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De l’administratif au stratégique


Ils sont à la fois comptables devant leurs dirigeant et devant le personnel. Préparer l’avenir de l’entreprise, c’est aussi respecter et valoriser les compétences des salariés.

Le DRH fait face à de nouveaux défis, à la croisée de deux logiques. Celle d’un stratège attentif aux évolutions de l’entreprise, celle d’un veilleur pour l’avenir des personnes et leur cadre de travail.

Le rôle du DRH a bien changé dans les entreprises, de façon inégale selon la taille, le secteur ou la culture d’entreprise. Autrefois gestionnaire de l’administration du personnel, il est de plus en plus associé aux décisions du Comité de Direction et sollicité par les homologues opérationnels dans la conduite du changement. Ce positionnement plus stratégique le rend en contrepartie plus vulnérable car la nature de ses missions et la pérennité de son emploi dépendent de la confiance que lui accorde le responsable opérationnel avec lequel il collabore. Aussi, la relation de confiance peut être remise en cause lors du changement de ce manager.

Nous aurions pu remonter plus haut dans le temps, grâce à la « bible » écrite sur la fonction par Jean Fonbonne1, qui a porté l’analyse de celle-ci depuis les années 1830, mais pour notre propos, les 55 dernières années suffiront !

Jusqu’aux années 50, les compétences principalement attendues sont juridiques, voire disciplinaires : il s’agit de bien appliquer les réglementations en matière de droit du travail et de négociation collective. La fonction a souvent été occupée par des militaires, à la fois pour leur sens de la discipline mais aussi de l’organisation.

Entre les années 50 et 60, vient la phase des relations humaines. Le salarié commence à être perçu comme la variable humaine qui influence l’activité. La population dans l’entreprise n’est plus un groupe homogène ; les outils typiques sont les baromètres de climat social dans l’entreprise.

Entre les années 60 et 70, c’est l’époque du développement des ressources humaines. La nature du travail, l’efficacité de l’organisation et la satisfaction des salariés sont liées. Les outils deviennent l’évaluation des potentiels, la planification des carrières, le début de la formation. Mais les événements de 1968 vont ramener au centre les relations sociales.

Entre les années 70 et 80, on parle de psycho-sociologie dans l’entreprise. L’entreprise est vue comme un organisme. Les techniques sociologiques et psychologiques prennent une place grandissante.

Entre les années 80 et 90, l’insistance porte sur la qualité totale, avec la focalisation sur les process. La formation, les universités d’entreprises visent à mieux associer les salariés au processus de production et à la qualité.

Depuis 1990, enfin, voici la phase de la gestion du changement. La fonction prend un rôle de consultant interne, et le DRH participe de plus en plus au Comité de direction.

Les défis des DRH

La réussite de l’entreprise dépend de plus en plus de l’implication des salariés qui deviennent co-créateurs de l’activité. Leur motivation et leur fidélisation sont donc primordiales. Et elles impliquent la reconnaissance de leur investissement, le respect que l’entreprise leur procure. Les managers sont en première ligne, le DRH doit les accompagner et mettre en place les instruments pour les inciter dans cette voie.

Par ailleurs, les modifications législatives, réglementaires et contractuelles sont si nombreuses que le DRH court de priorité en priorité, passant de la négociation des 35 heures à leur remise en cause, de la mise en place des formules d’intéressement à la construction de l’épargne salariale, de la compréhension des enjeux de la nouvelle législation de la formation aux formes concrètes du droit individuel à la formation (Dif) dans son entreprise, sans parler de la réforme de la médecine du travail, de la maîtrise de normes (IFRS)… Il a toujours l’impression d’être en retard d’une guerre ! L’implication dans une association professionnelle lui assure un gain de temps et d’efficacité, pour ne pas réinventer ce qu’un autre DRH a déjà mis en œuvre.

Et encore, si ceci se produisait dans un univers stabilisé ! Sa détermination à engager et conduire des actions à moyen terme est bousculée par des changements économiques et organisationnels incessants. Quand ce n’est pas le changement de son directeur qui remet en cause ses missions. Rude métier, qui fait de la stabilité émotionnelle, au moins apparente, une force : le DRH ne peut épancher ses états d’âme ni auprès de son patron, ni auprès des salariés qu’il accompagne. Parmi les nouveaux défis, nous en retiendrons cinq.

Gérer les compétences

Avec le nouvel accord sur la formation professionnelle et la loi de 2004, nous sommes passés de la formation comme finalité à la formation vécue comme l’un des moyens de la gestion des compétences. Au-delà d’une délégation au responsable de formation, c’est un enjeu que les DRH doivent s’approprier à la fois pour la mise en place des nouvelles dispositions mais aussi pour la suite. Car limiter la réflexion au Dif serait tronquer le dispositif. Il s’agit d’une responsabilité partagée entre le salarié et l’entreprise pour le maintien et le développement des compétences. L’observatoire prospectif des métiers et des qualifications au niveau de la branche, l’entretien professionnel annuel entre le manager et le salarié, le passeport formation, la validation des acquis de l’expérience, les périodes de professionnalisation forment un ensemble cohérent qui donne aux DRH les moyens d’anticiper les compétences nécessaires dans une période marquée par le retournement démographique.

Coopérer avec les managers

Dans une enquête réalisée avec les anciens élèves de l’Ecole Centrale, nous avons tenté de repérer les regards croisés des managers et des DRH sur le rôle RH des managers. Les uns et les autres sont d’accord dans de nombreux domaines, mais ils divergent sur les évaluations, sur la formation, sur la conduite du changement, sur la gestion des départs ainsi que sur les relations avec les partenaires sociaux. Il est toujours plus facile pour les managers de refiler les patates chaudes au DRH et de garder le beau rôle dans la relation avec les salariés.

Car le DRH n’est pas là pour faire à la place du responsable d’équipes, quelle qu’en soit la taille, mais il est à ses côtés pour le former, le conseiller, l’orienter dans sa relation avec ses subordonnés. « L’outillage RH des managers de proximité, pas plus que leur formation, n’entraînent mécaniquement de nouveaux comportements. Leurs effets bénéfiques, loin d’être automatiques, supposent au contraire d’être pensés, provoqués et entretenus »2.

Une compétence partagée : le recrutement

Le recrutement est un exercice difficile, que partagent le futur responsable hiérarchique, le DRH et souvent une aide externe. Un DRH me disait récemment que son DG lui tolérait 20% à 30% d’erreurs en la matière. Il me confiait aussi que ses 30 ans d’expérience dans ce domaine le rendaient méfiant sur les personnes, toujours à rechercher la faille. Comment en effet sécuriser le dispositif du recrutement par un regard croisé de plusieurs responsables, et en même temps éviter de ne recruter que des clones. La gestion de la diversité vantée dans la période suppose cette capacité à prendre des risques dans ses recrutements.

Maintenir les liens

La direction des ressources humaines répond et forme les autres à répondre au besoin existentiel partagé par tous les humains : être écouté et reconnu en tant que groupe et en tant que personne. Par le maintien dans l’entreprise d’un réseau de relations, il s’agit d’être en capacité de ressentir les évolutions de l’entreprise, de tel ou tel secteur, des personnes elles-mêmes. Cette préoccupation permanente permettra de conseiller utilement la Direction et les collègues en temps normal et plus encore en temps de crise. Elle permettra d’intervenir de façon pertinente au Comité de direction dans le cadre des décisions à prendre3. Ce réseau de relations et l’estime qu’il fera naître donneront aussi au DRH la possibilité de dépasser l’image classique de « coupeur de têtes » à laquelle la fonction est parfois attachée.

Comprendre les évolutions externes de l’entreprise

C’est sans doute le défi majeur. Le DRH doit par définition être un homme ou une femme ouvert(e) sur son environnement. Il doit comprendre les nouvelles attitudes des salariés et ce n’est pas toujours facile. J’ai par exemple participé à des réunions d’un groupe de l’Andcp sur la drogue, ses différentes natures, ses effets, sa prévention. Ou sur les relations possibles entre DRH, médecins de ville et médecins du travail à propos des arrêts de travail.

Le DRH a une fonction de recruteur voire de pilote en matière de reclassement. Il ne pourra le tenir qu’en coordination avec tous les acteurs du marché du travail sur le bassin d’emploi, le service public de l’emploi, les collectivités locales… Ainsi, une DRH de Reims ayant subi deux échecs successifs pour le recrutement de cadres, non pas à cause des compétences mais des difficultés d’acclimatation de la famille, a mis en place une relation personnalisée du futur embauché avec le Bureau de tourisme de la ville de Reims pour une prestation personnalisée en direction de la famille du cadre recruté.

Pour anticiper la façon de répondre aux besoins de compétences, un lien étroit est important avec le système de formation en vigueur dans le bassin d’emploi ou dans la spécialité de l’entreprise. La participation active à un conseil d’administration d’un établissement d’enseignement professionnel bien choisi pourra donner des clés d’intelligence et d’influence, pour peser sur les évolutions quantitatives et qualitatives des systèmes de formation.

Le DRH joue enfin un rôle de veilleur, indispensable : il est le mieux placé dans l’entreprise pour recueillir les signaux faibles, afin de jouer un rôle efficace de conseil auprès de ses collègues, auprès des salariés et de leurs représentants.

Et demain ?

Les résultats d’une étude prospective sur le devenir de la fonction, à laquelle nous avons été associés4, sont très instructifs. Cette prospective distingue la logique d’affaire, en rapport avec l’évolution de l’entreprise et la logique professionnelle qui part des principales tâches qu’assume le DRH avec son équipe.

Selon une « logique d’affaire », le DRH de demain sera international. Dans toute entreprise, même la plus petite, la dimension internationale ne peut plus être ignorée. Le DRH va devoir gérer des personnes de nationalités et de cultures différentes, pour le personnel ouvrier ou les cadres. Alors que cela paraissait impensable il y a quelques années, il pourra parfois être d’origine différente que la majorité de son personnel.

Il devra avoir une « orientation business » : la connaissance du produit, de l’entreprise et de ses marchés, sera déterminante pour asseoir sa position stratégique et son autorité au sein du Comité de direction. Mais il aura en même temps à évoluer dans une logique du tout juridique – une dimension qui prend de plus en plus d’importance sous l’influence de la culture anglo-saxonne. Même s’il fait davantage appel à des conseils extérieurs, il devra avoir une forte culture dans ce domaine. Aura-t-il la figure d’un « directeur de la responsabilité sociale de l’entreprise » ? Il ne sera pas le seul garant de la RSE et il ne faut pas que ce soit sa spécialité. Mais lui et son équipe ne peuvent s’en désintéresser au risque de voir tout un champ de compétences leur, échapper.

Enfin, le DRH de demain devra comprendre le nouveau comportement des salariés. Il sera un veilleur par rapport aux évolutions externes de l’entreprise, pour anticiper et expliquer aux managers les comportements différents de leurs propres salariés. Par exemple, à propos du temps de travail ou des avantages sociaux (crèches d’entreprises…), le salarié d’aujourd’hui et de demain est et sera plus vigilant par rapport à l’équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle.

Si l’on regarde maintenant les évolutions de compétences vues de l’intérieur de sa fonction, selon une « logique professionnelle », le DRH de demain sera un gestionnaire d’individus. L’individualisation de la GRH va comprendre de nouveaux outils et de nouvelles pratiques (techniques du marketing, de la segmentation, de la fidélisation…). Il sera gestionnaire de compétences. Une gestion conçue dans une logique de performance à court et moyen terme de l’entreprise et dans un souci d’employabilité à plus long terme des salariés.

Il sera un contrôleur de gestion et un gestionnaire de rémunérations individuelles : la rémunération à la carte, la rémunération variable se développent, ainsi que les formules d’intéressement comprenant une part liée à l’entreprise, à l’équipe et à la personne. Cette évolution ne va pas toujours de pair avec les attentes des salariés, notamment des plus âgés. Le DRH aura à gérer cette contradiction. Il devra aussi imaginer les autres formes de rétribution susceptibles de fidéliser le personnel.

Il sera un gestionnaire de temps. La question des temps de travail le préoccupera encore même après les débats sur les 35 heures. Il s’agira d’imaginer de nouvelles articulations entre temps de travail, temps de formation et temps personnels.

Une nouvelle répartition des rôles DRH/DG et DRH/managers est à inventer, car ces derniers seront davantage formés à la GRH. L’enjeu sera d’accompagner cette formation et de suivre les managers dans leur rôle de conduite des hommes. Le DRH de demain devra encore poursuivre la recherche d’externalisation de certaines activités. Ceci lui permettra de consacrer plus de temps aux missions à plus forte valeur ajoutée. Mais quand certaines missions seront externalisées, il continuera à maîtriser la qualité du service rendu. C’est à lui qu’incombera une erreur dans la paie et non au fournisseur du traitement de celle-ci. Son rôle d’acheteur et de donneur d’ordre sera valorisé. Il aura aussi à s’investir encore plus dans le tout informatique. Si l’informatisation est une aide puissante, quand elle est maîtrisée, les équipes RH sont souvent en retard dans ce domaine.

Le DRH sera un ordonnateur du cadre de vie et des conditions de travail. En matière d’hygiène, de sécurité, d’environnement…, les équipes RH garderont une responsabilité forte en coopération étroite avec les opérationnels et les spécialistes du domaine. Il sera un optimisateur d’effectifs et un garant des équilibres sociaux. A lui de gérer cette contradiction : faire mieux avec moins de monde, sans que les grands équilibres sociaux et la dynamique d’entreprise soit rompue. La négociation avec les organisations syndicales continuera à occuper les équipes RH, à partir de réalités de plus en plus diverses selon les entreprises et les secteurs d’activité.

Le DRH de demain, enfin, sera un communiquant. Il a souvent, déjà, dans son escarcelle, la communication interne. Mais même si celle-ci ne dépend pas de lui, il doit faire passer les messages de la direction aux partenaires sociaux et au personnel.

Naturellement, comme dans toute prospective, la figure du DRH que nous venons de tracer dépendra de ce que les acteurs en feront. Elle dépendra aussi de la taille et du secteur de l’entreprise. Mais la conclusion la plus claire qui ressort de ce scénario, ce n’est pas la disparition de la fonction mais bien sa complexité croissante. Le DRH est au cœur des contradictions de l’entreprise. Son rôle sera de rendre la performance acceptable pour les collectifs et les personnes en l’absence de systèmes de régulation forts.



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1 Jean Fonbonne, ancien Président de l’Andcp, Personnel et DRH.

2 Etude d’Entreprise et Personnel.

3 Dans les enquêtes récentes menées par l’Andcp, les DG des plus grandes entreprises situaient la fonction RH comme centrale et n°2 dans les fonctions supports de l’entreprise…, après la fonction finances.

4 Etude menée par l’université Paris Dauphine et l’IAE de Caen, impliquant de nombreux praticiens et des experts. Le graphique de la p.18 est extrait de leur synthèse.


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