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Dossier : Prisons, les verrous et le droit

Conclusions


Des verrous sont posés afin d’assurer la clôture d’un espace. Pour un détenu, ils signifient une peine de privation de sa liberté d’aller et venir. Mais cet espace séparé, voulu pour protéger la société et pour que s’effectue le temps de la peine, est-il seulement conçu comme une contrainte, une souffrance imposée, la compensation d’une autre souffrance ? Comme si la souffrance de la peine pouvait effacer la faute. L’espace de la peine devient alors un cercle vicieux. Au lieu d’être un espace de protection, pour ceux du dehors lorsque c’est nécessaire, pour ceux du dedans aussi, afin d’y ouvrir le chemin d’une sortie qui, d’une manière ou d’une autre, surviendra bien un jour, le chemin d’un retour au droit.

Un espace pour la peine

On oppose facilement la mission de sécurité des prisons à celle de réinsertion. Pourtant les textes de loi rappellent que celle-ci est confiée en propre au « service public » pénitentiaire. Sans cet objectif, quelle sorte de sécurité est-elle cherchée pour nos cités ? Reconnaissons que le système de nos prisons a bien du mal à y répondre. On lui fait grief, d’ailleurs, de son taux d’échec, d’un nombre de récidives inquiétant. Mais cet échec est aussi celui de notre société, qui ignore ce lieu d’accomplissement de la peine, le rejetant si possible à l’écart de ses villes. Elle en fait, de plus en plus, des prisons « asiles » – comme au Moyen Age ! –, abritant pêle-mêle tous les fauteurs de trouble. Criminels, condamnés pour abus sexuels, toxicomanes, petits voleurs, jeunes sur la voie de la délinquance, sans papiers, coupables d’abus financiers... Le code est prisonnier de la prison : il ne connaît que cette réponse.

Il existe pourtant d’autres voies (des mises à l’épreuve aux travaux d’intérêt général...) qui s’achèvent par des taux de récidive bien moins élevés. Car l’enjeu de la réinsertion y est pris au sérieux. D’autres structures que ces hospices pour tous, plus adaptées, sont possibles (on pense à l’exemple d’autres pays), avec un encadrement pluridisciplinaire correspondant à des situations diverses et considérant la personne de chaque détenu. Au contraire, notre société a choisi à la fois de durcir et d’allonger pour certains le temps de détention et de multiplier le nombre des condamnés à de courtes peines. Dans les deux cas, il s’agit d’un réflexe qui privilégie la sécurité, mais avec quelles conséquences ?

L’ambiguïté est inhérente à la prison, celle d’une vie collective imposée. Mais quelle vie collective, quelle société peut-elle s’y construire ? Combien de détenus se trouvent enfermés les uns sur les autres, sans possibilité d’un minimum de vie privée, jamais à l’abri du regard des autres ? Et lorsque on se retrouve perdu, dans un aussi grand nombre, quelle initiative est ouverte pour participer à une vie commune ? Tout se transforme en combat, l’accès à des activités, une démarche de formation..., jusqu’aux déplacements.

En rassemblant tant de personnes qui ont de graves difficultés de comportement, on accroît inévitablement un climat de violence, qui peut se tourner contre soi (suicides...) ou contre les autres. Les rapports dominants/dominés entre détenus, les trafics, le règne de l’argent, la surconsommation de médicaments, sinon de stupéfiants... sont alors une manière de s’organiser dans cette étrange collectivité, renforçant l’image d’une contre-société dangereuse. On l’a abondamment rappelé : sans espaces vraiment adaptés, les jeunes délinquants trouvent en détention un cadre aussi bien pour se dégrader que pour se reconstruire.

Si la prison doit parler de réinsertion, ce ne peut être seulement sous le mode d’un accompagnement du mal-être en détention, mais bien comme la recherche fondamentale d’un itinéraire possible : reconstruire les liens brisés avec une famille, donner un temps, par le travail ou une formation, qui prépare une issue hors des impasses d’hier, permettre par un dialogue avec des visiteurs, des médiateurs, un aumônier, une réconciliation avec soi et avec la société, soutenir quelque peu une responsabilité vis-à-vis de soi et des autres, penser des manières d’application de sa peine.

Le soutien d’intervenants extérieurs, heureusement de plus en plus nombreux dans certaines prisons, n’est pas alors un simple cataplasme sur une plaie, mais un appel persévérant à avancer comme des êtres « de droit ». De même, avec la participation des détenus – et parfois sous leur responsabilité –, il existe des associations socioculturelles ou sportives. Elles sont des lieux où ils sont en capacité de s’exprimer, de se découvrir, d’être reconnus. Plus rarement, elles sont l’occasion de dire un mot sur la gestion du quotidien, d’apprendre une vie collective qui ne se réduise pas à une passivité, un ressentiment, un écrasement ou un rapport de forces. Quel collectif pourrait vivre ainsi ? Sauf à peser en permanence sur le couvercle qui cache tous les débordements.

Les surveillants devraient être considérés comme les premiers témoins et les premiers responsables de cet effort. La tentation est de faire de leur participation un détournement de l’insertion (avoir la tranquillité), sinon une manipulation (la récompense d’une bonne « adaptation »). Ils ont au contraire un rôle essentiel comme médiateurs entre la vie quotidienne des détenus – leur vie contrainte, collective – et ce qui peut y naître ou ne pas naître, comme projet pour leur vie sociale. Encore faut-il qu’ils soient reconnus comme tels, que des espaces de parole entre eux, avec leur hiérarchie, avec les partenaires de l’application des peines, leur donnent d’être acteurs de cette prise en compte.

Arrêts de rigueur

Avec la prison, un temps d’arrêt est imposé au condamné (ou au prévenu). Si cet arrêt ne signifie pas le terme mais une inéluctable étape, la rigueur ne doit pas être seulement « tenue » comme l’expression d’une dureté. Elle est aussi le rappel de ce qui est exact, de ce qui est juste : arrêter une dérive hors la loi, hors la règle, mais ne pas mettre dans un lieu sans droits. « Il est difficile de demander à la prison de jouer un rôle de rappel à la loi quand on ne sait pas quelle est la loi qui s’applique. Le détenu subit la prolifération de règles comme un carcan et non comme une garantie contre l’arbitraire. » Ce diagnostic est celui du rapport d’enquête des députés, La France face à ses prisons, présenté en juillet 2000.

Dans l’espace de la prison, c’est l’administration elle-même qui avait l’habitude d’énoncer son droit, une surabondance de règles, offrant des voies de recours souvent problématiques. Il est vrai que la prison demeure un lieu de contraintes et de violences. Mais le traitement de ces violences doit-il être pensé seulement sous l’angle disciplinaire, en interne, au risque d’occulter les dénis que peuvent recouvrir les rapports de forces au nom de l’ordre et de l’autorité ?

Si le droit dans la prison est complètement parasité par le réglementaire, à quel rapport symbolique ouvre-t-il ? Au service ou se servant du droit ? L’administration pénitentiaire n’est pas une institution à part, elle est une institution de la société. La privation de la liberté d’aller et venir est-elle aussi privation des droits inhérents à toute personne ? S’il y a droit, il doit y avoir présence d’un tiers entre les parties prenantes aux conflits, afin que la parole soit donnée, qu’il y ait débat, prise en compte des conséquences... Désormais les avocats peuvent assister les détenus en prison. Cela veut-il dire, pour autant, que l’aspect disciplinaire ne prime pas facilement sur toute autre préoccupation ? Car des mesures punitives (isolement, transferts...) interrompent des liens avec la famille, un parcours entamé de formation, etc.

Il reste que, souvent, les prisons se sont habituées à une sorte de droit coutumier. Les prisonniers, en situation de dépendance, acceptent ou non d’entrer dans un jeu de donnant-donnant, afin d’obtenir quelques accommodements. « L’amélioration concrète de la vie quotidienne n’étant plus possible sur une base textuelle, (elle) est devenue clandestine. Or, dans le même temps, la violation des textes par l’administration elle-même n’a progressivement plus semblé choquer » (Martine Herzog-Evans, La gestion du comportement du détenu). Par un système de faveurs, on pense asseoir son autorité. Est-il encore question de droits identiques pour tous ? Le sentiment d’injustice que peuvent éprouver les détenus ne risque-t-il pas d’être renforcé ?

Heureusement, un droit commun a commencé à pénétrer dans les prisons. Pour la prise en charge de la santé, pour la formation... qui relèvent désormais du régime hospitalier public ou des propositions de l’Education nationale. Pourquoi, dans d’autres domaines, la vie des prisonniers ne serait-elle pas sous le regard de services, d’organisations, d’associations qui agissent aussi dans la cité ? Dans le dossier du travail, en particulier, ne s’agit-il pas aussi d’un lieu où l’on peut, où l’on doit être sujet de droit, contractant et engageant une responsabilité à retrouver ? Saura-t-on donner toute sa valeur au contrat de mobilisation (un contrat d’insertion au rabais ?) qu’envisagent d’instaurer les projets de réforme ?

Si le rappel du droit a toute sa place, y compris symbolique, le juge d’application des peines est au cœur de la réforme à mettre en place. Ce n’est pas un paradoxe de rappeler que, si la réinsertion est bien la tâche de l’administration pénitentiaire, parallèlement l’exécution de la peine relève du droit, de la justice au nom de la société. Elle est pleinement ce « troisième temps judiciaire », et non un temps régi par des règles disciplinaires. Un temps où la peine doit trouver son intelligibilité et une issue. C’est à la justice, non au milieu clos de la prison, d’en juger et d’en décider. Le juge d’application doit garantir des droits, lisibles par tous. Il doit pouvoir travailler avec l’administration de la prison, mais aussi avec des acteurs de la société, afin de permettre l’effectivité d’un droit à la réinsertion.


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