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Des droits menacés par la concurrence


La Ligue française des droits de l’homme, l’Association européenne de défense des droits de l’homme avec d’autres organisations affiliées à la Fédération internationale des droits de l’homme (FIDH), ont participé au Forum social mondial de Bombay. Le Forum représente un moment privilégié, fruit de tout un processus de préparation, et ouvrant sur de nouvelles étapes de mise en œuvre et de réflexion vers un prochain forum.

Un enjeu commun pour toutes les Ong

Les droits économiques, sociaux et culturels (les DESC) sont des droits, au même titre que les autres droits. A l’occasion des deux Forums sociaux européens et du Forum de Bombay, une démarche a été engagée de réflexion, de mise en commun et d’action sur ces droits. Notre principal partenaire dans cette démarche a été le CRID. Cette rencontre entre associations de développement et associations de défense des droits de l’Homme n’est pas fortuite : nous partageons une vision des rapports Nord–Sud, d’un développement équilibré basé sur le respect d’un cadre de droits communs à l’ensemble de l’humanité.

Au niveau international les progrès obtenus, grâce aux chartes et aux conventions internationales, sont trop souvent remis en cause sous le double prétexte de la légitimité nationale et de la liberté du commerce. Car, paradoxalement, la « liberté » économique se traduit par une hégémonie de grandes firmes multinationales, et par une concurrence entre États au niveau des droits. Une pseudo concurrence économique ne peut servir d’alibi ni justifier une « concurrence » des droits.

A partir de ce constat s’élabore le débat entre nous et les Ong qui luttent pour un développement équitable. La réflexion commune ne porte pas uniquement sur la situation des pays du Sud, mais sur les rapports Nord-Sud et sur la situation au Nord. En Europe, le niveau des droits n’est pas comparable à celui de la plupart des pays du Sud, mais le modèle social y est remis en cause par la concurrence entre pays de l’Union. Entre le Nord et le Sud, la question des droits pouvait apparaître différente il y a quelques décennies, aujourd’hui nous sommes dans une même logique. L’intégration européenne n’est pas en cause, au contraire c’est l’absence d’intégration des DESC dans le traité de l’Union qui est à l’origine de la concurrence des droits. L’espace européen est devenu un grand marché pour les marchandises et un espace de concurrence pour les DESC qui dépendent des seuls États. Les accords de libre échange, dans le cadre de l’OMC, sont une menace supplémentaire car ils pèsent de façon, implicite ou explicite, sur les législations nationales.

Cette situation de concurrence des droits rend l’application des conventions et des chartes internationales, comme la « Charte sociale européenne », ou le « Pacte des droits économiques, sociaux et culturels » d’autant plus difficile qu’il n’existe pas de protocole facultatif pour ceux-ci, comme il en existe un pour les droits civils et politiques.

Bombay a été l’occasion d’approfondir nos connaissances et nos réflexions sur ce point, en particulier en ce qui concerne l’Asie grâce à la présence d’organisations du continent asiatique, que nous ne connaissions pas ou que nous avions du mal à rencontrer. Lors du séminaire organisé sur ce sujet, Européens, Africains, Latinos-américains ont pu échanger avec des organisations d’Inde, des Philippines, de Corée, de Malaisie, et faire le constat commun de leur engagement pour l’effectivité des DESC et leur « justiciabilité ».

Un élargissement réussi, un lieu de cristallisation, une étape

La richesse du forum, ce fut non seulement les travaux dans les séminaires et ateliers, mais pour beaucoup, le contact avec la « rue du Forum », avec son mouvement incessant de cortèges, ses spectacles, ses stands, ses espaces de restauration, tout ce qui a permis ce brassage, ce regard et cet échange collectifs. Un monde qui, pendant quelques jours, existe et vit ensemble, avec le sentiment que demain, le regard, l’appréciation sur les organisations, sur les continents sur leurs habitants, sur leur culture, sur leur lutte ne pourront être les mêmes.

Cet élargissement montre à quel point le temps du Forum est important. Il est un moment de renforcement de la réflexion, des alliances et des actions, il est aussi un moment de prise de conscience que le travail réalisé par une organisation, par un réseau, est aussi une préoccupation pour d’autres, plus ou moins connus et qu’il n’est plus possible d’ignorer. Cela nous met en difficulté et nous oblige à travailler avec d’autres cultures, avec d’autres approches, à surmonter l’obstacle de la langue pour constater que dans le fond les analyses se rejoignent.

Plus que les constats, ce sont les modalités d’actions collectives qui posent problème. Par exemple, le rapport à l’État, au pouvoir, peut-il être le même quand on parle de droits dans un État démocratique ou dans un État non démocratique ? Parle-t-on de la même chose quand il s’agit de résister à l’érosion du pouvoir syndical et quand il s’agit simplement d’imposer l’idée de la construction de syndicats là où le communautarisme constituait le seul instrument de défense collective ? Il y a convergence sur la nécessité de faire respecter les accords internationaux et d’obtenir un « protocole facultatif » sur les DESC. Il est plus difficile de rapprocher des modalités d’actions quand, pour les uns, il s’agit de conquérir des droits et que, pour les autres, il s’agit de les maintenir. La question du travail des enfants est de ce point de vue exemplaire.

Le temps du forum n’est pas suffisant pour résoudre de telles questions. Aujourd’hui, la question n’est pas celle de la légitimité des Forums, mais celle de leur inscription dans le temps. Ils sont des moments privilégiés de cristallisation, autour de thèmes comme les DESC, résultat d’un travail préalable entre organisations au niveau international, régional, national, voire local, qui débouche sur des rencontres, sur des décisions d’actions et sur leur évaluation.

L’enjeu des forums pour nous, associations de défense des droits de l’homme, est de faire partager nos valeurs selon lesquelles il ne peut y avoir de liberté et d’égalité sans exercice de la citoyenneté, sans démocratie et sans droits, droits qui sont à la fois universels, indivisibles et effectifs. L’enjeu est aussi de nous renforcer et d’enrichir nos propres réflexions par l’apport de ceux qui sont présents dans les forums.

De ce moment particulier que fut le Forum de Bombay, nous pouvons tirer les enseignements suivants : l’élargissement en fut la première richesse dans sa complémentarité entre les « salles » et « la rue » ; les forums doivent être des étapes de cristallisation, ce qui implique de définir à leur issue un calendrier de rencontres et d’actions intermédiaires sur des thèmes particuliers. Ainsi, en ce qui concerne les DESC, avons-nous décidé d’être acteurs collectivement lors de la réunion prévue à Genève sur le protocole facultatif, de constituer des groupes de travail communs, d’intervenir au niveau européen à l’occasion des élections européennes, de définir après l’été les modalités d’un élargissement interorganisations du travail. Les prochains rendez-vous du Forum européen (à Londres, fin 2004) et du Forum mondial (Porto Alegre, début 2005), devraient se faire selon cette approche.


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