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Pas de mots qu'on puisse entendre


En octobre et novembre 2005, Marseille est pratiquement restée à l’écart de ce qu’on a appelé ailleurs la révolte des banlieues. Et, à cette occasion, on a rappelé l’exception marseillaise. Mis à part l’un ou l’autre lieu, dont la cité où nous habitons qui a connu quelques soirées, trois ou quatre, très « éclairées ». Ce que je peux dire tient donc fort peu à des faits dont j’aurais été le témoin, mais pour l’essentiel aux relations que les journaux, la télévision, ont pu transmettre des événements et aux récits entendus de témoins dans d’autres villes.

Ce qui m’a frappé, c’est le côté spectaculaire de ce qui s’est produit. Dans le déroulement des nuits à répétition, il y avait quelque chose qui faisait penser à du théâtre, qui était de l’ordre de la mise en scène : les acteurs, au delà des forces de police auxquelles ils se heurtaient ou qu’ils provoquaient, paraissaient chercher un public plus large, une audience, cherchaient à se faire entendre. Pour dire quoi ? La référence au langage peut nous aider à comprendre en partie ce qui s’est passé, ce qui était en attente.

Le plus aisément repérable, c’est sans doute la langue à laquelle les « émeutiers » ont eu recours. D’une part, une langue construite avec les « mots » disponibles, accessibles, « sous la main » : les voitures des gens d’ici, les écoles ou autres lieux publics, équipements de proximité, qu’on incendie ou fracasse. D’autre part, dans un registre d’expression lié au canal le plus en vue, la télévision, le plus apte à rendre spectaculaire, mais aussi le plus disposé à le faire. Une langue qui en quelques jours est devenue commune, transportée d’un lieu à un autre.

Le contenu du message est beaucoup plus difficilement identifiable. Ce qui a été explicite ou explicité dans ce qu’on pouvait voir ou entendre se ramenait à des revendications de peu de mots : le respect, le départ de Sarkozy. On peut sans doute aussi percevoir quelque chose de ce qui était dit, inconsciemment, en prenant en compte les cibles privilégiées : des écoles, pour dénoncer l’illusoire égalité des chances, des entrepôts, pour stigmatiser l’échec de l’accès à l’emploi ou l’injustice devant la consommation. L’anonymat des acteurs, cependant, du fait de l’uniformité de la bande et du vêtement, qui lui-même uniformise et dissimule, ainsi que leur solitude - ils n’étaient reliés à aucun mouvement institué, politique ou culturel -, ont rendu difficiles les éventuelles demandes de traduction des gestes posés. L’absence, surtout, de destinataires désignés, et, plus encore, l’absence de volonté d’entendre et de comprendre les signes reçus n’ont pas permis l’accès à la parole. Une parole existe non seulement par l’intention de celui qui l’émet, mais aussi par la manière dont elle est reçue, par la disposition à l’accueillir et à lui donner sens, chez ceux qui lui donnent de l’importance, veulent comprendre et répondre. Or il semble bien que, dans les journées de l’automne 2005, ce soit cette disposition qui ait fait défaut, et qui continue à faire défaut.

Beaucoup d’éclats, de bruits, dans ces semaines. Beaucoup de bruits qui cherchaient confusément à dire quelque chose, qui cherchaient à se transformer en paroles. Du bruit à la parole, c’est le beau titre du livre de Michel Anselme, un sociologue marseillais qui a inventé l’accompagnement social des réhabilitations d’ensembles d’habitat social. Ne nous indique-t-il pas ce qui demeure en attente et ce à quoi il est urgent de travailler ?

Christian Bardet


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