Une revue bimestrielle, exigeante et accessible, au croisement entre le monde de la recherche et les associations de terrain.
Je suis professeur de lettres depuis trois ans et, cette année, d’histoire-géographie, en lycée général (1e S), technique (1e Stt gestion) et professionnel (Bep et Bac pro), dans un lycée privé catholique à Noisy le Grand (Seine-Saint-Denis).
J’ai toujours voulu être prof. J’ai commencé par être maître auxiliaire, tout en passant le concours externe : le passage par l’Iufm et par l’ISP ne m’a pas apporté grand chose ; en effet, je trouve l’écart trop grand entre formateurs et élèves. Mais mon année de stage a été une expérience heureuse car, dans l’enseignement privé, on bénéficie du soutien d’un enseignant « tuteur ». Le mien a été formidable. Passionnée par le métier, je n’ai peut-être pas trop de vie en dehors… Après deux ans sans conflit, j’ai découvert le lycée professionnel et suis tombée de mon estrade ! On est amené à relativiser en étant remis en cause par les élèves, mais cela apprend à travailler autrement.
Le contact avec les élèves peut aussi être éprouvant. Il est nécessaire de trouver le « truc » qui permettra d’accrocher l’auditoire. Par exemple, j’ai cours avec les « bac pro » chaque vendredi de 16h à 17h ; par chance, ils aiment la mythologie. Du coup, chaque semaine, nous y consacrons cette heure qui se passe dans le calme. Je préfère faire de la mythologie, même si c’est hors programme, plutôt que de m’égosiller pour tenter d’imposer un enseignement qui ne « passe » pas ou calmer une atmosphère conflictuelle dans la classe. Au cours de cette heure, si les points du programme sont abordés, c’est en rusant : il est plus facile de rechercher et d’expliquer une comparaison ou une personnification sur un texte qui suscite l’adhésion de tous.
Mais il ne faut pas croire que seul le lycée professionnel pose problème. Les jeunes de 1e S se prétendent scientifiques et n’aiment pas les lettres. Comme je suis leur professeur principal, je leur ai dit que je sortais moi aussi d’une série scientifique. En leur prouvant – à propos d’un texte de Diderot – que j’en savais plus qu’eux sur l’anatomie, j’ai réussi à gagner le respect d’élèves scientifiques en tant que professeur de lettres. J’ai aussi fait la démarche d’aborder des textes évoquant les sciences, domaine qu’ils préfèrent, afin de les toucher. J’ai mieux perçu combien le rapport à la motivation des élèves est crucial, quelle que soit la classe : il faut trouver un angle d’accroche pour les textes, varier les types d’activité, les dispositifs pédagogiques, les supports, afin de les surprendre, d’éviter la routine tout en respectant les programmes. La motivation est l’un élément fondamental de leur réussite, elle nous demande de faire preuve constamment d’ingéniosité. Ce n’est pas toujours aisé.
Certains soirs, je suis fatiguée et très en colère parce que je veux permettre à chaque élève de se construire comme individu et que je crois ne pas y être parvenue. Mais le lendemain, c’est fini…, quelque chose passe ! Chaque jour, il y a un défi à relever.
Si je continue, c’est vraiment que j’aime le contact avec les élèves, j’aime l’idée de transmettre un savoir (même si sur le moment l’impression domine qu’il n’en restera rien), j’aime leur montrer que j’ai une opinion sur les événements de la vie, comme eux. L’enrichissement est réciproque. En cas de difficulté, je parle avec les autres enseignants : l’équipe pédagogique travaille en commun. J’ai sans doute beaucoup de chance de bénéficier, comme jeune prof, de cette entraide mutuelle.