Do not follow this hidden link or you will be blocked from this website !
Logo du site
Dossier : L'air de la ville
Dossier : L'air de la ville

La paroisse carrefour


Resumé Avec la ville, la paroisse évolue. Sa figure est le signe de nouveaux chemins de rencontre et de socialisation.

Au long des siècles, la paroisse fut un lieu de structuration de la vie publique, de cohésion sociale pour les habitants d’un territoire délimité. Elle assurait un rôle civil, consignant dans un registre tous les actes importants de l’existence : baptêmes, mariages et extrêmes-onctions. Elle aidait à rythmer les journées, les mois, les années, en introduisant des moments de fête. Elle suscitait des sentiments d’appartenance à une même communauté, qui s’exprimaient parfois à l’occasion de fêtes solennelles : processions, fêtes patronales, etc. De même, lors des conflits qui affectaient la vie collective. Au moindre danger (brigands, soldats…), les paroissiens se précipitaient dans l’église avec quelques coffres et un peu de bétail. Elle rassemblait la communauté des âmes sur un territoire, en constituant le cadre dans lequel la vie civile pouvait se dérouler.

Ce monde n’existe plus. Pourtant le rêve demeure d’un quartier ou d’une ville soudés, formant une communauté de vie où chacun peut trouver sa place et se sentir participer. Et il se teint des couleurs de l’utopie dans les quartiers des banlieues ou dans les cités satellites des grandes métropoles. Cités dortoirs, voisinages pluriethniques, émigration et déplacements, replis communautaires et individualisme croissant : comment donner de se rencontrer vraiment et de faire société ? Comment construire une ville, un quartier qui ne soient pas une simple cohabitation ?

Je suis convaincu que les paroisses, non pas celles rêvées, mais telles qu’elles sont, au moins certaines d’entre elles, peuvent être encore source d’inspiration pour trouver des chemins de socialisation. Certaines paroisses, dans les banlieues, ont su s’adapter aux nouveaux rythmes de vie et aux attentes des personnes, elles ont su ouvrir des canaux de rencontre et de relations dans un monde individualiste et en mouvement. Dans un contexte où tout est « pluri » : pluri- culturel, ethnique, religieux, social…, où chacun suit sa propre trajectoire, en mouvement pour améliorer ses conditions de vie, elles sont devenues des véritables carrefours, qui aident les gens à se croiser, à se confronter et à se reconnaître mutuellement ; elles ont su être un espace ouvert plus qu’un projet totalisant. Un exemple ? Voyons une ville de Seine-Saint-Denis.

De plain-pied dans la rencontre

Arriver dans cette paroisse situe de plain-pied dans la rencontre et le mélange des couleurs : Français blancs, Antillais, Polonais, Ivoiriens, Portugais, Tamouls… s’y côtoient. La dominante est colorée. Cependant, la couleur de la peau n’est qu’un élément de la diversité. Il y a les habitants des quartiers pavillonnaires et ceux des cités. Il y a les habitués de la messe du dimanche et ceux qui apparaissent de temps en temps, voire seulement à l’occasion d’une célébration de sacrements ou d’obsèques. Il y a les chercheurs d’une foi socialement engagée et les pratiquants d’une religiosité populaire. Il y a ceux qui ressentent l’exigence de partager leur foi avec d’autres, ceux qui recherchent le réconfort dans un moment difficile, ceux qui attendent un service de la religion, ceux qui désirent être accueillis, ceux qui se conforment simplement à une tradition, et ceux qui veulent faire plaisir à un proche… Des gens très divers par leurs idées, leurs goûts, leur culture, leurs habitudes, des gens qui souvent ne partagent même pas la façon de vivre et de comprendre la foi chrétienne. Tous n’auraient pas beaucoup d’occasions de se rencontrer : le contexte social leur offre peu de lieux pour cela. Ou peut-être ne saisissent-ils pas les occasions. Facilement chacun reste dans le cercle de la famille et des proches, ou entre gens de même origine. Il n’est pas rare de mal connaître ses voisins. Les racines poussées en Seine-Saint-Denis sont ténues, pour qui est souvent de passage. La rencontre ne va pas de soi, même à l’Église : rien n’amène au premier abord à fréquenter la paroisse. Il est toujours possible de rejoindre des groupes, des mouvements, des associations dans lesquels on retrouve des gens partageant la même sensibilité, les mêmes idéaux, les mêmes projets : des brancardiers de Lourdes aux membres du Ccfd, du groupe du rosaire aux « anciens » des JMJ. Sans oublier, bien sûr, les personnes plus « solitaires », qui n’ont ni le temps ni l’envie de se joindre à un groupe de référence, et d’autres encore qui passent par la paroisse sans être directement intéressés par la foi chrétienne, ou même qui se disent athées ou d’autres religions.

Le devenir commun n’est pas l’horizon auquel on peut s’attacher pour bâtir un projet. Et la relève ne viendra pas des nouvelles générations du quartier, qui souvent trouveront travail et maison ailleurs, mais de ceux qui arrivent eux-mêmes à Saint-Denis pour trouver logement et emploi. En même temps tous, militants de l’Aco, membres de la chorale, paroissiens anonymes, jeunes et vieux, Antillais et Polonais sont sensibles à un climat d’accueil. En entrant dans l’église, ils ont l’impression de ne pas être étrangers, inconnus, éléments d’une foule anonyme.

Les responsables de la paroisse sont attentifs à ouvrir un espace de communication : se parler, se mettre en jeu, s’écouter. Et à ce qu’il y ait place pour tous, même pour ceux qui sont de passage. Nombreux sont ceux qui interviennent, diversement, au cours des célébrations. Les jeunes qui participent à la rencontre de Taizé racontent qu’ils y ont vécu ; les habitants d’une cité sont invités à animer une messe en se présentant, et ils sont interviewés pendant l’homélie pour que leur expérience entre en dialogue avec l’Évangile du jour. On annonce publiquement et on prie pour les situations de douleur liées à un départ, une maladie, un deuil de quelqu’un du quartier. Ceux qui fêtent un anniversaire important sont appelés autour de l’autel au moment du Notre Père ou pour distribuer la communion… Chacun exprime ainsi ses difficultés, ses luttes, ses joies, en somme, tout ce qui le fait vivre aujourd’hui. Et le fait d’écouter ce que d’autres vivent ouvre parfois à une reconnaissance réciproque, donne de se sentir proches, de nommer des épreuves communes, de découvrir des liens, voire d’être remis en question dans sa façon de faire.

Libres d’aller et venir

Alors, on ne « passe » plus par la paroisse de l’extérieur, mais avec sa vie : on y fait l’expérience de quelque chose qui concerne chacun. Dans un contexte éclaté, aux racines fragiles, on est heureux de trouver un endroit où on peut se dire « chez-soi ». Les discours ecclésiaux encouragent l’utilisation du vocabulaire de la communauté, de l’unité. Est-ce tout à fait les meilleurs mots, les meilleures images pour comprendre ce qui se passe ?

Désirée, jeune ivoirienne arrivée en France depuis peu d’années, m’a proposé une autre image : « A la paroisse, tu vas, tu reviens : c’est un carrefour ». Un carrefour, « l’endroit où se croisent différentes voies », donne la possibilité de se rencontrer pour des gens qui risquent de passer l’un à côté de l’autre, sans se regarder. Un carrefour, c’est aussi une « situation nouvelle où l’on doit choisir entre diverses voies ». La nouveauté issue de la rencontre de divers chemins peut ouvrir des horizons imprévus.

Plus qu’une « communauté stable », cette paroisse est un espace dans lequel tous, chacun ou chaque groupe, ont la liberté d’aller et de venir, d’être considérés, reconnus dans leurs recherches, et même de s’engager. Un lieu ouvert dans lequel les personnes peuvent s’accueillir, s’encourager, s’inciter, se critiquer mutuellement dans leur chemin de foi. Un endroit où chacun passe avec ses recherches, ses désirs, ses fermetures, sa foi, à un moment de son itinéraire souvent difficile, où des liens se tissent, mais où les échappées invitent à faire de nouveaux pas. Il n’est pas simple de renoncer à la perspective d’une communauté de vie stable, dans laquelle les différences parviendraient à une synthèse, à une intégration durable, où tous s’engagent pour une même cause. On est confronté à un sentiment de fragilité et d’incertitude à l’égard de l’avenir, à la difficulté de faire face à des changements continus, à la tâche pour ceux qui sont déjà là de s’adapter à ceux qui arrivent et réciproquement, au défi de laisser les places de responsabilité. Dans cette perspective qui sollicite à être toujours « en travaux », une autre façon de s’engager est demandée : non plus d’adhérer à quelque chose de déjà prévu, mais de contribuer à bâtir avec d’autres une réalité aux contours ouverts.

Les fruits de cet engagement, de ces rencontres, ne sont pas garantis. Mais à l’expérience on constate que passer par ce carrefour donne l’occasion de réaliser que, malgré toutes les différences, un lien d’humanité était déjà à l’œuvre bien avant le moment de la rencontre. Les différences culturelles ou sociales ne sont pas annulées, mais la façon de regarder et de respecter les autres s’en trouve transformée toujours. La trace demeure de la rencontre, même si l’on suit des trajectoires différentes.

La paroisse-carrefour, qui bâtit des ponts entre mondes différents, peut être un signe dans la ville : elle parle d’un espace à la fois déterminé et ouvert, qui donne la possibilité d’établir des relations et de se reconnaître mutuellement. Elle n’est plus une « institution » prédéfinie, on y sera toujours en mouvement, mais elle favorise aujourd’hui les occasions de rencontre entre des personnes qui autrement ne se croiseraient pas.


J'achète Le numéro !
Dossier : L'air de la ville
Je m'abonne dès 3.90 € / mois
Abonnez vous pour avoir accès au numéro
Les plus lus

Les Marocains dans le monde

En ce qui concerne les Marocains, peut-on parler de diaspora ?On assiste à une mondialisation de plus en plus importante de la migration marocaine. On compte plus de 1,8 million de Marocains inscrits dans des consulats à l’étranger. Ils résident tout d’abord dans les pays autrefois liés avec le Maroc par des accords de main-d’œuvre (la France, la Belgique, les Pays-Bas), mais désormais aussi, dans les pays pétroliers, dans les nouveaux pays d’immigration de la façade méditerranéenne (Italie et ...

L’homme et Dieu face à la violence dans la Bible

Faut-il expurger la Bible ou y lire l'histoire d'une Alliance qui ne passe pas à côté de la violence des hommes ? Les chrétiens sont souvent gênés par les pages violentes des deux Testaments de la Bible. Regardons la Bible telle qu’elle est : un livre à l’image de la vie, plein de contradictions et d’inconséquences, d’avancées et de reflux, plein de violence aussi, qui semble prendre un malin plaisir à multiplier les images de Dieu, sans craindre de le mêler à la violence des...

Un héritage tentaculaire

Depuis les années 1970 et plus encore depuis la vague #MeToo, il est scruté, dénoncé et combattu. Mais serait-il en voie de dépassement, ce patriarcat aux contours flottants selon les sociétés ? En s’emparant du thème pour la première fois, la Revue Projet n’ignore pas l’ampleur de la question.Car le patriarcat ne se limite pas à des comportements prédateurs des hommes envers les femmes. Il constitue, bien plus, une structuration de l’humanité où pouvoir, propriété et force s’assimilent à une i...

Du même dossier

Compétition sportive compétition urbaine

Resumé Les villes affichent une politique sportive, qui participe de leur dynamique… non sans ambiguïté parfois. Le sport oppose des villes (les matches de championnat Bordeaux-Nantes, Lyon-Marseille…) ou il les expose : Jeux olympiques de Grenoble, 24 heures du Mans, classique cycliste Paris-Roubaix, arrivée du Tour de France à l’Alpe-d’Huez, etc. Fruit du hasard ou de la logique de diffusion du sport, quête de grandeur de quelques édiles ou produits des sociabilités, la présence du sport dans ...

La ville et ses quartiers

Resumé L’expérience d’un Chargé de la vie des quartiers dans une commune de banlieue. Projet – Qu’est-ce que la politique des quartiers dans une ville de banlieue, et quel développement vise-t-elle ?Patrick Norynberg – Dans le domaine de la politique de la ville, il y a deux piliers : l’urbain et l’humain. Ma sensibilité va plutôt à l’humain. J’ai eu à travailler sur la transformation structurelle du territoire, mais cela ne suffit pas. Les habitants de ce territoire ne pourraient y vivre longte...

Les ambitions nécessaires d'un projet de ville

Resumé La ville doit être repensée comme le fruit d’un vrai choix. Renouvellement urbain », « ville renouvelée », « refaire la ville », toutes ces expressions maintenant courantes traduisent la volonté de tourner le dos à l’ère d’un urbanisme-bâtisseur, d’une ville sans la ville.La ville du XXIe siècle doit être repensée comme le fruit d’un vrai choix collectif à travers une démarche fondatrice de la démocratie d’aujourd’hui : la seule qu’acceptent encore, parce qu’elle leur parle par la proximi...

Du même auteur

La laïcité à l’italienne

En Italie, la frontière entre héritage culturel et tradition religieuse est poreuse. La présence du Vatican y donne à la laïcité une coloration bien particulière. Certes, tous les États européens sont liés par les mêmes exigences en matière de droits de l’homme. Mais, face à la question d’une place faite à l’identité religieuse, ils mettent en œuvre une variété remarquable de politiques. Ainsi, en Italie, l’histoire et la présence de l’État du Vatican exercent une forte influence sur l’articulat...

Tribune italienne

Silvio Berlusconi est revenu pour un quatrième gouvernement. Mais la très nette victoire du Cavaliere aux élections d’avril 2008 a-t-elle produit en Italie le tournant qu’il avait promis à haute voix aux électeurs ? Et comment le nouveau Président du Conseil se pose-t-il face à l’Union européenne, lui qui a toujours été connu comme un eurosceptique ?Le paysage politique après les électionsLes élections des 13 et14 avril ont fait bouger, il est vrai, de façon radicale le cadre de la politique it...

Vous devez être connecté pour commenter cet article
Aucun commentaire, soyez le premier à réagir !
* Champs requis
Séparé les destinataires par des points virgules