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Piloter le « Plu »


Resumé Pierre Tessier est adjoint au maire chargé de l’environnement et de l’urbanisme pour la ville de Juvisy (Essonne), une ville de 220 hectares qui compte environ 12000 habitants. A ce titre, il pilote le «Plu» de la commune.

Projet – Qu’est-ce qui amène un élu local à s’occuper d’urbanisme ? Comment se sentir les capacités à piloter un projet aussi complexe qu’un Plan local d’urbanisme (Plu) sans être spécialisé ?

Pierre Tessier – Je suis un technicien de formation : j’ai commencé ma carrière professionnelle comme dessinateur de matériel ferroviaire. Mais on peut dire aussi que mon statut et mon travail d’élu local ont orienté mon travail professionnel puisque, aujourd’hui, je gère la construction d’ateliers pour la Sncf  ! Lors de mon premier mandat au conseil municipal, j’étais uniquement délégué à l’environnement (quatre mandats). Il y avait dans notre ville un atelier d’urbanisme dont le statut était associatif (Apaj). Militant du développement durable, j’étais intéressé par ces questions ; je suis entré dans l’association et y ai rencontré architectes et urbanistes. Le maire de l’époque1 m’a incité à me spécialiser pour participer au travail d’élaboration du plan d’occupation des sols (Pos).

Projet – Vous avez donc participé à la mise en œuvre d’un Pos avant de piloter le Plu qui l’a remplacé. Quelles transformations cela représente-t-il pour l’action municipale ? Vous sentez-vous davantage acteur d’un vrai projet et quelles innovations apporte-t-il ?

Pierre Tessier – Pour dire les choses brutalement, un Pos, ce ne sont que des droits à construire. Pour élaborer un Pos, il n’était pas besoin de pousser très loin la réflexion en termes d’espaces à protéger, à réserver aux services publics, à dynamiser… Cependant, je viens de le dire, il y avait un atelier d’architecture associatif, et il existait déjà à Juvisy une pratique de la discussion avec les habitants en amont du Pos. En dix ans, la mentalité des citoyens a beaucoup changé. Ils ont saisi que nous n’étions pas que des bétonneurs et ont reconnu notre souci d’une urbanisation raisonnée, qui respecte l’environnement. Le travail sur le Plu a duré deux ans (2002-2003) et une enquête publique a précédé sa mise en application en 2004 (vote unanime en conseil municipal).

Pour vous permettre de mieux comprendre le Plu de Juvisy, laissez-moi dégager quelques traits distinctifs de la ville. Celle-ci a compté plus de 13 000 habitants, aujourd’hui elle n’atteint pas tout à fait les 12 000 et sa population vieillit. La ville est bordée par la Seine à l’est, et elle est traversée par la route nationale 7 et par les voies de chemin de fer : la gare, où s’arrêtent les trains de deux lignes de Rer, voit passer 40 000 personnes par jour, dont 15 000 entrants, plus que la population. Ces divers éléments ont été décisifs pour l’élaboration du Projet d’aménagement et de développement durable (Padd) qui détermine les grandes orientations du développement à long terme de la ville. Ce Padd donne une image plus claire et transparente de l’avenir en utilisant une réflexion politique sur « comment allons-nous vivre dans notre ville ? »

Projet – Quels sont les grands traits du Plu de Juvisy ?

Pierre Tessier – L’objectif principal du Plu était de stabiliser et même d’accroître légèrement la population de la ville, en y attirant des jeunes et en améliorant les liaisons entre les quartiers. En fonction de la configuration de la ville, et dans la mesure où il ne s’y trouve plus beaucoup de terrains à bâtir, quelques grands axes de travail ont été déterminés pour atteindre cet objectif :

- reconstruire la ville sur la ville, en redynamisant en particulier le centre-ville, qui se paupérisait autour de la gare ;

- ouvrir sur la Seine le quartier Montessuy (ancien site industriel) ;

- réhabiliter l’avenue de la Cour de France (route nationale 7) et son environnement;

- trouver un espace pour construire une maison de retraite.

Cela signifiait qu’on allait rebâtir sur du déjà construit, et qu’il fallait donc lutter contre la tendance à l’urbanisation à outrance et protéger certaines zones ; en effet, lorsque la desserte en transports est excellente, il est plus facile de prévoir des immeubles de grande hauteur. Par ailleurs, la loi SRU qui a institué le Plu demande que chaque ville de plus de 3 000 habitants compte 20 % de logements sociaux2. A Juvisy, nous en sommes à 18,5 % ; nous voulions atteindre l’objectif assigné, mais surtout nous voulions permettre une répartition de ces logements dans toute la ville. Dans le logement social privatif, on trouve peu d’investisseurs prêts à améliorer le parc existant.

Avant de commencer, la direction de l’urbanisme a organisé des réunions transverses avec les différents services (services sociaux, éducation, sports…), ainsi qu’un séminaire avec les employés communaux qui connaissent bien la population et ses besoins. Des ateliers de travail se sont tenus ensuite, quartier par quartier, dans lesquels nous avons présenté le diagnostic, pour que chacun comprenne les enjeux et exprime ses souhaits concernant les espaces et les services publics. Certains de ces ateliers de terrain ont fait émerger des idées des habitants qui ont été reprises.

En revanche, la volonté de sortir du schéma autoroutier pour la route nationale et de réhabiliter cette voie qui datait de Louis XIV (c’est la route qui reliait Versailles à Fontainebleau) pour faire revivre un boulevard urbain avec des commerces est une idée des élus et des urbanistes. Ce choix implique de sauvegarder des maisons anciennes comme de supprimer tout ce qui formait un « paysage hétérogène ».

Projet – Le Padd, nouveau socle du Plu, représente un engagement municipal. Mais les municipalités font-elles plus qu’un affichage ?

Pierre Tessier – Pour nous, c’est un vrai engagement. Je peux même vous dire que les services de l’État nous ont demandé de refaire notre Padd, car nous avions été trop précis dans nos engagements. Nous avons dû formuler des orientations plus générales, plus vagues. Mais il s’agit de dire comment évoluera la ville de demain. Nous savons très bien ce que nous voulons décider pour faire évoluer tel ou tel quartier : la friche industrielle du bord de Seine va se transformer en un espace vert public accompagné de 300 logements (dont des logements sociaux) avec l’implantation d’une crèche municipale à proximité.

Et pour nous, il ne s’agit pas d’incantation, comme cela peut arriver trop souvent. Dire qu’il faut plus d’emplois dans un quartier exige de créer les aménagements qui permettront l’apparition de ces emplois. Et ceux-ci doivent se retrouver dans le « règlement », qui est le document d’urbanisme voté par le conseil municipal. A Juvisy, il y a déjà des emplois tertiaires (sièges d’entreprises, experts comptables, centres de formation, la Sncf) ainsi que des emplois commerciaux, et pratiquement plus d’industrie. Mais nous devons développer ce qui existe déjà.

Projet – Comment avez-vous articulé votre projet avec ceux des villes voisines ?

Pierre Tessier – J’ai insisté pour que nous montrions notre Plu aux communes limitrophes. Nous les avons invitées à toutes les réunions, publiques ou non. Le maire PS d’Athis-Mons préside notre communauté de communes, à laquelle appartient aussi Paray-Vieille-Poste (dont la municipalité est de droite). Aujourd’hui, Athis-Mons est en train de préparer son Plu, et nous nous sommes invités aux réunions de préparation, un peu de force ! Il est vrai que le droit des sols est une prérogative essentielle des communes. Mais elles ne peuvent ignorer les autres : il existait déjà, avant les Plu, un syndicat commun pour les transports ; des études communes sur les plans de circulation se mettent en place, et les Scot devraient permettre une coordination nécessaire pour voir si les Plu et Padd sont cohérents entre eux. Il est vrai cependant que la mentalité demeure un peu celle du village gaulois, où l’on ne se préoccupe que de ce qui se passe à la périphérie, et sur l’aménagement en général, les réflexions communes ne vont pas très loin.

C’est le paradoxe du communal pur. L’avenir d’une ville dépend des convergences ou des divergences sur l’aménagement global. Le droit du sol communal favorise la proximité des habitants avec leurs élus. Mais les problèmes n’en sont pas pour autant simplifiés (par exemple, les relations avec les propriétaires de petits pavillons quand le prix du foncier change d’une rue à l’autre selon la règle du Plu…). A l’usage, le Plu peut se révéler inadapté sur certains points de détail, et il est révisable. Mais je pense qu’il faut le laisser « vivre » quatre ou cinq ans pour qu’il ait une valeur politique.

Projet – Vous dites que le site dans lequel s’inscrit la ville a une grande importance. Quelle est la place de l’environnement dans le Plu ?

Pierre Tessier – Dans le Plu, il y a d’abord le Padd, puis les documents techniques et juridiques; le passage de l’un aux autres n’est pas évident ! En effet, la sauvegarde de l’environnement et le souci du paysage sont constants dans le Padd, mais cela reste d’un niveau très général, même si des idées plus précises peuvent être émises (par exemple, une habitante a suggéré en réunion publique de créer un espace vert là où on avait prévu de remplacer un supermarché par d’autres constructions, et son idée a été reprise malgré la difficulté financière). Annoncer dans le Padd qu’on prévoit du chauffage solaire sur les toits entraîne des exigences techniques à intégrer dans le règlement.

L’environnement demeure un aspect essentiel de l’orientation générale. Décider de créer un parc là où les habitants auraient bien vu un parking en centre ville est un acte politique. D’autres décisions sont moins voyantes mais tout aussi importantes, comme l’exigence d’espaces « pleine terre » autour de toute construction pour permettre le retour des eaux pluviales à la terre. La préoccupation de sauvegarde du patrimoine s’exprime aussi, outre la réhabilitation de l’avenue de la Cour de France, par le travail commencé autour de l’Observatoire Camille Flammarion qui a été légué à la commune de Juvisy. Le parc qui l’entoure a déjà fait l’objet de travaux de rénovation et l’observatoire lui-même sera réhabilité lorsque tous les fonds nécessaires auront été réunis (l’État et la région participent au financement).

Quant à la contrainte des voies ferrées ,je pense que la relation de la ville à sa gare doit être « positivée ». L’objectif poursuivi est d’insérer la gare dans l’animation du centre ville, en partenariat avec la Sncf, Réseau ferré de France et le département de l’Essonne. Pour que ce quartier trouve sa place de pôle d’échange, de liaison et de commerce, le Plu a prévu des droits à construire avec de fortes contraintes par rapport au bruit, et une implantation des bâtiments qui fera un écran visuel devant les voies ferrées.

Mais une transformation importante va intervenir avec la création d’un « pôle multimodal » prévu à l’échelle régionale : en 2012 arrivera à la gare de Juvisy le tramway venant de Villejuif (terminus d’une ligne de métro). La zone entre la gare et la Seine commence déjà à bouger sur le plan des structures commerciales. Mais il s’agit, au-delà, d’une transformation profonde du quartier et dont l’échéance demeure forcément assez lointaine.

Projet – Les équipements publics prévus par le Plu peuvent-ils donner un autre visage à certains quartiers de la ville ?

Pierre Tessier – Bien sûr. J’ai cité les bords de Seine qui étaient privés jusqu’ici de tout équipement collectif : l’implantation d’une crèche municipale à proximité d’un ensemble mixte de 300 logements contribuera à faire vivre ce quartier. Par ailleurs, toujours en bord de Seine, mais limitrophe et même à cheval sur la commune d’Athis-Mons, une friche industrielle de 37 000 m2 est l’objet d’un travail commun entre les deux villes : ce secteur comprendra 600 logements dont beaucoup à Athis-Mons, et une école sera installée sur le territoire de notre commune. Nous avions le projet depuis des années, d’y installer une maison de retraite pour personnes âgées, mais les bords de Seine sont inondables, ce qui interdit toute construction de ce type.

Nous allons faire aboutir ce projet de maison de retraite, mais sur le plateau, au-delà de l’avenue de la Cour de France. En effet, l’École nationale d’administration pénitentiaire qui était installée là est partie assez brutalement à Agen, laissant le terrain en friche. Un compromis avec le ministère de la Justice nous a permis de prévoir la construction à la fois de la maison de retraite (Ehpad) que nous souhaitions et de logements pour les personnels du ministère de la Justice, ainsi que la création d’un jardin de 8 000 m2 qui sera bienvenu pour le quartier de logements sociaux environnant. Ces exemples, parmi d’autres, témoignent que la municipalité peut, avec le Plu, orienter profondément la transformation du paysage urbain.

Projet – L’adjoint à l’urbanisme que vous êtes est le vrai pilote du Plu. Dans les communes, ce plan est souvent perçu comme l’affaire de l’ensemble de l’équipe municipale. Comment vous situez-vous, et que pensez-vous être l’idéal sur le plan de la responsabilité ?

Pierre Tessier – Bien sûr, je suis le pilote, mais heureusement, le pilote n’est pas isolé. Toute l’équipe des élus porte ce document essentiel pour son mandat. Par ailleurs, au sein même de l’équipe restreinte qui travaille avec moi, il y a bien sûr le responsable du service urbanisme de la mairie – fonctionnaire territorial –, ainsi que des architectes sur les projets. En effet, en architecture, on ne peut se substituer aux professionnels : il est très difficile de se rendre compte de l’effet global d’un édifice, car la perception est décalée entre le début et la fin de la construction. On imagine une relation entre la hauteur et le style, et on peut se tromper 3. Afin de sensibiliser mes collègues élus à la mise en pratique du Plan local d’urbanisation, voté depuis bientôt deux ans, je restitue deux fois par an les projets en cours et les évolutions de ces projets afin de les confronter à nos engagements théoriques.

Projet – Peut-on dire que le Plu est l’outil réel de l’avenir urbain ?

Pierre Tessier – Ma propre perception est partagée par les autres élus. Nous estimons que grâce au Plu, les gens s’intéressent à leur ville. Cela ne veut pas dire que nous ne ferons pas d’erreur dans la planification urbaine, mais la relation à l’autre est primordiale et nous permet de bien traiter les frontières et les articulations entre les domaines, les relations entre la hauteur d’un immeuble et son environnement. Le travail d’équipe et la collégialité des orientations données dans le Plu sont des garanties de sa qualité. Il est alors, en effet, un outil fort utile.

Ndlr – Le maire était André Bussery, frère de l’ancien rédacteur en chef de Projet Henri Bussery. Il nous avait aidés à préparer le dossier de Projet n° 142 « La révolution silencieuse des communes », en février 1980.

Cette loi est rediscutée en ce moment à l’Assemblée nationale, mais l’amendement très contesté d’élargir l’application du quota à toute l’agglomération a été rejeté.

Certaines erreurs sont difficiles à corriger. Il est par exemple impossible d’exiger que des bâtiments soient rabaissés.


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