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La recherche peut-elle être plus utile au politique ?


Depuis quelques années, à travers plusieurs affaires comme la destruction d’essais d’OGM, l’utilisation de cellules-souches, la recherche se voit souvent suspectée de jouer aux apprentis sorciers et les décideurs politiques de suivisme ou de complaisance à son égard. Les rapports entre le monde des décideurs publics et celui de la recherche sont ainsi placés sous les projecteurs. Dans la réalité, les relations entre les deux sphères sont bien plus complexes et sans doute bien peu satisfaisantes, en raison simplement des faiblesses de la communication entre elles. Pourtant, l’élaboration des politiques nécessiterait de plus en plus l’appel aux capacités des chercheurs et l’ouverture des administrations.

Depuis longtemps, les responsables politiques et l’administration agissent selon un mode opératoire fortement déterminé par la pression des événements et leur résonance sociale. Pour résoudre un problème posé, c’est souvent dans une certaine urgence que l’on est conduit à réaliser les analyses, à identifier des solutions, à procéder aux nécessaires consultations. On mobilise avant tout les services centraux de l’Etat. Lorsque les sujets s’avèrent plus techniques, ceux-ci font appel à des experts, à des services d’études spécialisés, quelquefois à des chercheurs. On consacre alors des moyens plus importants à l’analyse des questions, à la constitution d’un état détaillé des connaissances et des expériences existantes, à l’identification d’un spectre plus large de solutions, à l’étude des impacts possibles et à la discussion avec les parties prenantes.

Les modes d’intervention des chercheurs sont variés : ils participent à des consultations comme experts, à des groupes de travail nationaux réunis à la demande de ministres, à des commissions et des groupes de travail du Plan et de missions interministérielles (ainsi la Mission interministérielle contre l’effet de serre), ou encore à des clubs scientifiques, comme ceux du Cnrs. Parfois, la demande amène à réaliser des modèles de simulation, afin d’évaluer les conséquences des décisions (par exemple, pour préparer des négociations internationales en matière commerciale ou des décisions de politique agricole).

Pourtant, cette articulation demeure approximative. Et la complexité croissante des problèmes met quelquefois en relief l’insuffisance des modes actuels de préparation de la décision. La première difficulté vient de l’urgence qui pèse sur l’action politique. Les gouvernements et les élus cherchent naturellement à montrer leur compétence et leur efficacité, en apportant des réponses rapides et en affichant des résultats. Or cette tyrannie de l’urgence entre parfois en contradiction avec la nécessité de disposer de temps pour que les processus de décision se déroulent dans de véritables conditions de rigueur intellectuelle.

Spontanément, l’administration se renforce dans son habitude de concentrer l’expertise en son propre sein, jusqu’à avoir le sentiment implicite de n’avoir pas besoin de recourir à des ressources intellectuelles externes. Mais peut-elle aujourd’hui, sur des sujets complexes, rassembler assez vite tous les savoirs nécessaires à la décision publique, à partir des seules ressources internes ? Ne faudrait-il pas, au contraire, définir des dispositifs d’investigation plus larges ?

La deuxième difficulté tient à l’état d’esprit qui prévaut dans le monde des chercheurs. La recherche fondamentale et la recherche académique considèrent qu’il n’est pas de leur ressort de répondre directement à des questions qu’elles n’ont pas été amenées à se poser elles- mêmes : c’est le rôle des experts. Répondre avec la rigueur et la prudence scientifiques nécessaires est cependant possible, mais il faut du temps et avoir réalisé des travaux en amont, ou bien disposer des connaissances qui permettent de répondre à une question comme simple application d’une théorie. Pour la recherche finalisée, au contraire, ce sont les questions qui se posent dans les sociétés qui orientent les travaux. Elle doit donc les anticiper. Mais cela ne signifie pas qu’elle soit en mesure de tout prévoir et tout anticiper. Certains ministères financent des appels d’offre de recherche qui pourront fournir des résultats dans des délais de deux ou trois ans. Pour aller plus vite, l’administration demande aussi que soient réalisées des « expertises collégiales », destinées à faire le point des connaissances acquises sur une question précise. Les chercheurs utilisent des modèles de simulation (certaines administrations disposent de leurs propres modèles) et peuvent ainsi contribuer au processus, mais le côté inévitablement normatif de ces modèles leur confère un pouvoir de conviction qui n’est pas toujours assorti de la prudence d’interprétation nécessaire.

Il faut donc dépasser les rigidités actuelles, issues de la pression de la demande politique et de la pression sociale, de la relative intériorisation du processus de décision par l’administration, de l’insuffisance d’anticipation de la recherche. Des signes positifs montrent que l’on peut aller plus loin : la mise en œuvre d’« expertises collectives » par les grands organismes de recherche, ou le récent rapport de R. Guesnerie sur le recherche pour le développement durable. Une plus grande fluidité dans la préparation des politiques serait assurée dans les différents ministères avec la création systématique d’instances de coordination rassemblant les directeurs des administrations, des représentants des parties concernées (entreprises, Ong, syndicats…), des experts et des chercheurs. Le Commissariat général au Plan, dont les groupes de travail ont toujours joué un rôle dans la préparation des politiques, pourrait faciliter efficacement cette articulation anticipatrice entre le monde de la recherche et celui de la décision publique.


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