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Le "non" à la guerre en Irak (éditorial)

©The Us Army/Flickr/CC
©The Us Army/Flickr/CC

L’homme fort de Washington aujourd’hui divise, il interdit à son opposition de se regrouper, aux forces porteuses d’autres visions, à la recherche d’autres voies, de se catalyser, aux individus et aux sensibilités diverses de faire route commune. Il a réussi à affaiblir les opposants à la guerre, à les séparer en divers camps. Que peut-on espérer ? Un sursaut ? L’envie nouvelle de se risquer de la part de la vieille Europe ? Le souffle de la critique populiste de M. Rumsfeld balaye d’un seul coup toutes les ambitions de pays déclarés vieillissants, et surtout bien mal unis. Quel sera notre paysage demain quand il faudra reconstruire ?

Pourtant, même si les bruits de bottes ne cessent de se rapprocher, nous voulons dire « non » à la guerre en Irak et continuer à le faire. Un « non » politique qui, certes, s’appuie sur des convictions philosophiques, morales et religieuses, mais qui ne veut pas se suffire d’une adhésion

de convictions. Un « non » qui conteste l’hégémonie américaine, son unilatéralisme et sa suffisance, mais un « non » qui n’enlève rien à l’ignominie du dictateur de Bagdad, grand manipulateur capable d’instrumentaliser toutes les oppositions, de se servir de tous les recours. Un « non » qui continue de refuser la fatalité, quand les préparatifs de guerre et les manœuvres d’approche sonnent le glas d’une solution pacifique, quand un conflit engagé fait oublier les autres voies envisagées. Un « non » qui n’est pas d’abord un refus mais la détermination réaffirmée dans la recherche d’un projet avec les pays du Moyen-Orient. Un « non » qui manifeste la volonté d’aboutir et pour cela de rencontrer, pourquoi pas de rassembler, et nouer un dialogue avec tous les groupes qui acceptent de dépasser l’isolement sur des positions parfois proches mais mal ajustées.

Les premiers choisissent le refus moral et inconditionnel de la guerre – parce que boucherie, parce qu’horreur. Ils se heurtent à la réalité laminante d’un dictateur tour à tour immoral et amoral, qui se fait victime, qui se joue de toutes les confiances et détourne tous les moratoires. Leur engagement repose sur la forme la plus éminente de la vertu lorsqu’ils risquent le tout d’eux-mêmes dans un détachement conquis sur tous leurs liens identitaires, sur leurs solidarités et leurs crédibilités. Ce choix volontaire reçoit la force politique la plus éminente : il est engagement pour l’autre sans mesure, et engagement qui n’a pas de prix. Dans le conflit même, leur résistance demeure.

D’autres défendent le droit et les institutions internationales. Défense bien faible, à voir les réactions des Européens alliés traditionnels des Etats-Unis. La communauté des nations demeure très virtuelle, et la défense d’autres leaderships – français ou allemand – ne suffit à fonder une politique multilatérale, quand elle ne s’accompagne pas de discussions préalables. Bien plus, la posture adoptée par les chefs d’Etats et de gouvernements européens, soucieux de leur domaine réservé, n’a pas suscité une plus large adhésion d’opinions publiques pourtant relativement sympathiques aux thèses défendues. A fortiori pour peser outre-Atlantique, où il eût fallu un long travail de concertation pour que la tradition politique du wilsonisme, qui fut souvent minoritaire, l’emporte sur le va-t-en guerrisme dominant.

Certains se regroupent dans des mouvements d’opinion, et organisent des manifestations dans différents pays européens ainsi qu’outre-Atlantique. Alors qu’une autre conception du pouvoir est en jeu, une alternative à la domination des puissants, l’absence de lisibilité et d’engagement de la part des grandes institutions ou des partis a pu fragiliser ces collectifs.

Les derniers tentent de construire un projet pour une région du monde bousculée, où les autres acteurs au Nord et au Sud de l’Irak, à l’Est et à l’Ouest, ne cessent d’ambitionner de jouer un rôle dans un nouveau jeu, parfois ambigu et souvent fondé sur des marchés de dupes.

Au croisement de tous ces refus, le « non » à la guerre est bien ambitieux et fragile. Il est nécessaire, même s’il est coûteux. Il impose un rapport de puissance à puissance, plus qu’un rapport d’alliance avec les Etats-Unis. L’Europe, sans doute plus que la France, a une tâche devant elle dont le ressort peut trouver sa force dans ses origines. Alors que tout pouvait contribuer à la désunion et l’exacerber – les disparités économiques et démographiques, les inégalités d’investissement dans l’avenir et la recherche –, les Européens ont contribué dans l’après-guerre à structurer une vision politique autour d’un « non » raisonnable et libre, raisonnable parce que libre. Au Proche-Orient, tout ne s’arrête pas à l’Irak. Le pétrole, et les autres énergies demain, les marchés et les spéculations financières, les différentiels démographiques, le partage de l’eau, les conflits religieux, tout peut mener à la guerre, mais aussi rendre la paix plus libre en étant très nécessaire. Rassembler les voix du « non », c’est cela aussi. Il n’est nul besoin d’attendre.


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