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A l’heure où se réunissent à Tunis des responsables politiques des deux rives de la Méditerranée, la nature des relations entre l’Europe et les autres pays méditerranéens apparaît symptomatique des tensions actuelles. Elle nous interroge sur la manière de construire les solidarités internationales : multilatéralisme, modèle d’intégration européenne, émergence de la société civile. Elle concerne la construction de la paix : gestion des conflits, partenariats commerciaux, mouvements migratoires. Elle oblige l’Europe à choisir entre différents scénarios possibles pour son avenir : Europe « forteresse » ou Europe « sans rivages ». La Méditerranée est un laboratoire pour le rapport de l’Europe au reste du monde. Est-elle un fossé qui s’élargit ou un espace d’échanges ?
Après l’intégration actuelle des pays de l’Est dans l’espace européen, la question euro-méditerranénne se présente comme le défi des dix ans à venir. Le paradoxe actuel d’un espace où les denrées circulent beaucoup plus facilement que les personnes n’est pas tenable. Le programme Euromed de partenariat proclamé à Barcelone en 1995 n’a pas tenu ses promesses et la dimension sécuritaire l’emporte depuis le 11 septembre 2001. Pourtant, d’autres phénomènes, en particulier culturels, indiquent des développements prometteurs : l’influence musicale du Sud se développe (Raï), des métissages culturels existent, un islam européen émerge, avec des répercussions sur les pays d’origine, de véritables diasporas se stabilisent, etc. Trois points d’attention se dégagent : les politiques publiques, la question des imaginaires en conflit, les interactions humaines.
Sur le plan des politiques publiques, la gestion des évolutions actuelles ne peut être laissée au seul soin des lois du libéralisme économique. Le doublement à court terme de la population du sud de la Méditerranée, les questions sanitaires (maladies émergentes) et alimentaires (le manque d’eau) supposent que l’Europe finance le développement du Sud méditerranéen, sinon la migration sud-nord deviendra de plus en plus pressante. Faut-il rappeler qu’il y a eu 10 000 morts en cinq ans dans les diverses voies d’accès maritimes du sud européen ?
Une prospective s’avère nécessaire pour penser à la fois des politiques internes à l’Union et des politiques extérieures de coopération. Celles-ci devront dépasser leur caractère bilatéral et dépendre directement de l’Union dans son ensemble. Le projet de Constitution européenne qui, par exemple, retire la gestion de la Pac au domaine intergouvernemental pour la mettre sous l’autorité directe du Parlement, va dans ce sens.
Elargir le système Erasmus à l’espace méditerranéen, et créer un Office euro-méditerranéen d’échange de jeunes, à l’exemple de l’Office franco-allemand de la jeunesse lancé après la guerre, de manière à favoriser des relations interpersonnelles :de telles initiatives seraient un contrepoids au jeu des imaginaires, influencés par les médias, qui stigmatisent les uns et renvoient une image illusoire des autres.
Favoriser les jumelages entre collectivités locales des deux côtés de la Méditerranée, qui sont également source de rencontres réciproques où chacun peut apporter à l’autre. De très nombreux jumelages de ce genre existent avec les pays d’Afrique noire, ils sont bien moins développés avec le Maghreb ou les autres pays méditerranéens.
Le rapport inégalitaire entre les deux rives, économique, politique, humain, est source de tensions. Il importe de favoriser tous les lieux d’interface et d’échanges où ce caractère inégalitaire est moindre, voire inversé : ainsi pour l’art, la culture ou la religion. Une attention doit être donnée à ces phénomènes culturels d’influence du Sud sur le Nord (comme aujourd’hui dans la musique raï en France, le renouveau de la musique arabo-andalouse en Espagne…), aux rencontres entre artistes, mais aussi aux métissages culturels de groupes folks (entre Turquie et Bretagne, Maroc et Macédoine…). Dans ces échanges culturels, les populations immigrées qui sont devenues de véritables diasporas jouent un rôle d’interface. Mais l’enjeu est de le valoriser.
Sur le plan religieux, s’il est devenu classique de rappeler l’importance d’une meilleure connaissance des religions en présence (islam, christianisme, judaïsme…), il semble aussi nécessaire de parvenir peu à peu à une convergence de lectures communes du fait religieux. Cette convergence suppose, pour l’Europe, un effort sur la place donnée à la connaissance des religions - de l’islam - dans les écoles publiques et, pour les pays du Sud méditerranéen, une exigence de respect et d’information vis-à-vis du christianisme et des chrétiens habitant ces pays. Dans les deux cas, se pose la question d’une laïcité ouverte à renforcer ou à construire. C’est aussi le défi d’un échange des mémoires sur l’histoire passée et l’essai d’écriture d’une histoire qui puisse se dire commune.
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