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Le discours politique engage (éditorial)


La démocratie est en chantier. Les travaux n’ont pas commencé le 21 avril, ils ne s’achèveront pas le 16 juin. L’aventure est de longue haleine : les pierres déplacées sont nombreuses, les édifices ébranlés imposants, quelques-uns des nouveaux monuments sortent à peine de terre. L’aventure est aussi risquée. Mais contrairement aux usages habituels des chantiers, si le port du casque est obligatoire, l’accès n’en sera pas restreint, bien au contraire.

Depuis dix ans, de multiples acteurs de la société civile ont déjà posé leur pierre. A l’intérieur comme à l’extérieur de nos frontières, associations et militants citoyens ont contesté le primat de l’économie sur la politique, ils ont refusé d’approuver des décisions qui n’émanaient que d’un consensus d’experts, ils ont demandé à participer à la délibération. Ils n’étaient pas les seuls : industriels et groupements commerciaux ont fait entendre leur voix dans les instances bruxelloises ou parisiennes. Les acteurs sociaux ont tenté de remettre à plat les mécanismes de la solidarité sociale. Avec eux déjà, les responsables politiques n’étaient plus seuls.

Aujourd’hui, les instances religieuses et les croyants, acteurs particuliers de la société civile, cherchent comment faire entendre leur voix. Une occasion est donnée aux communautés musulmanes de débattre avec les pouvoirs publics et de construire des liens durables avec les collectivités locales et nationales. Catholiques et protestants, représentants d’un christianisme désormais largement minoritaire, auront à éviter de s’enfermer dans la défense de bastions bien fragiles, sinon parfois surannés. De l’éducation à la santé, du développement à la solidarité, ils auront à expliciter davantage comment leur foi, loin d’être un catalogue de certitudes, un corpus fermé de doctrine, est appel constant à réinventer des communautés humaines plus justes et plus durables. Les expériences et les engagements parleront davantage que les discours.

Depuis le 21 avril, d’innombrables citoyens se sont exprimés. Défilés, manifestations, drapeaux, hymnes et slogans traduisent le désir de se retrouver pour dire non à l’exclusion, au racisme et à la xénophobie. Dans les rues le 1er mai, les affiches et les calicots relevant de la dénonciation dominaient, les propositions et les projets susceptibles de construire et de rassembler étaient plus rares. Faire résonner les mots phares et respecter les musiques n’est qu’un point de départ. Comment formuler et décliner des manières d’être et d’agir qui contribuent à humaniser le monde commun ?

D’autres citoyens ont rappelé leur souffrance. L’expression est souvent malhabile, elle choque, perturbe et fait mal. Les discours sont excessifs, ils ne peuvent trouver de traductions concrètes et immédiates sans préjudices graves. Alors comment comprendre ? Violence ? Insécurité ? Mal-être ? Injustice ? L’insatisfaction ne vient pas seulement des exclus, des 9 % de chômeurs, des habitants des territoires industriels aujourd’hui en jachère. N’est-ce pas l’envers d’une solidarité, d’une générosité privée, qui trouvent peu d’encouragement et de soutien ?

Désormais, tous les acteurs sont en présence. Aucun ne peut être ignoré sans grave méprise. Mais, il faut trouver les manières d’organiser les délibérations et mettre en œuvre de véritables pratiques démocratiques. Se hâter vers une réforme constitutionnelle serait sans doute un leurre : ne risque-t-on pas de s’étriper sur de faux débats, d’agiter les épouvantails d’un gaullisme dépassé et d’un parlementarisme brouillon, de s’encombrer de procès d’intention avant même d’avoir vu clair sur l’étendue des difficultés.

L’ambition démocratique invite aujourd’hui à réorganiser la rencontre des acteurs et à favoriser entre eux la confrontation des libertés. C’est

là le rôle le plus important des responsables politiques aujourd’hui. Fédérateurs des énergies, artisans du lien social, ils auront à trouver le langage d’un bien commun qui exprime un projet collectif. Dialogue et délibération en sont des étapes essentielles. Personne ne peut choisir,

a priori, ceux et celles qui sont dignes de participer : le risque est trop grand d’un moralisme de mauvais aloi, qui censure les discours, et empêche d’entendre ce qui veut s’exprimer. Mais les citoyens doivent choisir délibérément ce sur quoi ils veulent s’affronter. Je ne crois pas que l’on puisse débattre, entre autres, de la race ou de l’orientation sexuelle sans risquer exclusion et sectarisme. La frontière entre le privé et le public doit être maintenue, redéfinie. Mais, à l’inverse, je crois que l’on peut évaluer, critiquer, s’opposer, argumenter sur toutes les formes concrètes de solidarité : les plus visibles sont du ressort de notre Etat-providence, les plus invisibles puisent leur ressort dans les mécanismes économiques et politiques plus profonds, dans le jeu des échanges et des rapports de pouvoir.

Projet n’a eu de cesse, au fil des articles et des dossiers, de revenir sur ces enjeux, il continuera de le faire, espérant participer ainsi à l’élargissement du débat démocratique.


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