Une revue bimestrielle, exigeante et accessible, au croisement entre le monde de la recherche et les associations de terrain.
Pour tenter de donner quelques idées sur ma conception de l’enseignement, je l’aborderai par deux axes essentiels : celui de mes motivations et celui des freins rencontrés dans l’exercice de ce métier.
Je suis enseignante de Lettres-Histoire en lycée professionnel depuis maintenant cinq ans dont quatre passées au lycée Joliot-Curie à Dammarie-les-lys, en Seine-et-Marne. Ma formation première est celle en histoire (maîtrise d’histoire contemporaine). Pourquoi ai-je choisi ce métier ? Cela m’est apparu toujours « naturel » ; je ne sais pas si on doit parler de vocation mais depuis que j’ai eu conscience de ce que pouvait être un métier, j’ai eu envie d’être enseignante. Au début, j’imaginais être institutrice, mais après avoir fait quelques stages en école maternelle pendant mes études universitaires, j’ai compris que ce terrain ne me convenait pas. J’ai donc choisi d’être professeur dans le secondaire. L’option pour un lycée professionnel s’est faite sans réelle conviction : j’ai passé en même temps le Capes d’histoire-géographie et l’agrégation d’histoire, et c’est au PLP 2 que j’ai été admise.
Les motivations profondes pour exercer ce métier sont différentes aujourd’hui de ce qu’elles étaient au début de ma carrière. Il y a cinq ans, je pensais qu’enseigner consistait à transmettre un savoir, y donner goût en quelque sorte, partager une passion pour une matière, l’histoire-géographie. À présent, je suis beaucoup plus humble : j’espère contribuer à « réhabiliter » des élèves souvent « mutilés » par le système scolaire, leur redonner envie d’être, de nouveau, des élèves et de se forger un avenir. Remettre en confiance des jeunes en échec et leur faire comprendre que l’on peut réussir, en se donnant les bons moyens. Mon enseignement fait partie d’un tout. Pour en arriver là, il a fallu que j’accepte de désacraliser la matière que j’enseigne et qui m’est chère, être autre chose qu’un simple détenteur d’un savoir, en particulier accepter la nécessité d’être aussi une éducatrice. Toute la difficulté alors consiste à savoir jusqu’à quel point. Souvent, les élèves me disent que « tout ça ne sert à rien ». Face à ce constat, je n’ai trouvé que deux alternatives : soit m’insurger à chaque fois que j’entends ce genre de propos, soit faire mon deuil d’un certain contenu didactique pour aller plus loin dans des rapports humains différents. Cette transition n’a pas été facile : en sortant de l’Iufm, c’est précisément uniquement à ce contenu didactique que nous nous raccrochons.
Nous sommes face à des élèves en construction personnelle, il s’agit de permettre à des adolescents le passage à l’âge adulte, avec tout ce que cela comporte de difficultés, de questionnements et d’incertitudes. Pour cela, il faut, je crois, leur donner des clés de compréhension du monde dans lequel ils vivent, leur permettre d’être des individus autonomes, réfléchis, et de développer leur sens critique. Tant pis s’ils ne connaissent pas tout sur tel ou tel sujet historique ou littéraire, si je leur ai permis d’être quelque peu curieux et critiques face à ces sujets. Il faut indéniablement enseigner un savoir-être et des savoir-faire, les deux sont liés et doivent rester à part égale. Finalement, enseigner c’est aussi éduquer.
Par ailleurs, nous nous confrontons à des collègues dont les principes, les choix diffèrent des nôtres. Cela suppose d’accepter la critique, de se remettre en cause, d’échanger idées et démarches. Ce dialogue non plus n’est pas facile, mais il est très enrichissant lorsqu’il existe. Il nous permet aussi de nous renouveler, de tenter des nouvelles expériences pédagogiques.
Naturellement, on rencontre des freins et des entraves à l’exercice de ce métier. Le premier tient à la nécessité d’une discipline qu’il faut sans cesse instaurer au sein de la classe. Nous sommes face à des élèves difficiles, les conflits existent, qui peuvent être violents. La confrontation est épuisante physiquement et surtout psychologiquement, nous laissant, certains jours, très démoralisés. On peut perdre confiance et ne plus savoir véritablement à quoi l’on sert. Il existe aussi des contraintes matérielles indéniables : sans vouloir verser dans la caricature, il est vrai que notre travail est fondé sur des besoins en moyens humains, sur des notions d’effectifs. Or l’effectif d’une classe est un critère primordial de réussite. Aujourd’hui, on refuse de plus en plus des projets intéressants alors que l’on impose des heures et des perspectives de travail souvent inutiles qui ne correspondent pas totalement à ce dont nous avons besoin. Ainsi, et c’est une dérive récurrente de notre profession, on demande à l’enseignant d’intervenir dans beaucoup trop de domaines : il doit être à la fois pédagogue, psychologue, éducateur (parfois spécialisé), garant de l’intégration de l’élève dans le milieu professionnel, coordonnateur d’équipe… A vouloir trop s’éparpiller, ne perd-il pas en efficacité et en cohérence ?
Les nouvelles perspectives d’évolution des filières professionnelles annoncent la disparition de certains Bep au profit d’un « Bac Pro » en trois ans ; or certains élèves n’ont pas du tout le niveau requis pour accéder à ce diplôme. C’est aussi l’avenir du statut de l’enseignant qui est revisité à travers la terminologie du « lycée des métiers ».
Finalement, l’évolution de notre rôle est de plus en plus liée à des contraintes économiques qui visent à rendre l’école rentable, alors qu’elle doit avant tout former des élèves et des citoyens.