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Dossier : Prisons, les verrous et le droit

Des intervenants extérieurs pour changer la prison Table ronde avec Jean Cachot, Liliane Chenain et Alain Jego


Resumé Visiteurs, aumôniers, membres d’associations agissant dans les prisons, ils sont partenaires de l’administration pénitentiaire. Mais ne les considérons pas comme des accompagnateurs de la peine. Ensemble, ils permettent à chacun de présenter ses multiples visages, ils soutiennent la construction d’une vie collective, qui ne soit pas enfermée entre quatre murs dans des rapports de violence.

Projet - Dans ce dossier sur l’état actuel et l’avenir possible des prisons françaises, nous voudrions débattre avec vous du rôle des intervenants extérieurs, bénévoles en général, et de leur place vis-à-vis des divers personnels pénitentiaires.

Liliane Chenain - L’Anvp est une association nationale reconnue d’utilité publique en 1951. Elle compte plus de 1 300 membres, dont près de 1 000 visiteurs de prison. Nous sommes présents dans la majorité des établissements pénitentiaires, où nous sommes plus ou moins nombreux. Nous allons à la rencontre des personnes incarcérées qui nous sont signalées par les conseillers d’insertion et de probation. Les détenus sont théoriquement informés de leur droit à demander à rencontrer un visiteur de prison, comme le stipule le code de procédure pénale. Les visiteurs de prison, citoyens bénévoles, par leur présence, renouent le lien social rompu par l’incarcération et permettent de construire un pont entre le dedans et le dehors. Evidemment, nous souhaiterions être plus nombreux dans les 172 établissements pénitentiaires français.

Jean Cachot - Les aumôniers de prisons ont une place quasi institutionnelle : ils sont agréés par le ministère de la Justice. La prison est un des lieux qui ont échappé aux lois de séparation de l’Eglise et de l’Etat. Dans le passé, l’aumônier occupait une place très importante. En entrant dans la vieille prison de Besançon, il y avait, d’un côté du portail d’entrée, l’appartement du directeur et, de l’autre, celui de l’aumônier. C’était la même chose dans les hôpitaux... S’il en reste quelque chose, la situation a heureusement évolué de façon considérable. En effet, les aumôniers chrétiens sont loin, aujourd’hui, de répondre à l’ensemble des besoins de la population carcérale. A Besançon, les musulmans représentent au moins 65 % des personnes détenues à la maison d’arrêt.

Notre fonction officielle est de répondre aux exigences de la « vie religieuse, morale et spirituelle » des personnes incarcérées. Nous les rencontrons individuellement, directement à leur demande, souvent par l’intermédiaire d’un surveillant ou d’un travailleur social. Nous organisons aussi des rencontres « d’enseignement » : groupes bibliques, échanges sur divers sujets, préparations de célébrations. Nous leur proposons enfin de participer à des célébrations...

Liliane Chenain - Je voudrais revenir sur l’agrément dont je n’ai pas parlé. Les visiteurs de prison dépendent des services pénitentiaires d’insertion et de probation. Ces services ont la charge de décider du recrutement des visiteurs, en particulier depuis la réforme de 1999, mais toujours sous couvert du directeur de l’établissement, responsable de tous les problèmes liés à la sécurité. Cette réforme installe de nouveaux services et remplace les comités de probation et d’assistance aux libérés. Désormais, les conseillers d’insertion et de probation peuvent intervenir soit en milieu fermé, soit en milieu ouvert. Ils sont dirigés par des directeurs de service pénitentiaire d’insertion et de probation. Les visiteurs de prison sont partenaires de l’institution pénitentiaire, sans pour autant appartenir à cette institution.

Dans le prolongement de la commémoration de la loi de 1901 sur les associations, nous avons pris l’initiative d’une enquête menée auprès des travailleurs sociaux. Nous travaillons parallèlement à l’élaboration d’un contrat d’engagement ou – le titre n’est pas encore décidé – d’un code d’éthique et de déontologie du visiteur. Nous réfléchissons en même temps sur la meilleure manière de nous resituer aujourd’hui vis-à-vis de l’administration et sur les manières de redéfinir le cadre de nos interventions.

Certes, notre association n’a pas le monopole de la visite en prison, mais plus de 80 % des visiteurs de prison appartiennent à l’Anvp, les autres sont plutôt isolés. Madame Guigou, quand elle était Garde des Sceaux, nous avait demandé de tenter de fédérer les visiteurs de prison en ce qui concerne leur formation. La visite en prison est d’abord fondée sur un rapport personnel, mais il n’est pas souhaitable de demeurer seul en face de problèmes que posent à la fois cette relation et les personnes incarcérées, de plus en plus en difficulté.

Jean Cachot - Depuis quelques années, l’aumônerie est soucieuse de prendre ses distances par rapport à l’Anvp pour que chacun reste à sa place, d’autant plus que celle-ci est d’origine chrétienne. Les visiteurs de prison doivent savoir qu’ils dépendent des services sociaux, non de l’aumônerie. Car il y a un risque, récent mais bien réel, de voir des individus essayer de pénétrer en prison comme visiteurs pour y faire du prosélytisme. Dans le projet de loi en cours de préparation, il y a à la fois une reconnaissance du fait religieux en prison et l’insistance sur l’interdiction de prosélytisme parmi les détenus. En visant surtout les musulmans, ce texte ne doit pas se tromper : le prosélytisme est aussi le fait de toutes sortes de personnes et de groupes religieux issus du christianisme. Et pour le moment, hélas, le code d’éthique de l’Anvp n’interdit pas explicitement le prosélytisme.

Projet - Comment la direction d’un établissement comme la Santé se situe-t-elle face aux intervenants extérieurs, les visiteurs ou d’autres ?

Alain Jego - La prison est un système complexe qui s’appuie sur une multiplicité d’acteurs d’horizons divers, aux missions différentes. Il y a d’abord les personnels pénitentiaires, avec des corps très variés de métiers : surveillance, services sociaux, maintenance, administration. Il y a ensuite les personnels non pénitentiaires, enseignants mis à disposition à temps plein par l’Education nationale, les médecins et infirmiers des services médicaux qui dépendent des services hospitaliers. Au-delà, on trouve des intervenants bénévoles ou rémunérés qui entrent plus ou moins ponctuellement dans les établissements pénitentiaires, appartenant à l’Anvp, au Génépi ou à d’autres associations.

Notre mission est d’assurer un fonctionnement le plus harmonieux possible d’une institution où des hommes et des femmes se trouvent contre leur volonté, placés là par la Justice « au nom du peuple français ». L’accompagnement et la prise en charge des détenus sont assurés par les professionnels salariés et des bénévoles. Un équilibre est toujours en recherche. N’oublions pas que toute personne incarcérée est censée retourner un jour ou l’autre dans le monde libre : ce peut être au bout de quelques semaines, de quelques mois, ou au bout de très longues années. Il est important que des gens venant de l’extérieur soient en contact régulier avec les détenus pour assurer ce lien avec la société. Pour moi, les aumôniers sont un peu à part, dans ce système : d’abord, ils ne sont pas tous bénévoles et ils répondent en outre à une obligation faite au système pénitentiaire, de permettre à chaque détenu de satisfaire s’il le souhaite aux exigences de sa vie religieuse ou spirituelle.

Projet - La population carcérale évolue. Comment les modes d’intervention des acteurs extérieurs évoluent-ils ?

Liliane Chenain - La population carcérale présente des handicaps socioculturels graves et l’incarcération elle-même contribue souvent à augmenter les troubles de comportement. Si l’on attend que ces personnes soient capables de vivre « normalement » après leur incarcération, on demande alors à la prison de résoudre des problèmes que la société tout entière n’est pas parvenue à résoudre. On compte aujourd’hui entre 700 et 900 mineurs incarcérés, 10 % de la population carcérale a entre 18 et 21 ans, et 44 % ont moins de 30 ans. L’exclusion n’est jamais définitive et nous, visiteurs de prison, sommes là pour en témoigner et le leur dire. Dans une perspective éducative, il s’agit de rendre ces personnes actrices de leur propre vie, mais nous ne sommes pas des spécialistes. Notre seul projet est de reconnaître chacun dans son humanité et sa globalité. Nous ne sommes pas dans « l’évaluation ». Nous sommes d’abord des écoutants, nous tentons d’aider la personne à maîtriser son environnement, son avenir immédiat et à élaborer éventuellement un projet d’avenir.

Alain Jego - Mais les visiteurs de prison ne sont pas les seuls à reconnaître chacun dans sa globalité ! L’ensemble des acteurs qui interviennent en prison essaient d’avoir une vision globale de l’individu. Ceci étant,

je sais bien que nous n’avons pas le même regard ni les mêmes obligations par rapport à l’institution, suivant la place que nous y occupons. Ce qui est intéressant, c’est la richesse des regards croisés de chacun des intervenants.

Jean Cachot - Je suis pour ma part très heureux qu’il y ait une multiplicité d’intervenants auprès des personnes détenues, car cela permet de respecter la diversité de leurs visages possibles. Ils sont aussi « vrais » sous tous ces visages. Et je voudrais rappeler que les intervenants privilégiés des détenus, ce sont les familles, sans lesquelles il n’y a pas de projet de réinsertion possible... Par ailleurs, je m’interroge quand vous dites que les visiteurs sont là « pour rien ». Il n’existe pas de visiteur sans projet vis-à-vis des personnes qu’il visite, quoi qu’il dise. On ne vient peut-être pas pour quelqu’un, mais on vient toujours pour quelque chose face à quelqu’un. Il en est de même pour tous les intervenants. Quelquefois, il serait utile d’être au clair ! Les aumôniers ont pour projet d’épauler des gens dans leur traversée du désert : ceux qui tombent, quand ils arrivent dans le monde carcéral, ont perdu leurs repères ; alors ils peuvent ne plus savoir vraiment qui ils sont. Nous sommes là pour témoigner à qui veut l’entendre qu’un avenir lui est toujours ouvert, parce que personne n’est identifiable à ses actes. Un regard de pardon sur lui est toujours possible. On ne tombe pas en prison par hasard : derrière une entrée en prison, il y a toujours une histoire, une histoire d’échec. Ce regard de pardon peut leur permettre de demander pardon, également de découvrir qu’ils peuvent aussi pardonner à ceux qui les ont fait arriver là. Notre travail peut leur faire prendre conscience qu’ils sont en prison parce qu’ils n’ont pas respecté la loi, mais aussi et surtout parce qu’ils ont oublié qu’ils avaient autour d’eux des frères. Nous avons aussi une mission importante – peut-être la plus difficile – par rapport à l’extérieur. Il s’agit de faire prendre conscience aux chrétiens, dans les paroisses, que la prison n’exclut pas de la communauté chrétienne : les aumôniers sont des passerelles entre les communautés du dehors et celles qu’on essaie de créer et de faire vivre derrière les murs. A mon avis, l’évolution du monde carcéral va plutôt dans le bon sens depuis quelques années. Je pense même que l’institution pénitentiaire est la moins mauvaise possible dans la logique du système. Je m’inquiète davantage de l’évolution de la population carcérale, de plus en plus difficile à gérer : on oblige à cohabiter des gens mal en point que rien n’a préparés à une telle « vie ». Par exemple, la confrontation entre des auteurs de délits sexuels, présumés ou condamnés, et des jeunes de quartiers défavorisés représente un mélange explosif porteur d’une violence inimaginable. L’administration pénitentiaire s’use à gérer cette violence, au détriment d’autres actions et projets.

Projet - Concrètement, les gardiens de prison ne sont-ils pas écartelés entre leur rôle de surveillance et leur rôle d’insertion ? Comment se passe le dialogue entre les intervenants extérieurs et ces partenaires qui doivent jouer sur deux volets à la fois ?

Alain Jego - Vous avez à la fois tort et raison... Non, le personnel n’est pas écartelé entre ces deux missions. Par contre, l’institution en tant que telle est écartelée parce qu’on n’a pas eu le courage d’organiser des régimes différents de détention. Nous avons depuis une trentaine d’années des structures au sein desquelles on veut tout faire. Or les 50 000 détenus des prisons françaises ne sont pas identiques et, à mon avis, la prison égale pour tous est une mauvaise idée ; à part quelques centres de semi-liberté, l’essentiel des établissements a d’abord une vocation sécuritaire et, minoritairement, celle de préparer le retour dans le tissu social. Tant qu’on n’aura pas inventé de structures où la mission de préparation au retour à la liberté serait plus importante que la mission sécuritaire, cela ne bougera pas. Mais, bien entendu, il ne s’agit pas de changer de régime tous les détenus. Certains ne sont pas prêts pour évoluer, ni volontaires pour entamer une démarche afin de retrouver une place dans le tissu social. Il nous manque aussi les outils pour prendre en compte l’évolution diversifiée des individus, outils qui permettraient de passer d’un régime plus sécuritaire à un régime plus éducatif. En outre, il est vrai que la population pénale d’aujourd’hui est plus difficile à gérer qu’il y a trente ans, car les individus sont plus déstructurés psychologiquement et plus violents.

Projet - Y a-t-il des conflits entre l’administration pénitentiaire et les intervenants extérieurs ?

Jean Cachot - Non, il n’y a pas de conflit, pour plusieurs raisons : d’abord, le conflit, il faudrait le vouloir, et personne n’y a intérêt : s’il y a conflit, c’est toujours au détriment des personnes détenues. Ensuite, la population carcérale est diverse, certes, mais les personnels aussi ! Pour certains surveillants, très compétents sur le plan sécuritaire, la réinsertion n’est pas un souci – c’est le moins qu’on puisse dire. Ils n’ont ni le goût ni les compétences pour une telle mission. On a voulu mêler deux fonctions antagonistes et je me demande si, à l’avenir, il ne faudrait pas réserver la mission de réinsertion à des agents de surveillance qui seraient volontairement formés pour ce travail, accompli en commun avec les travailleurs sociaux et les bénévoles. Aujourd’hui, si quelqu’un se trouve dans un processus de réinsertion et qu’un problème de sécurité se pose, des mesures (comme des transferts) sont prises alors de façon apparemment arbitraire, sans aucune concertation avec ceux qui travaillent à la réinsertion du détenu, sans tenir compte du processus engagé. Je suis par ailleurs assez inquiet au sujet du projet de loi pénitentiaire en préparation : l’avant-projet de septembre 2001 faisait une large part à la réinsertion, la mouture de décembre, beaucoup moins ambitieuse, devient plus sécuritaire... Et je crains que, sous la pression de l’opinion publique, l’on ne s’éloigne encore de la mission de réinsertion.

Alain Jego - Il faut être modeste : je préfère parler de préparation au retour dans la société plutôt que de réinsertion. D’ailleurs, la réinsertion sociale suppose que l’on ait été inséré auparavant et le problème pour une grande part des détenus est bien qu’ils étaient déjà exclus de la société avant d’entrer en prison. Cela ne veut pas dire qu’il ne faut rien faire...

Bien des choses sont nécessaires de la part de tous pour supporter la vie en prison et préparer la sortie. Le détenu doit vouloir s’en sortir, et l’aide de son environnement extérieur le plus proche est fondamentale, c’est-à-dire sa famille ; sans elle, rien n’est possible. Il lui faut ensuite l’aide de l’administration, et en premier lieu celle des surveillants. Et je mettrais, ici, l’accent sur de tout petits détails : la manière d’ouvrir et de fermer une porte de cellule témoigne déjà de l’état d’esprit du personnel de surveillance à l’égard des détenus. Dire bonjour tous les matins est une première forme insoupçonnée d’accompagnement ; pour certains détenus, il s’agit de comportements à réapprendre pour pouvoir vivre en société.

Jean Cachot - Bien sûr ! Je ne veux pas opposer réinsertion et sécurité. Je veux simplement dire que les deux fonctions ne peuvent être remplies par les mêmes personnes, car la sécurité se fonde sur une nécessaire défiance, alors que l’insertion mise sur la confiance. La sécurité est tout à fait nécessaire en prison (sinon la violence y serait insupportable). Quant à moi, je sens moins d’agressivité aujourd’hui de la part des surveillants, mais je ressens une violence très forte de la part des détenus : elle est sans cesse à deux doigts d’éclater. Les allées et venues perpétuelles dans les coursives de la maison d’arrêt, dues à la nécessaire multiplication des activités de réinsertion, et ces activités elles-mêmes favorisent aussi les phénomènes insupportables de racket, de chantage, de manipulations et de conflits.

Liliane Chenain - Le rôle des personnels est capital et, sans eux, aucune réforme ne sera possible. L’administration pénitentiaire s’est plu à dire que les visiteurs de prison étaient des réducteurs de tension entre détenus et surveillants. Je crois que nous sommes plus que cela, mais il faut signaler combien un personnel incompétent peut faire du mal. Il suffit de peu : 10 % d’incapables en prison, cela fait énormément de dégâts. Il serait ainsi souhaitable que les surveillants qui devraient être des modèles ne se conduisent pas comme les pires des personnes dont ils ont la garde. Cela arrive pourtant. Heureusement, ils sont minoritaires.

Lors du déménagement de l’Ecole nationale de l’administration pénitentiaire de Fleury à Agen, un effort a été fait pour initier les élèves surveillants à la gestion des conflits et à la manière dont certains actes professionnels posés participent à l’insertion ou à la réinsertion des personnes. Toutefois, une véritable formation en sciences humaines, à la relation d’aide, à la psychologie manque. Le problème en prison, c’est de pouvoir s’exprimer, d’avoir un droit à la parole : chacun devrait pouvoir dire « je » et être écouté. Les détenus n’ont le plus souvent rien le droit de dire ; s’ils le font, combien de demandes, par exemple, restent sans réponse ? Il importe que le temps de détention, s’il ne peut être évité, soit un temps de réparation, où l’on puisse tenter de réduire certains handicaps, tels ceux liés à l’absence de socialisation, à l’indigence, à l’illettrisme... La première étape suppose de ne pas aiguiser la violence et d’éviter l’arbitraire. L’avenir des jeunes, en particulier, représente un enjeu social considérable. Quant au rôle des visiteurs de prison, il est aussi de témoigner d’une solidarité face à une opinion publique qui pense que la prison est le lieu permettant de se débarrasser des indésirables. Nos concitoyens doivent savoir que la prison n’est pas la meilleure réponse aux problèmes de délinquance et ils ne doivent pas penser que la prison, au fond, ne les concerne pas.

Jean Cachot - Oui, il s’agit là d’un point essentiel. La prison n’évoluera pas si l’opinion n’évolue pas. Celle-ci est trop facilement manipulée pour des raisons politiques. On a vu récemment, dans une petite ville d’Alsace, la population manifester pour s’opposer au fait que des jeunes n’aient pas été mis en prison. Quand des jeunes sont incarcérés, il faut les aider à gérer au mieux ce temps carcéral. La violence qui règne entre eux est pire que celle entre adultes. Mais le drame est que la prison à la fois les stigmatise et leur donne une sorte d’aura qui les pose : à leur sortie, ils sont devenus des caïds. Un des enjeux réside dans le travail mené avec les familles de détenus, à travers des groupes d’accueil qui s’organisent autour de chaque prison. Les familles doivent assumer la détention d’un proche aussi bien pour les problèmes sociaux et économiques du détenu qu’en ce qui concerne leur propre acceptation de la détention. Car la déstructuration et le sentiment de rejet atteignent aussi les familles...

Projet - Dans une prison, pour aider à construire un collectif entre les détenus qui ne soit pas que violence, quelle collaboration existe entre les intervenants extérieurs et avec l’administration pénitentiaire ?

Alain Jego - La politique de l’administration pénitentiaire est d’ouvrir largement ses portes depuis le début des années 80. Il existe une multiplicité d’intervenants extérieurs, qui peuvent être tout à fait partie prenante du fonctionnement de l’établissement, qu’ils soient bénévoles ou non. On sait bien que l’administration ne peut pas tout faire.

Ceci étant, la prison reste un lieu de contrainte très difficile. Dans le monde extérieur, les contraintes sont de moins en moins acceptées : écoutez les réactions de vos enfants adolescents ! C’est d’autant plus dur pour ceux qui entrent en prison, qui ignorent toute norme ou se montrent de plus en plus intolérants face à ceux qui n’ont pas les mêmes valeurs qu’eux-mêmes.

Liliane Chenain - Je préfèrerais qu’on parle des prisons plutôt que de la prison. Leur fonctionnement dépend de l’histoire de l’établissement, de sa culture, de la personnalité du directeur, des liens avec les services sociaux. Pourquoi pensez-vous qu’il y a plus de cent visiteurs de prison à Fresnes et si peu à Bois d’Arcy ou ailleurs ? Tout un travail pédagogique est nécessaire, en particulier vis-à-vis des personnels, afin que les uns et les autres puissent se parler et apprendre à se connaître.

Jean Cachot - Vous avez raison, mais le poids de l’incarcération, les conditions de vie comme la promiscuité dans les maisons d’arrêt, tout un climat pénitentiaire font que la stigmatisation carcérale est plus forte que tous les efforts de formation et d’insertion. Le détenu devrait pouvoir gérer un espace à lui, qui soit presque intime. Il devrait aussi avoir une peine d’une durée gérable. Pour le moment, la tendance est à l’allongement des peines et les verdicts écrasent l’individu : que signifie, par exemple, être condamné à trente ans de prison quand on n’a que vingt ans ?

Alain Jego - Je partage ce point de vue, bien qu’au fil du temps je demeure circonspect quant à l’évolution de certains individus détenus. Mais je suis d’accord sur le fait qu’il ne faut pas tuer l’espoir. Pour que la prison ne soit pas qu’un lieu de violence, comme vous nous avez posé la question, pour que le collectif ne soit pas qu’un mot, nous avons tenté des innovations. Depuis trois ans, un collectif s’est mis en place à la prison de la Santé. Silas (service initiatives liaisons accompagnements solidarité) regroupe 43 associations intervenant dans la maison d’arrêt. Cela permet de se connaître, de fédérer les démarches, de trouver des lignes de force sur des thèmes comme la prise en charge de l’indigence, le retour dans la société et aussi l’accès au droit. Il suffit pour cela de volontés convergentes. Cela va dans le sens d’une meilleure prise en charge et d’une prise de conscience par la société extérieure.

Jean Cachot - Pour ne pas travailler dans la dispersion, les intervenants extérieurs et l’administration pénitentiaire doivent bien se mettre d’accord sur le sens de la peine. Il faut en outre reconnaître vraiment et accepter la complémentarité des tâches. Car, dans bien des lieux de détention, règne un climat malsain créé par la suspicion face aux détenus, qui rejaillit sur les intervenants.

Liliane Chenain - Nous n’avons pas parlé – et cela me semble très important – du travail qui doit être fait en prison pour préparer la sortie. Si une personne incarcérée n’est pas impliquée dans une démarche personnelle d’insertion, si elle n’a pas, elle ou sa famille, « prévu » sa sortie, le rétablissement des droits sociaux risque de prendre des mois et, sans ressource, il est facile de retomber dans la délinquance. Il importe que les droits sociaux soient rétablis ou établis avant que la personne sorte de prison afin d’éviter, si cela se peut, les tentations de la récidive


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