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Un principe de responsabilité


J’aimerais aborder avec vous trois sujets, qui sont corrélatifs : la situation dans laquelle se trouve le monde juif, le rôle de notre « Conseil représentatif » qui en découle, et, brièvement, quelle doit être, à mes yeux, aujourd’hui la responsabilité de tout juif dans le monde.

D’abord, la situation du monde juif. J’aime cette histoire de deux amis qui se retrouvent après de longues années :

- « Moshe, dis-moi en un mot comment tu vas.

- En un mot ? - Bien.

- Parfait, et en deux mots ?

- En deux mots ? - Pas bien. »

Tel est l’état actuel du monde juif : une période de trouble et de détresse. Durant trois ans, Israël a été attaqué – non pas, comme en 1973, 1967 ou 1948, dans des combats menés sur un champ de bataille, mais de façon bien pire. Des attaques ont visé les bus d’Haïfa, les discothèques de Tel Aviv, les cafés et les restaurants de Jérusalem. Un assaut a été mené non contre les soldats d’Israël, mais contre ses citoyens – les jeunes, les personnes âgées, les innocents. C’était un retour non pas aux guerres d’Israël, mais aux campagnes de 1936 et 1929, durant lesquelles s’affirmait la volonté d’anéantir la possibilité même d’une vie pour les juifs sur le seul territoire qu’ils connaissent collectivement comme le leur.

Le courage

Dans une guerre livrée sur un champ de bataille, les soldats deviennent des héros. Mais quand la terreur se répand dans les rues des villes, les magasins, pour semer la panique et le désespoir, ce ne sont pas seulement les soldats mais tout Israélien – adulte et enfant – qui devient un héros, révélant cette ultime force existentielle que le théologien Paul Tillich appelait « le courage d’être ». D’être, simplement, pour continuer jour après jour à ne pas céder à la panique, à la terreur, et refuser de reconnaître la victoire aux hommes et aux femmes qui sèment la mort. C’est le courage que nous appelons Gevurah. Non pas celui du champ de bataille ( Koach), mais la force morale intérieure d’un peuple courageux.

Mais le pire dans cette situation, c’est que les ennemis d’Israël ont tenté de le faire sombrer dans une crise non seulement physique mais aussi morale, voire spirituelle. Pendant presque dix ans, il a recherché la paix, il était prêt pour elle à réaliser des concessions majeures, il a même vu un Premier ministre perdre sa vie pour la paix. Pourtant Israël passe aujourd’hui pour un agresseur aux yeux d’une large partie du monde. Comme s’il avait voulu ainsi la violence, la perte de quelque mille de ses citoyens, les milliers de blessés, les familles brisées et dépossédées ; comme si Israël avait souhaité ces morts et ces blessés des deux côtés ; comme si les Israéliens avaient dansé dans la rue à l’annonce de la mort de leurs ennemis – le Ciel interdit qu’un Juif puisse commettre un tel acte ; comme si Israël célébrait le martyre de ses propres enfants, offrant leurs vies pour tuer au nom de sa foi. Le Ciel l’interdit.

Engageons-nous à faire tout ce que nous pouvons, quand nous le pouvons, pour Israël, selon nos capacités, non pas sur la base de la propagande mais dans le simple respect de la vérité. Articulons, en particulier, ce principe fondamental, qui devrait être évident mais qui n’est presque jamais mentionné dans les médias et par les politiques, selon lequel le conflit n’est pas un jeu à somme nulle : la victoire d’un camp et la défaite de l’autre. Ce ne sera pas une équation gagnant/perdant. Au contraire, avec la paix ce sont les deux camps qui gagnent, avec la violence les deux qui perdent. Cessons dès lors de voir la situation comme appelant à la défense d’une cause partisane, comme une rivalité. Cessons de souffler sur les flammes de la haine si nous nous soucions des enfants israéliens, des enfants palestiniens ou des deux. Soucions-nous simplement des enfants, quels qu’ils soient. C’est la seule façon de leur offrir un avenir. Arrêtons donc de discuter, mais joignons nos efforts et travaillons ensemble pour la paix. Il n’y a pas d’autre issue.

La capacité de discerner

Ce qui est en jeu en Israël et au Moyen-Orient dépasse cependant les préoccupations d’Israël et du Moyen-Orient. Comme nous l’avons appris à nos dépens, l’hostilité réveillée a une façon de réduire tous les juifs à Israël et l’antisémitisme à l’anti-sionisme. Laissez-moi donc être très clair dans mes propos. Trop souvent, le débat public n’est pas attentif à l’usage qu’il fait de la langue. Dans le judaïsme, employer une langue avec précision, c’est opérer des distinctions nécessaires et c’est un impératif religieux. À la fin de chaque Shabbat, nous recourons au rituel appelé Havdalah tout entier consacré à cet acte d’opérer des distinctions. Dans nos prières, nous incorporons cela en demandant à Dieu (par les paroles de l’ Amidah) de nous accorder l’intelligence humaine, la capacité de discerner. Si nous ne pouvons pas établir des distinctions, comment pourrons-nous nous orienter dans un monde complexe ? Oui, il s’agit d’une sainte tâche. Et ici, il y a quatre aspects que nous ne devrions jamais confondre.

En premier vient la critique légitime de l’attitude d’Israël, de son gouvernement, de sa politique ou de sa société : elle peut toujours être critiquée, avec des justifications certes discutables. De cela, nous ne devons pas nous plaindre. Une telle critique, interne ou externe, est essentielle au processus démocratique, et c’est tout à l’honneur d’Israël d’être une démocratie.

Le deuxième aspect est celui de la critique illégitime, qui implique le reportage tendancieux, une présentation distordue des faits, des mensonges parfois délibérés. Mais c’est le risque de toute société libre et la seule façon d’y remédier est la vérité, le recours à des arguments contraires et l’intégrité avec lesquels nous présentons les faits.

Le troisième élément, tout à fait différent, est un phénomène très inquiétant, car il dépasse la critique illégitime. Il proclame que, seuls parmi les peuples du monde, les juifs n’ont pas droit à un territoire national. Nous entendons revenir régulièrement cette revendication depuis la déclaration Balfour de 1917 et la résolution des Nations unies de 1947. C’est une balafre sur le visage de l’humanité qu’un peuple, dont le lien avec une terre est plus long que la plupart des autres peuples, se voit contester la légitimité de son droit à y vivre.

Le dernier point est l’anti-sionisme qui se répand aujourd’hui, depuis les figures extrémistes les plus violentes jusqu’aux expressions modérées, chez ceux qui, en Europe ou ailleurs, devraient comprendre plutôt que répéter ce que Julian Benda appelait la trahison des clercs – « la trahison des intellectuels ». Car cette idée que ceux qui luttent pour le droit de chaque nation à l’existence doivent en exclure les juifs est franchement inacceptable. Cet anti-sionisme n’est pas encore de l’antisémitisme. Mais, quand des synagogues sont bombardées, des cimetières juifs profanés, quand sont attaquées dans toute l’Europe des écoles juives et que sont agressés des juifs dans la rue, quand un journaliste américain, David Pearl, est assassiné au Pakistan parce qu’il est juif, c’est de l’antisémitisme. Le pas de l’anti-sionisme à l’antisémitisme est très vite franchi. Critiquer Israël est-il de l’antisémitisme ? Non. Toutes les fausses accusations contre Israël sont-elles de l’antisémitisme ? Non. La Grande-Bretagne est-elle un pays antisémite ? Non. Elle est un bon pays, décent et tolérant. Nous aimons la société britannique, à laquelle nous avons fidèlement participé depuis 350 ans.

Dire non

Mais nous demandons à chaque citoyen responsable de se souvenir. Rappelez-vous comment une chose mène à d’autres. Rappelez-vous comment des siècles de préjudice à l’encontre des juifs ont été récupérés et détournés vers le mal, par des hommes mauvais à des fins mauvaises. Rappelez-vous que la route vers l’enfer commence par un seul pas. Pour l’amour de Dieu, ou pour l’amour de l’humanité, levez-vous et dites « non ». Si l’histoire passée ou la dernière décennie signifient quelque chose pour vous en tant que chrétiens, musulmans, sikhs, hindous ou humanistes, ne laissez pas les juifs mener seuls ce combat. Si l’antisémitisme commence par les juifs, il ne finit jamais avec les juifs. Il est dirigé contre un groupe particulier de l’humanité, mais il est finalement une attaque de l’humanité elle-même – notre droit d’être différents, notre droit d’être sans crainte qui nous sommes. Les responsables politiques, les chefs religieux, les universitaires et bien d’autres, partout en Europe, devraient dire à chaque groupe – politique, religieux, associatif… : si l’antisémitisme ou l’anti-sionisme font partie de votre programme, nous n’avons rien à faire avec vous. C’est la seule requête : dire seulement « non », pas plus, pas moins, « non ».

De la responsabilité juive

Votre « Conseil représentatif » représente l’une des plus anciennes et des plus distinguées institutions juives britanniques. Il a façonné notre communauté, il a également contribué à former et à en inspirer d’autres. Quel est son rôle ? Structurer le judaïsme ? C’est un défi spirituel. Exprimer l’opinion de la communauté juive ? Défi impossible ! S’il y a deux juifs, il y a trois opinions. La tâche du Conseil peut se résumer en ces mots : défendre les intérêts juifs. Cette tâche, importante en tout temps, concerne les relations de notre communauté avec le gouvernement et avec d’autres communautés ethniques et religieuses, la défense des pratiques juives, et en général, de la façon la plus large possible, le souci, la protection et la défense de notre liberté d’être juifs ; notre sûreté, notre sécurité et notre intégrité en tant que juifs. Cette lourde tâche ne peut être remplie que par le Conseil.

Par lui, nous pouvons être en relation avec le gouvernement, l’Etat et la société, à travers une institution unique, en parlant comme un seul peuple. Car, comme peuple unique, nous croyons avec une grande foi – c’est bien le fondement religieux de ce Conseil – que « chaque juif est responsable d’un autre ». Le Conseil incarne ce principe dans notre communauté.

Il est une réponse au seul vrai problème auquel nous avons été confrontés de tout temps, de Moïse à nos jours : le sectarisme, la tendance à nous retirer dans les moments critiques, ou pour tout juif à dire qu’il sait tout mieux que les autres. L’incapacité à agir ensemble en tant que communauté a été le fléau de notre histoire et la cause de presque tous les désastres qui ont frappé le peuple juif.

J’adresse un appel à nous tous qui formons la communauté anglo-juive, comme partie du monde juif. Tout le travail que j’ai poursuivi pendant les dix dernières années, je l’ai résumé par l’expression « continuité juive ». Mais dans les années à venir, je souhaite que nous placions au premier rang de nos préoccupations un autre concept : celui de responsabilité juive. Tel est l’appel de notre temps, qui s’adresse plus spécialement aux jeunes.

L’historien de l’islam, Bernard Lewis, a avancé jadis cette idée qui me semble très forte pour nous, en cette période particulièrement, à l’approche de Rosh Hashanah et de Yom Kippur. Pour lui, tout groupe touché par de regrettables événements peut réagir de deux manières différentes. Il peut demander « qui m’a fait cela ? » ou demander « que puis-je faire pour y remédier ? ». Et ces deux approches donnent naissance à deux types de civilisation.

Si votre première réaction consiste à demander « qui m’a fait cela ? », vous créez ou vous participez de ce qu’on appelle aujourd’hui une culture de victime. Les juifs n’ont jamais eu – et j’espère n’auront jamais – une culture de victime. Il est facile et très tentant de se dépeindre en tant que victime. Cette attitude attire la sympathie, fournit une excuse à la colère et à la fureur et elle vous soulage de toute la responsabilité de vos actions.

Ni dans les temps anciens aux jours des prophètes, ni pour nous aujourd’hui au moment de Rosh Hashanah et du Yom Kippur, le blâme des autres n’est une réponse juive. Nous nous critiquons nous-mêmes. Nous reconnaissons nos fautes. Les temps mauvais révèlent le meilleur des juifs, parce qu’en eux est né un sens de la responsabilité.

Cet appel à la responsabilité juive dépasse toutes nos différences au sein de la communauté. Dans le judaïsme, les bonnes actions constituent un langage universel parce que tout besoin humain est un cri universel. Quelles que soient nos croyances ou appartenances, que nous soyons laïques ou religieux, jeunes ou vieux, de droite ou de gauche, œuvrons ensemble où nous le pouvons et respectons chacun là où nous ne le pouvons pas.


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