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Dossier : Jeunes vers l'emploi

Former dans le cadre de l’entreprise


Entretien avec un responsable des « ressources humaines » d’un grand groupe industriel, qui explique les parcours d’intégration mis en place.

Projet - Vous êtes dans une branche où les recrutements ont été importants. Après les grandes restructurations des années 80, pourquoi cette remontée ?

Michel Russo - Dans un grand groupe industriel, les modalités du recrutement se définissent distinctement sur chacun des secteurs de l’entreprise. On en identifie quatre principaux : le montage, l’ingénierie – essentiellement la mise au point de nouveaux produits –, le tertiaire – informatique, communication, contrôle de gestion, finance, gestion des ressources humaines, logistique –, et enfin le commercial – vente et après-vente –, constitué pour une large part d’un réseau de concessionnaires franchisés.

Dans chacun de ces secteurs, notamment pour la fabrication ou l’ingénierie, les évolutions sur vingt ans ont été très fortes. En 1984-1985, l’entreprise a connu une restructuration accompagnée de réductions d’effectifs importantes, avec un relèvement des niveaux de qualification. Nous sommes sortis d’un système taylorien autour de métiers bien identifiés dans la métallurgie : l’ouvrier était tourneur, fraiseur, ajusteur. Toutes ces professions ont aujourd’hui disparu. L’organisation isolait d’un côté la production et de l’autre l’entretien ou la réparation des chaînes, les fonctions de contrôle et d’approvisionnement. Ces activités assurées par de la main-d’œuvre « indirecte » au regard de la production entraînaient des frais fixes incompressibles et sources de déficit financier en cas de baisse du volume de production. Aujourd’hui, l’essentiel du personnel de fabrication concourt à la production dans une organisation en « équipe autonome de travail ». Il en résulte un relèvement des niveaux de qualification, et un renforcement de l’implication des personnels et de leur responsabilité. Un ouvrier doit être capable de faire face à des problèmes de maintenance, d’identifier les questions et de les traiter en équipe. Les qualifications sont devenues plus transversales et plus génériques. Les héritiers des OS sont en mesure de gérer des éléments d’approvisionnement, de flux, de production. Pour y parvenir, l’entreprise a dû engager un effort important de formation en interne, avec un relèvement des niveaux de recrutement parallèle à l’élévation globale des diplômes.

Projet - Peut-on préciser les conséquences de cette évolution sur le recrutement ?

Michel Russo - Le secteur du montage illustre bien cette évolution. Le recrutement se fait pour l’essentiel au niveau minimal du bac professionnel, voire BTS. Pour les candidats des niveaux CAP et BEP, il s’agit de poursuivre leur qualification. La formation doit comporter des savoir-faire (productique, matériaux, peinture…), mais aussi des capacités relationnelles. Ceci se traduit dans les contenus qui donnent une large place à des disciplines comme les mathématiques et l’apprentissage de l’expression écrite et orale. Mais surtout la formation comporte des alternances et des mises en situation professionnelle : les principales compétences s’acquièrent sur le terrain et peuvent y être validées. L’école technique de l’entreprise a été fermée et les formations en alternance ont été redéfinies. Nous recevons de nombreuses candidatures spontanées, mais l’essentiel des embauches est précédé par un parcours de professionnalisation qui établit un lien fort entre le jeune et l’entreprise.

Pour l’ingénierie, la problématique est de même nature. Les techniciens ont une formation plus élevée (bac +3), les licences professionnelles en constituent le cœur et le recrutement s’effectue le plus souvent à l’issue d’une formation en alternance (contrat d’apprentissage ou de professionnalisation). Les métiers évoluent, et les diplômes existants n’y répondent pas toujours. Les jeunes recrutés suivent une année complémentaire de formation avant de passer, pour la majorité, en CDI. C’est le cas, par exemple, des électroniciens ou automaticiens recrutés après une formation complémentaire à l’issue de leur BTS ou DUT : ils préparent une licence professionnelle d’« électronique sur les systèmes embarqués ». Ce parcours n’est possible que grâce à un partenariat entre l’entreprise et les instituts de formations (IUT, lycée). Les diplômes reconnus sont certes assez connotés, mais largement transverses. Les branches professionnelles sont déterminantes : des certifications de qualification aux différents niveaux, jusque bac + 3, se font après validation des instances paritaires. Pourtant, le nombre de jeunes formés sur les cœurs des métiers industriels demeure insuffisant au regard des débouchés, dans les grands groupes comme chez les sous-traitants.

Dans la vente et l’après-vente, la situation est différente. La voie de l’apprentissage domine dans tous les métiers. L’entreprise prend en charge la qualification des hommes dans son réseau, même pour les personnels qui travaillent pour des franchisés. La branche patronale veille aussi à la qualité des formations et à la validation des certifications. Chez les conseillers commerciaux, ce qui s’acquiert sur le terrain est essentiel. Le diplôme n’est qu’un élément dans l’évaluation du candidat au recrutement. L’entreprise est attentive aux compétences de négociation, à la capacité de conclure une affaire, au comportement, qu’ils soient sanctionnés ou non par un diplôme. Un système de tests est mis en place.

Enfin, le recrutement des ingénieurs et cadres est organisé à travers de nombreux partenariats noués avec les grandes écoles ou les écoles de commerce. Les stages, surtout de fin d’études, constituent un vivier qui donne l’occasion d’observer les jeunes candidats. Les écoles elles-mêmes sont appréciées selon leur niveau. Le barème à l’embauche en dépend. À plus petite échelle, le recrutement d’ingénieurs peut concerner des thésards, après une convention de recherche (convention Cifre de trois ans). Il y a encore le volontariat international grâce auquel une entreprise complète son recrutement.

Projet - Cette situation est-elle faite pour durer ?

Michel Russo - Au total, le volume de recrutement, important ces dernières années, s’élargit dans une dimension internationale. Le monde salarial avait vieilli, la pyramide des âges risquait de se dégrader. Mais depuis 2000, grâce à une politique de rajeunissement, la moyenne d’âge a pu descendre autour de 41 ans. L’essentiel de ceux qui entrent dans l’entreprise le font à la sortie de leur cursus de formation, ou après une première expérience de trois ou quatre ans. Inversement, le turn over est très faible, voire trop faible. Peu de membres de notre personnel démissionnent, même si des concurrents essaient de démarcher les ingénieurs, sinon les techniciens.

C’est l’international qui est le défi pour demain et impose à l’entreprise une politique plus volontariste. Elle cherche à élargir son recrutement à des jeunes ayant au minimum deux ans d’exposition à la vie à l’étranger et aujourd’hui un bon quart du recrutement répond à ce critère. Mais avec de nouveaux sites de fabrication, en Europe de l’Est ou en Asie, l’entreprise développe son recrutement dans ces pays. Durant les cinq dernières années, une part importante du recrutement s’est faite dans ces régions.

Projet - Les jeunes sans qualification ont-ils une place dans cette problématique ?

Michel Russo - En direction des jeunes sans qualification, une démarche spécifique a été engagée et plusieurs fois renouvelée. Elle avait fait l’objet d’une convention de partenariat au début des années 90 avec le gouvernement quand Martine Aubry était ministre du Travail. L’ambition dépassait celle du seul recrutement dans l’entreprise. Il s’agissait d’entrer dans une logique de développement local en y associant d’autres entreprises, dans l’agroalimentaire ou la métallurgie par exemple. Les jeunes obtiennent un CAP de conducteur de systèmes industriels ou « d’exploitant d’installations industrielles », après une pré-qualification en mathématiques et en français ainsi qu’un temps d’insertion dans l’entreprise. Leur formation dure deux ans, en alternance. Ils signent un contrat de professionnalisation dans le cadre d’une mission de travail temporaire et perçoivent donc un salaire. Les missions locales et les entreprises de travail temporaire sont impliquées pour identifier les jeunes susceptibles de bénéficier de ce programme et les orienter.

Pour eux, les nouvelles formes d’organisation de l’entreprise ont une véritable vertu d’accompagnement. Le tutorat et le travail en équipe soutiennent le jeune et le taux d’échec est finalement faible ; 2200 jeunes ont déjà suivi ce parcours dans six régions de France.

Projet - Comment répondre aux défis de la non-discrimination quand le recrutement est largement tributaire des formations antérieures ?

Michel Russo - La plus forte difficulté concerne aujourd’hui les femmes. Cette année, elles comptaient pour un tiers des nouveaux embauchés. Sur cette question, plusieurs choses nous motivent pour avancer : notre propre conviction, mais aussi des engagements et des accords d’entreprise. Et nous constatons que les femmes sont fortement motivées, notamment dans les filières industrielles, ce sont des battantes. Mais comme le recrutement est fortement défini par la formation antérieure, cette évolution demeure bridée. Même dans les écoles d’ingénieurs, elles représentent moins du tiers de leur promotion ; pour les filières de techniciens supérieurs dans le domaine de l’ingénierie, l’insuffisance des vocations est encore plus aiguë.

La discrimination ethnique est nettement moins sensible. Tous les sites industriels sont implantés dans des bassins d’emploi où sont très présents les enfants issus de l’immigration. Lors des programmes montés pour les jeunes en difficulté, maghrébins et africains de la deuxième génération étaient nombreux, sans difficulté notable. Nous avons pu avoir à faire face au démarrage du dispositif à quelques réactions ponctuelles…, mais il n’y a aucune tension réelle. Aujourd’hui, l’entreprise est ouverte, internationale, et les circulations ne cessent d’augmenter entre les différents continents. Dans le recrutement proprement dit, on ne peut pas noter de discrimination.

Durant tout le parcours d’embauche, nous essayons toujours de motiver nos refus. La réponse est relayée en direction des candidats eux-mêmes. Le principal critère est l’inadéquation entre le profil du candidat et les besoins de recrutement du moment. La réponse est toujours donnée « au présent », le besoin, de notre côté, peut se faire jour, ultérieurement. Lors de tests ou de journées de session, les résultats et les appréciations sont toujours communiqués au candidat.

Quant à celui qui est embauché, il commence par un parcours d’intégration qui lui permet de bien connaître l’environnement du métier et de l’entreprise. Le jeune passe dans un secteur distinct de celui dans lequel il est recruté par des stages de deux à trois semaines, et on tente aussi de dessiner avec lui ses développements de compétence. Il pourra ensuite retrouver dans l’intranet de l’entreprise tous les postes à pourvoir à chaque instant.

En 2005, plus du quart des jeunes qui auront intégré en CDI l’entreprise l’auront fait grâce à un dispositif de formation en alternance (contrat d’apprentissage ou de professionnalisation). La dernière loi, qui s’appliquera en 2008, fixe un seuil de 3 % pour les contrats d’apprentissage. Au sens strict, nous sommes en ligne, surtout si l’on inclut les dispositifs d’insertion de jeunes sans qualification au départ. Quant aux CNE, ils ne répondent guère à nos besoins, n’offrant pas le cadre suffisant pour répondre à l’exigence d’acquisition de compétences au-delà de la formation initiale de base… Nous n’avons pas signé de contrats de ce type.

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