Une revue bimestrielle, exigeante et accessible, au croisement entre le monde de la recherche et les associations de terrain.
Près de 300 personnes se sont retrouvées à Paris les 10, 11 et 12 octobre dernier : représentants formels et informels de lieux associatifs, universitaires, politiques et ecclésiaux. A la suite de l’Action populaire, le Ceras les relie dans un réseau ouvert et multiforme – réseau d’acteurs et de chercheurs, de catholiques comme de non-catholiques. Par leurs échanges et leur réflexion, elles ont reformulé l’actualité, à ce tournant de siècle qui est le nôtre, du projet né à un autre tournant, il y a cent ans.
La naissance de l’Action populaire ne se comprend qu’en rappelant que l’année 1903 est encadrée par 1901 et par 1905. La loi de 1901 sur les associations était « dirigée contre les congréganistes », a souligné l’historien Jacques Prévotat, et la séparation de l’Eglise et de l’Etat peut être lue comme le faîte d’un édifice législatif anti-catholique. Chez les catholiques, «la tendance est au ghetto et au repli sur soi ». L’Action populaire va très vite représenter l’une des traductions principales d’un « courant minoritaire favorable à la compréhension ce temps ». C’est ainsi, a poursuivi Philippe Lécrivain, professeur au Centre Sèvres, que l’Action populaire a su « se saisir de la loi sur les associations » pour soutenir toutes les initiatives allant dans le sens d’une prise en main des acteurs sociaux par eux-mêmes. Le catholicisme social de l’Action populaire - acceptant de facto la position politique nouvelle de l’Eglise dans la société - deviendra très rapidement « la cible privilégiée de l’intégrisme». En 1908 est créée la Revue de l’Action populaire. En 1914, elle compte 8000 abonnés ! Le tournant du siècle est bien pris. Dès lors, c’est à son rythme que l’Action populaire avancera.
L’anniversaire célébré par le Ceras marque aussi notre entrée dans un siècle radicalement neuf : il s’est présenté à nous un 11 septembre ensoleillé, dans l’épaisse poussière des Twin Towers explosées, comme cet autre tournant où chercher sur quoi prendre, nous aussi, un appui paradoxal. Chercher, c’est ce qui a été proposé durant la journée du 10 octobre à travers quatre « chantiers pour aujourd’hui » : mixité sociale et culturelle ; relations internationales ; avenir de la démocratie ; solidarités.
Dans les quartiers ou auprès des plus jeunes, la mixité sociale et culturelle est une voie d’avenir entre intégration imposée et conception fixiste des identités qui fait le lit des communautarismes. Elle permet et promeut la réciprocité, elle offre place à la mémoire immigrée, y compris dans sa composante religieuse. Des initiatives favorisant la mobilité individuelle et collective pourront la renforcer.
Les relations euro-méditerranéennes représentent un lieu significatif pour fonder d’autres relations internationales, contre une Europe repliée sur sa propre construction. La présence de véritables diasporas et la vitalité d’échanges culturels témoignant d’une forte imprégnation réciproque sont des points d’appui possibles pour développer encore les liens.
Comment la démocratie fait-elle face aux crises ? Quelle est fonction politique des débats publics ? Résister à l’affaiblissement démocratique suppose de relever un triple défi : « rattraper » la bonne échelle pour les différentes décisions politiques, repenser l’articulation entre public et privé en fonction d’un bien commun à requalifier, conjuguer et non opposer démocratie participative et démocratie représentative.
Enfin, dans les domaines du logement, de la santé, de l’entreprise, la place revendiquée du sujet et son besoin de reconnaissance sont les nouvelles donnes des solidarités à construire, qui nécessitent un apprentissage et le respect d’une durée où elle puisse se déployer.
Apprendre à être sujet et acteur de solidarité. Repenser « le territoire » du politique. Construire des relations euro-méditerranéennes nourries d’un échange renforcé. Donner voix à la mémoire immigrée et favoriser les déplacements sociaux et culturels des individus et des groupes : ambitieux programme ! La contribution spécifique du Ceras s’ancre dans l’exigence de justice liée à la foi chrétienne, lien exprimé par les participants à la table-ronde finale du 11 octobre. Et c’est à une contribution inventive qu’a invité le même jour François-Xavier Dumortier, Provincial de France des jésuites, faisant écho à l’intervention de Bertrand Cassaigne la veille. Plus de complexité, c’est plus d’invention, a affirmé ce dernier en présentant la « manière » de travailler du Ceras. Il ne s’agit ni uniquement de faire vivre la référence à l’enseignement social de l’Eglise en agissant par déduction, ni uniquement de reconstruire le sens chrétien à partir des phénomènes de société dans une démarche inductive. Il s’agit de s’appuyer à la fois sur le sens interne à la foi chrétienne, sur les références de la société (culture, sciences humaines…) et sur les pratiques et l’expérience sociales.
La corrélation entre ces trois éléments est comme le moteur d’une dynamique à mettre au service de ce temps. Avec à la clé un triple défi, explicité par Pierre Martinot-Lagarde : défi de « l’intelligibilité des enjeux contemporains », défi éthique de « l’orientation de l’agir »; défi de la « reconnaissance » dans ce temps « d’une humanité en devenir et d’un Dieu qui sauve ». Décidément, voilà qui n’est pas seulement affaire de spécialistes !