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En France, des entreprises pénalisées


Depuis plus de 60 ans, le tissu de Pme patrimoniales continue de se désagréger peu à peu, entraînant le délitement de nombreux territoires français et une difficulté pour l’économie française de régénérer de nouveaux champions internationaux dans des domaines où l’Etat n’a pas cru bon de devoir s’investir.

La fiscalité en matière de transmission d’entreprises a empêché la transmission des plus belles Pme françaises au sein des mêmes familles. La France ne disposant pas d’un tissu de Pme de taille suffisamment importantes pour les acquérir, ce sont souvent les plus grands groupes qui ont racheté ces entreprises familiales. Ce phénomène s’est accentué ces 20 dernières années, entraînant l’affaiblissement des territoires ; les centres de décision, et parfois les unités de production elles-mêmes, quittaient leur territoire d’origine.

L’organisation de l’Etat porte les traces de cette politique. Au sein du ministère de l’Économie, des Finances et de l’Industrie existent un ministère délégué à l’Industrie et un autre délégué au Commerce extérieur. Et puis un secrétariat d’État aux Pme, au Commerce, à l’Artisanat, aux Professions libérales et à la Consommation, qui a en charge l’essentiel de l’économie productive, la majorité des emplois et 60 millions de consommateurs, alors que le ministre de l’Industrie se consacre entièrement à 21 000 entreprises industrielles (sur 2 400 000 entreprises françaises), qui représentent moins de 10 % des salariés actifs et 4,8 % des exportations…

Pourquoi une telle focalisation sur l’industrie, célébrée dans le titre même du grand ministère, alors que celle-ci ne compte plus que pour 19 % du Pib ? L’État ne semble pas encore sorti de l’ère industrielle, et ne sait pas réellement prendre en compte les mutations économiques actuelles. Un tel déséquilibre révèle le problème majeur dont souffrent les Pme : un manque de reconnaissance de leur place essentielle dans la constitution du tissu économique et social français.

Or les Pme couvraient 59 % de l’emploi en 1985 et 66 % en 2001 tandis que les chiffres se sont inversés pour les grandes entreprises : 41 % en 1985, 34 % en 2001. Elles produisent 53 % de la valeur ajoutée, 30 % des exportations, et 41 % des investissements. Elles sont à la source de l’innovation : 42 % des brevets déposés dans le domaine de l’environnement, par exemple, l’ont été par des Pme. Elles sont le fer de lance des économies régionales et soutiennent la vie locale. Et surtout, elles sont – ou devraient être – le point de départ de la création des grandes entreprises. Comment rentrer dans un cercle vertueux qui aille de la petite à la grande entreprise, celle-ci donnant à son tour du travail aux petites et suscitant la création de nouvelles activités ? En accordant aux Pme toute l’attention qu’elles méritent et en facilitant leur fonctionnement, souvent entravé par des dispositions inadaptées à leur réalité.

A la recherche de la Pme perdue…

Tout le monde est d’accord pour stimuler le développement des Pme existantes. Mais de quoi parle-t-on ? Le gouvernement semble mettre l’accent aujourd’hui sur la constitution et la consolidation des petites entreprises, voire des très petites (les TPE). Mais chaque entreprise a toujours commencé petite… Est-ce les nouvelles nées ou les plus petites qui ont le plus besoin de soutien ? Les phases critiques de croissance des Pme se situent souvent entre 5 et 7 ans après leur création. L’important est la capacité de les faire croître pour qu’elles fortifient davantage le tissu économique.

D’ailleurs, la distinction Pme/Pmi est-elle toujours pertinente ? L’unification sous la même bannière ne doit pas masquer qu’il n’y a aucune commune mesure entre un cabinet de chasseurs de têtes de 15 personnes et une industrie d’extrusion du plastique de 200 personnes, sous-traitante de grands groupes automobiles. Les Pme recouvrent un champ quasi infini d’activités dans tous les secteurs, y compris ceux de la santé, de l’action sociale, de la culture et de l’éducation.

Trois Pme sur quatre sont implantées dans des communes de moins de 100 000 habitants : elles sont partie prenante de la vie économique et sociale de leur environnement. On ne sait finalement les définir que par des chiffres concernant leur quantité ou leur taille, et ces chiffres cachent des situations très différentes. Il y aurait environ 2 400 000 entreprises dans notre pays. Mais 93 % sont des micro-entreprises (dont 48 % n’ayant aucun salarié), 5,8 % des petites (de 10 à 49 salariés), 0,9 % des moyennes (de 50 à 249 salariés) et 0,2 % des grandes. Faut-il donc faire porter l’effort de développement sur l’ensemble des Pme, sur les 147 000 petites ou les 23 000 moyennes ? Soutenir en priorité le secteur industriel en déclin, ou celui des services qui semble plus porteur d’avenir ?

Comment agir efficacement sans connaissance plus objective et plus concrète de la réalité ? Combien d’études sur les 100 premières entreprises françaises et combien sur les 2 400 000 autres ? Nous ignorons comment fonctionne dans le détail le cœur de notre système économique. D’où des dysfonctionnements juridiques, administratifs, syndicaux, financiers : devant la complexité de cette « terra incognita » qu’est une Pme, on préfère faire comme si elle était une grande entreprise en miniature et lui appliquer les mêmes règles.

Pourquoi ne grandiraient-elles pas ?

Il n’y a pas assez de Pme en France. Ce leitmotiv est une preuve de plus de méconnaissance. On compare en général la France au Royaume-Uni qui compte plus de 3 600 000 entreprises. Mais outre-Manche, les grandes entreprises représentent la plus grande part de l’emploi, de même que dans la plupart des pays d’Europe du Nord (Allemagne, Belgique, Irlande, Finlande, Pays-Bas, Suède) ? En France, ce sont les micro-entreprises qui représentent en proportion la plus grande part de l’emploi, ce qui nous classe avec l’Espagne, la Grèce et l’Italie 1.

Le dynamisme économique ne peut donc seulement être mesuré à l’aune du nombre d’entreprises. Il est important qu’en apparaissent de nouvelles, il est plus important encore qu’elles puissent grandir. Or, en France, la continuité de développement entre petites et grandes entreprises est souvent mal assurée ; peu de grandes entreprises nouvelles sont issues de Pme. Cette faiblesse est commune à toute l’Union : sur les 25 plus grandes entreprises américaines actuelles, 19 n’existaient pas en 1960 ; les 25 plus grandes entreprises européennes existaient déjà en 1960. Sur les 1 000 plus grandes entreprises dans le monde, on compte 88 nouvelles grandes entreprises américaines (73 % sont des créations complètes et 27 % résultent de fusions). En Europe, la proportion est plus qu’inversée : 49 nouvelles grandes entreprises, dont 82 % résultent de fusions (Air France + KLM) et seulement 18 % constituent du « sang neuf » 2.

Cette différence s’explique par la capacité d’innovation des entreprises américaines mais aussi par l’accessibilité et la taille de leur marché. Mais le marché européen – potentiellement plus important que le marché américain – ne fonctionne pas encore réellement comme un marché intérieur permettant le développement de grandes entreprises européennes. Les Pme ont du mal à dépasser l’échelon national (elles ne pèsent que 30 % des exportations), sans doute pour une question de mentalité : leurs dirigeants peinent à se projeter hors des frontières. Mais c’est aussi une question d’harmonisation du statut des entreprises et de la fiscalité qui restent régis par les lois du pays d’origine. L’entreprise européenne n’existe pas encore dans les faits.

Les Pme souffrent donc d’un manque de reconnaissance en tant que force productive et facteur principal du dynamisme économique de notre pays. Mais les Pme portent elles-mêmes une part de responsabilité dans leurs difficultés.

Obstacles extérieurs à la reconnaissance et au développement

Moins de lois, mieux appliquées et plus équitables : c’est ce que le CJD recommandait dans ses propositions sur la simplification administrative 3. Les Pme ne peuvent pas se payer des services juridiques. Pourtant les nombreuses lois sont tellement complexes qu’elles posent des problèmes d’interprétation ; et elles ne tiennent pas compte des problématiques spécifiques des petites entreprises. La même loi pour tout le monde est un principe constitutionnel, mais la réalité est parfois anticonstitutionnelle…

Il est difficile aussi, pour les Pme, d’accéder à des marchés publics, réservés, dans les faits, aux grandes entreprises, mieux équipées pour répondre aux appels d’offre. Ces marchés représentent plus de 10 % du Pib, dans des domaines très innovants (NTIC, Santé, Défense…) Mais seulement 2 à 3 % de l’ensemble des Pme déclarent avoir été titulaires d’un marché public au cours des trois dernières années.

De leur côté, investisseurs et banquiers connaissent mal cet univers. Sans doute les responsables de Pme ne présentent-ils pas toujours leurs dossiers de manière convaincante. Mais les financeurs sont moins enclins à prendre des risques avec une Pme qui a une réelle ambition d’augmenter son chiffre d’affaires qu’avec une grande entreprise qui met en jeu des sommes bien plus considérables. Et l’on demande souvent aux dirigeants de petites entreprises d’être responsables sur leurs biens propres, ce qui les affaiblit.

La relation avec les donneurs d’ordre est tout aussi inégalitaire. Le délai de règlement moyen en France est de 64 jours (nous sommes les avant-derniers en Europe devant l’Italie – 95 jours, l’Allemagne se plaçant à la première place avec 29 jours). Ces délais mettent en péril la trésorerie des Pme et empêchent l’autofinancement. Et la défaillance de l’une d’entre elles entraîne, dans son sillage, d’autres défaillances, car l’État se sert le premier en tant que créancier privilégié et souvent, il n’y a plus d’argent pour régler les entreprises fournisseurs.

Le quatrième pouvoir, celui des médias, ne s’intéresse guère qu’aux grandes entreprises, à leurs flamboyants patrons, aux dérapages de certains d’entre eux, à leurs fusions, à leurs chutes. Difficile d’imaginer des gros titres sur le succès d’une Pme de 25 personnes installée à Guéret, même si elle crée des emplois et augmente ses bénéfices. On en parlera éventuellement s’il s’y déroule une croustillante histoire de harcèlement sexuel ou moral. Les seules Pme qui ont fait la Une s’appellent des start-up…, mais elles n’ont plus bonne presse ! Ne faudrait-il pas changer l’appellation même des « Pme », un sigle marqué d’une certaine « ringardise » et qui ne dit rien de la réalité humaine de ces entreprises ? Comment s’étonner que les Pme n’attirent pas les meilleurs qui préfèrent se diriger vers les grandes entreprises réputées plus prestigieuses ?

Le milieu éducatif, enfin, donne-t-il une bonne image du monde de l’entreprise ? Hors les filières professionnelles ou économiques, on n’en parle quasiment pas. Ce monde qui va devenir, pour beaucoup d’élèves, celui de leur vie professionnelle, n’est abordé concrètement, durant le cursus scolaire, que par un stage d’une semaine, en troisième – et encore pas dans tous les établissements ni pour tous les élèves. Il n’est jamais décrit que de loin, abstraitement et souvent pour en souligner les dérives.

Obstacles internes

Le dialogue social n’échappe pas à la logique d’un mode organisationnel centré sur les grandes entreprises, les entreprises publiques en particulier. Il a été pour l’essentiel pensé, en 1945, pour Renault, EDF et la Sncf. Des projets de réforme, en cours, doivent être considérés comme une première étape vers une structuration véritable du dialogue social au sein des Pme. Les organisations patronales et syndicales en sont-elles capables ? 4. Car si les Pme en France ont du mal à se développer, c’est aussi en raison de faiblesses qui leur incombent.

On n’a pas besoin de diplômes pour créer son entreprise et cette liberté ne doit pas être remise en cause 5. Mais la direction d’une entreprise nécessite aujourd’hui de plus en plus de compétences managériales, financières, juridiques, relationnelles, commerciales… Le dirigeant d’une Pme est souvent un commercial ou un technicien qui s’est lancé dans son projet sur une idée de produit ou de service et n’a pas appris à diriger. Or il doit élaborer une stratégie et décider dans un monde qui se complexifie. Souvent, il n’est pas conscient de ses lacunes. Il faut proposer des formations centrées sur les métiers du dirigeant et pensées par et pour des chefs d’entreprise.

Les entrepreneurs français ont peu l’habitude de travailler en réseau, en coopération, sans doute par peur de perdre leur indépendance ou de se faire « piquer » leurs idées. De même, ils hésitent à s’entourer de collaborateurs forts avec qui partager leur pouvoir. Pourtant, à chaque palier de croissance, une entreprise a besoin de se réorganiser et d’enrichir ses compétences, soit en interne, soit en externe. Un développement trop rapide et non maîtrisé est souvent cause de défaillance.

De « vieux » dirigeants s’accrochent à leur entreprise. Ils sont plus enclins à répéter « une formule qui marche » (à leur yeux) qu’à innover, et ils entrent dans une logique de gestion de patrimoine : comment, le moment venu, tirer le meilleur profit de l’entreprise. Ils prennent de moins en moins de risques et ne préparent pas l’avenir. L’ensemble de ces attitudes freinent évidemment le développement des Pme. Pour se rendre plus attractives, les Pme doivent aussi s’efforcer de changer leur mode de fonctionnement : en définissant mieux leurs stratégies, en revigorant le dialogue social par un management plus participatif…

Nous n’avons pas voulu opposer Pme et grandes entreprises, mais simplement souligner qu’elles sont de nature différente et que ce qui convient aux unes ne convient pas obligatoirement aux autres. Il existe des relations étroites entre les deux types de structures, le plus souvent dans un rapport de sous-traitants à donneurs d’ordre, au minimum de fournisseurs à clients. Ce rapport reste encore inégalitaire, voire malsain, malgré les lois récentes. Les grandes entreprises externalisent leurs contraintes sur leurs sous-traitants sans se préoccuper de la pression qu’elles reportent sur ces entreprises et leurs salariés. Cette relation inégale se transforme en obstacle au développement. Ne serait-il pas pourtant préférable que s’instaure une relation gagnant-gagnant, à travers des coopérations et des partenariats qui seraient pour chacun sources d’innovation et de croissance ? Les grandes entreprises ont autant besoin des petites que les petites des grandes.

Tout est mis en place, en France, pour la grande entreprise, les Pme étant d’abord vécues comme variable d’ajustement des grandes entreprises qui se défaussent sur elles des contraintes qu’elles ne veulent pas gérer, même si elles en sont à l’origine dans le cadre de négociations de branches notamment. L’autre vision de la Pme serait d’y voir un vivier, un réservoir de création de richesses au sein duquel il conviendrait de trouver les pépites de demain… Deux visions différentes sur le rôle et la place des Pme, mais aussi des grandes entreprises.



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1 / . Données Eurostat/DG XIIIEntreprises, Entreprises en Europe, sixième rapport.

2 / . Données fournies par Emmanuel Leprince (Comité Richelieu).

3 / . « Entreprises et administration : passer de la défiance à la confiance », décembre 2002.

4 / . CJD, Dialogue social : instaurer une culture de la négociation dans les entreprises, avril 2003.

5 / . 20 % des créateurs d’entreprises ont moins de 30 ans, 40 % ont de 30 à 40 ans. L’âge moyen d’un créateur est de 39 ans. 16 % n’ont pas de diplôme, 35 % ont le niveau CAP/BEP/BEPC, 17 % ont le BAC, 32 % un diplôme supérieur. (Source Insee, enquête SINE 2002).


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