du travail, principalement en emploi.
Constat récurrent des recherches sur l’insertion : les trajectoires d’entrée dans la vie active sont plus stables pour les plus diplômés. Seul un tiers des jeunes sans qualification ont accédé rapidement et durablement à l’emploi contre plus des trois-quarts des diplômés d’un bac + 2 et au-delà. Inversement, les jeunes les moins diplômés sont les plus nombreux à connaître une longue, voire une très longue, période de chômage avant d’accéder à l’emploi ou au contraire à décrocher de l’emploi après y avoir passé plusieurs mois, voire une année ou plus.
La spécialité choisie par les jeunes influence également la structuration des trajectoires à niveau d’études identique, même si son effet résulte souvent de la combinaison de différents facteurs (le genre, la localisation géographique). L’écart entre les filières industrielles et tertiaires est particulièrement important pour les sortants du secondaire : 76 % des cap-bep industriels accèdent rapidement et durablement à l’emploi tandis que ce n’est le cas que de 68 % des sortant(e)s d’un cap-bep tertiaire. Les différences sont encore plus marquées pour les sortants du bac. Les diplômés d’un bac tertiaire connaissent des conditions d’insertion proches de celles des bacs non diplômés : seulement 65 % accèdent rapidement et durablement à l’emploi, 9 % n’accèdent à l’emploi qu’après un long passage par le chômage et plus de 18 % décrochent de l’emploi au bout d’une ou deux années sur le marché du travail. À l’inverse les diplômés d’un bac industriel connaissent des conditions d’entrée sur le marché du travail parmi les plus aisées : 85 % d’entre eux accèdent rapidement et durablement à l’emploi, moins de 3 % passent par un chômage persistant avant d’arriver à l’emploi et seulement 9 % décrochent de l’emploi.
Au-delà du niveau d’études, l’obtention du diplôme joue un rôle prépondérant sur les premières années de vie active. Quel que soit leur niveau, les jeunes sortis avec le diplôme s’insèrent plus facilement que ceux ayant échoué à l’examen de fin d’études. La situation des sortants de l’enseignement supérieur sans diplôme, qui représentent un quart des sortants du supérieur, est particulièrement préoccupante dans la mesure où ces jeunes perdent le plus souvent leur emploi au cours des premières années de vie active et ont de fortes difficultés à en retrouver un autre. Les difficultés rencontrées dans leur trajectoire scolaire et universitaire se poursuivent dans les premières années de vie professionnelle. En marge du processus de stabilisation, 6 % de la génération 2001 a connu, à un moment ou un autre de ses premières années de vie active, un « retrait » du marché du travail. Ce retrait, s’il est deux fois plus fréquent chez les jeunes sortis sans qualification, touche également les autres niveaux. Mais il n’a pas forcément toujours le même sens. Chez les moins diplômés il se traduit pour l’essentiel par de l’inactivité longue, notamment chez les jeunes filles, tandis que les diplômés de Deug se retirent du marché du travail pour reprendre en général des études après une première expérience plus ou moins fructueuse.
Parcours et niveaux de formation (en %) Source : Céreq, Génération 2001.
Accès rapide et durable à l’emploi |
Décrochage de l’emploi |
Chômage persistant puis accès à |
Reprise d’études ou inactivité longue |
|
Non qualifié |
31 |
22 |
33 |
14 |
CAP ou BEP non diplômé, 2de ou 1e |
49 |
25 |
20 |
6 |
CAP ou BEP Tertiaire Industriel |
73 69 77 |
14 14 13 |
9 12 8 |
4 5 2 |
Bac, non diplômé |
65 |
17 |
10 |
8 |
Bac professionnel ou Tertiaire Industriel |
74 65 85 |
14 18 9 |
7 10 3 |
5 7 3 |
Bac + 1 ou Bac + 2, non diplômé |
64 |
18 |
9 |
9 |
Bac + 2 De la santé ou du social DEUG BTS ou DUT tertiaire BTS ou DUT industriel |
80 97 70 78 81 |
11 2 13 13 12 |
5 7 5 4 |
4 1 10 4 3 |
2e cycle Lettres, Sciences humaines, Gestion, Staps Maths, Sciences et techniques |
75 75 76 |
11 11 9 |
7 6 9 |
7 8 6 |
3e cycle Lettres, Sciences humaines, Gestion, Staps, École de commerce Maths, Sciences et techniques École d’ingénieurs |
79 78 80 83 |
9 9 9 5 |
10 10 9 10 |
2 3 2 2 |
Ensemble |
68 |
15 |
11 |
6 |
La formation initiale n’est cependant pas la seule caractéristique des jeunes influençant leurs parcours sur le marché du travail2. D’autres caractéristiques comme le genre, la profession des parents ou leur pays d’origine peuvent largement segmenter les modes d’entrées dans la vie active. Ces caractéristiques influencent en amont l’orientation et la réussite scolaire des jeunes, mais également, à diplôme égal, leur parcours d’insertion sur le marché du travail. Ainsi, seulement 65 % des jeunes filles se trouvent dans une trajectoire d’accès rapide et durable à l’emploi, contre 71 % des jeunes hommes. Pour les jeunes sans diplômes, les différences sont encore plus marquées : seulement 28 % des jeunes filles connaissent ce type de trajectoire contre 58 % des jeunes hommes. Autre facteur important d’hétérogénéité, avoir un de ses deux parents nés à l’étranger réduit sensiblement les chances de se retrouver dans ces trajectoires : pour les sans diplômes, seulement 31 % de ces jeunes accèdent à une trajectoire d’emploi stable contre 41 % pour ceux dont les deux parents sont nés en France. De même, être issu d’une famille de cadre est également un avantage, même pour les jeunes sans diplômes : 48 % contre 41 % se trouvent dans une trajectoire stabilisée sur le marché du travail.
Au total, l’analyse des trajectoires d’entrée dans la vie active montre une forte segmentation des parcours d’insertion. Pour certains, l’accès à un emploi stable s’est fait « naturellement » dès leur sortie du système éducatif, d’autres ont été obligés de passer par des emplois plus ou moins précaires, et parfois s’y sont maintenus jusqu’à la fin de la période d’observation. D’autres enfin ont complètement été exclus du marché du travail au cours de leurs trois premières années de vie active.
Cette hétérogénéité observée au niveau des parcours d’insertion s’explique en partie par le poids très structurant des caractéristiques individuelles initiales3. Une part de ces différenciations se fait très en amont, lors des cursus scolaire et universitaire. Le niveau et le type d’études qui en résultent conditionnent l’entrée sur le marché du travail. Mais d’autres caractéristiques individuelles comme le sexe, la profession ou le pays de naissance des parents vont également directement influencer les parcours professionnels en début de vie active. Cependant, la présence de jeunes dans toutes les trajectoires, quel que soit leur niveau de diplôme et leurs caractéristiques individuelles4 montrent que d’autres facteurs vont également influencer leurs premiers pas dans la vie active. Leur projet professionnel, leur stratégie de recherche d’emploi et leur motivation peuvent être des facteurs discriminants. De même, les politiques de recrutement des firmes ou les caractéristiques de marchés locaux du travail rendent également compte de la diversité des trajectoires d’entrée dans la vie active.
1 Ce regroupement des parcours s’appuie sur une méthode statistique de regroupement des trajectoires individuelles : deux jeunes ont des trajectoires d’autant plus proches qu’ils traversent au même moment la même situation ; inversement, ils ont des trajectoires éloignées lorsque le nombre de mois où leur situation diffère est élevé. De ce fait, la méthode permet de saisir les principales transitions entre les différentes situations. Cf. J. -M. Espinasse, « Enquête de cheminement, chronogrammes et classification automatique », Documents Cereq, Série Séminaire, n°99, 1994, pp.193-218 et J. -F. Giret, Pour une économie de l’insertion professionnelle des jeunes, Cnrs éditions, 2000.
2 La taille de l’article ne nous permet d’analyser exhaustivement les caractéristiques susceptibles d’influencer leur parcours. Nous renvoyons sur ce point à l’ouvrage Quand l’école est finie, premiers pas dans la vie active de la génération 2001, Céreq, 2005.
3 C’est-à-dire au moment de leur sortie du système éducatif.
4 Ainsi, 17% des jeunes ingénieurs n’ont pas de parcours d’accès direct à l’emploi